The Project Gutenberg EBook of L'archeologie egyptienne, by G. Maspero This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: L'archeologie egyptienne Author: G. Maspero Release Date: January 27, 2004 [EBook #10841] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE *** Produced by Robert Connal, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by gallica (Bibliotheque nationale de France) at http://gallica.bnf.fr. L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE PAR G. MASPERO CHAPITRE PREMIER L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE L'attention des archeologues qui ont visite l'Egypte a ete si fortement attiree par les temples et par les tombeaux que nul d'entre eux ne s'est attache a relever avec soin ce qui reste des habitations privees et des constructions militaires. Peu de pays pourtant ont conserve autant de debris de leur architecture civile. Sans parler des villes d'epoque romaine ou byzantine, qui survivent presque intactes a Kouft, a Kom-Ombo, a El-Agandiyeh, une moitie an moins de la Thebes antique subsiste a l'est et an sud de Karnak. L'emplacement de Memphis est seme de buttes qui atteignent 15 et 20 metres de hauteur, et dont le noyau est forme par des maisons en bon etat. A Tell-el-Maskhoutah, les greniers de Pithom sont encore debout; a San, a Tell-Basta, la cite saite et ptolemaique renferme des quartiers dont on pourrait lever le plan. Je ne parle ici que des plus connues; mais combien de localites echappent a la curiosite des voyageurs, ou l'on rencontre des ruines d'habitations privees remontant a l'epoque des Ramessides, et plus haut peut-etre! Quant aux forteresses, le seul village d'Abydos n'en a-t-il pas deux, dont une est au moins contemporaine de la VIe dynastie? Les remparts d'El-Kab, de Kom-el-Ahmar, d'El-Hibeh, de Dakkeh, meme une partie de ceux de Thebes, sont debout et attendent l'architecte qui daignera les etudier serieusement. 1.--LES MAISONS. Le sol de l'Egypte, lave sans cesse par l'inondation, est un limon noir, compact, homogene, qui acquiert en se sechant la durete de la pierre: les fellahs l'ont employe de tout temps a construire leur maison. Chez les plus pauvres, ce n'est guere qu'un amas de terre faconne grossierement. On entoure un espace rectangulaire, de 2 ou 3 metres de large sur 4 ou 5 de long, d'un clayonnage en nervures de palmier, qu'on enduit interieurement et exterieurement d'une couche de limon; comme ce pise se crevasse en perdant son eau, on bouche les fissures et on etend des couches nouvelles, jusqu'a ce que l'ensemble ait de 10 a 30 centimetres d'epaisseur, puis on etend au-dessus de la chambre d'autres nervures de palmier melees de paille, et on recouvre le tout d'un lit mince de terre battue. La hauteur est variable: le plus souvent, le plafond est tres bas, et on ne doit pas se lever trop brusquement de peur de le defoncer d'un coup de tete; ailleurs, il est a 2 metres du sol ou meme plus. Aucune fenetre, aucune lucarne ou penetrent l'air et la lumiere; parfois un trou, pratique au milieu du plafond, laisse sortir la fumee du foyer; mais c'est la un raffinement que tout le monde ne connait pas. Il n'est pas toujours facile de distinguer au premier coup d'oeil celles de ces cabanes qui sont en pise et celles qui sont en briques crues. La brique egyptienne commune n'est guere que le limon, mele avec un peu de sable et de paille hachee, puis faconne en tablettes oblongues et durci au soleil. Un premier manoeuvre piochait vigoureusement a l'endroit ou l'on voulait batir; d'autres emportaient les mottes et les accumulaient en tas, tandis que d'autres les petrissaient avec les pieds et les reduisaient en masse homogene. La pate suffisamment trituree, le maitre ouvrier la coulait dans des moules en bois dur, qu'un aide emportait et s'en allait decharger sur l'aire a secher, ou il les rangeait en damier, a petite distance l'une de l'autre (Fig.1). Les entrepreneurs soigneux les laissent au soleil une demi-journee ou meme une journee entiere, puis les disposent en monceaux de maniere que l'air circule librement, et ne les emploient qu'au bout d'une semaine ou deux; les autres se contentent de quelques heures d'exposition au soleil et s'en servent humides encore. Malgre cette negligence, le limon est tellement tenace qu'il ne perd pas aisement sa forme: la face tournee an dehors a beau se desagreger sous les influences atmospheriques, si l'on penetre dans le mur meme, on trouve la plupart des briques intactes et separables les unes des autres. Un bon ouvrier moderne en moule un millier par jour sans se fatiguer; apres une semaine d'entrainement, il peut monter a 1,200, a 1,500, voire a 1,800. Les ouvriers anciens, dont l'outillage ne differait pas de l'outillage actuel, devaient obtenir des resultats aussi satisfaisants. Le module qu'ils adoptaient generalement est de 0m,22, x 0m,11, x 0m,14 pour les briques de taille moyenne, 0m,38, x 0m,18, x 0m,14 pour les briques de grande taille; mais on rencontre assez souvent dans les ruines des modules moindres ou plus forts. La brique des ateliers royaux etait frappee quelquefois aux cartouches du souverain regnant; celle des usines privees a sur le plat un ou plusieurs signes conventionnels traces a l'encre rouge, l'empreinte des doigts du mouleur, le cachet d'un fabricant. Le plus grand nombre n'a point de marque qui les distingue. La brique cuite n'a pas ete souvent employee avant l'epoque romaine, non plus que la tuile plate ou arrondie. La brique emaillee parait avoir ete a la mode dans le Delta. Le plus beau specimen que j'en aie vu, celui qui est conserve au musee de Boulaq, porte a l'encre noire les noms de Ramses III; l'email en est vert, mais d'autres fragments sont colores en bleu, en rouge, en jaune ou en blanc. [Illustration: Fig. 1--Fabrication de la brique.] La nature du sol ne permet pas de descendre beaucoup les fondations: c'est d'abord une couche de terre rapportee, qui n'a d'epaisseur que sur l'emplacement des grandes villes, puis un humus fort dense, coupe de minces veines de sable, puis, a partir du niveau des infiltrations, des boues plus ou moins liquides, selon la saison. Aujourd'hui, les macons indigenes se contentent d'ecarter les terres rapportees et jettent les fondations des qu'ils touchent le sol vierge; si celui-ci est trop loin, ils s'arretent a un metre environ de la surface. Les vieux Egyptiens en agissaient de meme: je n'ai rencontre aucune maison antique dont les fondations fussent a plus de 1m,20, encore une pareille profondeur est-elle l'exception, et n'a-t-on pas depasse 0m,60 dans la plupart des cas. Souvent, on ne se fatiguait pas a creuser des tranchees: on nivelait l'aire a couvrir, et, probablement apres l'avoir arrosee largement pour augmenter la consistance du terrain, on posait les premieres briques a meme. La maison terminee, les dechets de mortier, les briques cassees, tous les rebuts du travail accumules formaient une couche de 20 a 30 centimetres: la partie du mur enterree de la sorte tenait lieu de fondations. Quand la maison a batir devait s'elever sur l'emplacement d'une maison anterieure, ecroulee de vetuste ou detruite par un accident quelconque, on ne prenait pas la peine d'abattre les murs jusqu'au ras de terre. On egalisait la surface des decombres et on construisait a quelques pieds plus haut que precedemment: aussi chaque ville est-elle assise sur une ou plusieurs buttes artificielles, dont les sommets dominent parfois de 20 ou 30 metres la campagne environnante. Les historiens grecs attribuaient ce phenomene d'exhaussement a la sagesse des rois, de Sesostris en particulier, qui avaient voulu mettre les cites a l'abri des eaux, et les modernes ont cru reconnaitre le procede employe a cet effet: on construisait des murs massifs de brique, entre-croises en damier, on comblait les intervalles avec des terres de deblayement, et on elevait les maisons sur ce patin gigantesque. Partout ou j'ai fait des fouilles, a Thebes specialement, je n'ai rien vu qui repondit a cette description; les murs entrecoupes qu'on rencontre sous les debris des maisons relativement modernes ne sont que des restes de maisons anterieures, qui reposaient elles-memes sur les restes de maisons plus vieilles encore. Le peu de profondeur des fondations n'empechait pas les macons de monter hardiment la batisse: j'ai note dans les ruines de Memphis des pans encore debout de 10 et 12 metres de haut. On ne prenait alors d'autre precaution que d'elargir la base des murs et de vouter les etages (Fig.2). L'epaisseur ordinaire etait de 0m,40 environ pour une maison basse, mais pour une maison a plusieurs etages, on allait jusqu'a 1 metre ou 1m,25; des poutres, couchees dans la maconnerie d'espace en espace, la liaient et la consolidaient. Souvent aussi on batissait le rez-de-chaussee en moellons bien appareilles et on releguait la brique aux etages superieurs. Le calcaire de la montagne voisine est la seule pierre dont on se soit servi regulierement en pareil cas. Les fragments de gres, de granit ou d'albatre qui y sont meles, proviennent generalement d'un temple ruine: les Egyptiens d'alors n'avaient pas plus scrupule que ceux d'aujourd'hui a depecer leurs monuments des qu'on cessait de les surveiller. [Illustration: Fig. 2--Maison antique a etages voutes, contre la muraille nord du grand temple de Medinet-Habou.] Les petites gens vivaient dans de vraies huttes qui, pour etre baties en briques, ne valaient guere mieux que les cabanes des fellahs. A Karnak, dans la ville pharaonique, a Kom-Ombo, dans la ville romaine, a Medinet-Habou, dans la ville copte, les maisons de ce genre ont rarement plus de 4 ou 5 metres de facade; elles se composent d'un rez-de-chaussee que surmontent parfois quelques chambres d'habitation. Les gens aises, marchands, employes secondaires, chefs d'ateliers, etaient loges plus au large. Leurs maisons etaient souvent separees de la rue par une cour etroite: un grand couloir s'ouvrait au fond, le long duquel les chambres etaient rangees (Fig.3). Plus souvent, la cour etait garnie de chambres sur trois cotes (Fig.4); plus souvent encore la maison presentait sa facade a la rue. C'etait alors un haut mur peint ou blanchi a la chaux, surmonte d'une corniche, et sans ouverture que la porte, ou perce irregulierement de quelques fenetres (Fig.5). La porte etait souvent de pierre, meme dans les maisons sans pretentions. Les jambages sont en saillie legere sur la paroi, et le linteau est supporte d'une gorge peinte ou sculptee. L'entree franchie, on passait successivement dans deux petites pieces sombres, dont la derniere prend jour sur la cour centrale (Fig.6). Le rez-de-chaussee servait ordinairement d'etable pour les baudets ou pour les bestiaux, de magasins pour le ble et pour les provisions, de cellier et de cuisine. Partout ou les etages superieurs subsistent encore, ils reproduisent presque sans modifications la distribution du rez-de-chaussee. On y arrivait par un escalier exterieur, etroit et raide, coupe a des intervalles tres rapproches par de petits paliers carres. Les pieces etaient oblongues et ne recevaient de lumiere et d'air que par la porte: lorsqu'on se decidait a percer des fenetres sur la rue, c'etaient des soupiraux places presque a la hauteur du plafond, sans regularite ni symetrie, Garnis d'une sorte de grille en bois a barreaux espaces, et fermes par un volet plein. Les planchers etaient briquetes ou dalles, plus souvent formes d'une couche de terre battue. Les murs etaient blanchis a la chaux, quelquefois peints de couleurs vives. Le toit etait plat et fait probablement comme aujourd'hui de branches de palmiers serrees l'une contre l'autre, et couvertes d'un enduit de terre assez epais pour resister a la pluie. Parfois il n'etait surmonte que d'un ou deux de ces ventilateurs en bois qu'on rencontre encore si frequemment en Egypte; d'ordinaire, on y elevait une ou deux pieces isolees, servant de buanderie ou de dortoir pour les esclaves ou les gardiens. La terrasse et la cour jouaient un grand role dans la vie domestique des anciens Egyptiens; les femmes y preparaient le pain (Fig.7), y cuisinaient, y causaient a l'air libre; la famille entiere y dormait l'ete, protegee par des filets contre les attaques des moustiques. [Illustration: Fig. 3] [Illustration: Fig. 4] [Illustration: Fig. 5--Facade d'une maison sur la rue.] [Illustration: Fig. 6] [Illustration: Fig. 7--Boite en forme de maison. (British Museum.)] Les hotels des riches et des seigneurs couvraient une surface considerable: ils etaient situes le plus souvent au milieu d'un jardin ou d'une cour plantee, et presentaient a la rue, ainsi que les maisons bourgeoises, des murs nus, creneles comme ceux d'une forteresse (Fig.8). La vie domestique etait cachee et comme repliee sur elle-meme: on sacrifiait le plaisir de voir les passants a l'avantage de n'etre pas apercu du dehors. La porte seule annoncait quelquefois l'importance de la famille qui se dissimulait derriere l'enceinte. Elle etait precedee d'un perron de deux ou trois marches, ou d'un portique a colonnes (Fig.9) orne de statues (Fig.10), qui lui donnaient l'aspect monumental; parfois c'etait un pylone analogue a celui qui annoncait l'entree des temples. L'interieur formait comme une petite ville, divisee en quartiers par des murs irreguliers: la maison d'habitation au fond, les greniers, les etables, les communs, repartis aux differents endroits de l'enclos, selon des regles qui nous echappent encore. Les details de l'agencement devaient varier a l'infini; pour donner une idee de ce qu'etait l'hotel d'un grand seigneur egyptien, moitie palais, moitie villa, je ne puis mieux faire que de reproduire deux des plans nombreux que nous ont conserves les tombeaux de la XVIIIe dynastie. Le premier represente une maison thebaine (Fig.11-12). Le clos est carre entoure d'un mur crenele. La porte principale s'ouvre sur une route bordee d'arbres, qui longe un canal ou un bras du Nil. Le jardin est divise en compartiments symetriques par des murs bas en pierres seches, analogues a ceux qu'on voit encore dans les grands jardins d'Akhmim ou de Girgeh; au centre, une vaste treille disposee sur quatre rangs de colonnettes; a droite et a gauche, quatre pieces d'eau peuplees de canards et d'oies, deux pepinieres, deux kiosques a jour, et des allees de sycomores, de dattiers et de palmiers-doums; dans le fond, en face de la porte, une maison a deux etages de petites dimensions, surmontee d'une corniche peinte. Le second plan est emprunte aux hypogees de Tell-el-Amarna (Fig.13-14). Il nous montre une maison, situee an fond des jardins d'un grand seigneur, Ai, gendre du pharaon Khouniaton et, plus tard, lui-meme roi d'Egypte. Un bassin oblong s'etend devant la porte: il est borde d'un quai en pente douce muni de deux escaliers. Le corps de batiment est un rectangle plus large sur la facade que sur les parois laterales. [Illustration: Fig. 8] [Illustration: Fig. 9] [Illustration: Fig. 10] [Illustration: Fig. 11--Plan d'une maison thebaine avec jardin.] [Illustration: Fig. 12--Vue perspective de la maison thebaine.] [Illustration: Fig. 13--Palais d'Ai.] [Illustration: Fig. 14--Vue perspective du palais d'Ai.] Une grande porte s'ouvre au milieu et donne acces dans une cour plantee d'arbres et bordee de magasins remplis de provisions: deux petites cours placees symetriquement dans les angles les plus eloignes servent de cage aux escaliers qui menent sur la terrasse. Ce premier edifice sert comme d'enveloppe au logis du maitre. Les deux facades sont ornees d'un portique de huit colonnes, interrompu au milieu par la baie du pylone. La porte franchie, on debouchait dans une sorte de long couloir central, coupe par deux murs perces de portes, de maniere a former trois cours d'enfilade. Celle du centre etait bordee de chambres; les deux autres communiquaient a droite et a gauche avec deux cours plus petites, d'ou partaient les escaliers qui montent a la terrasse. Ce batiment central etait ce que les textes appellent l'_akhonouti_, la demeure intime du roi et des grands seigneurs, ou la famille et les amis les plus proches avaient seuls le droit de penetrer. Le nombre des etages, la disposition de la facade differaient selon le caprice du proprietaire. Le plus souvent la facade etait unie; parfois elle etait divisee en trois corps, et le corps du milieu etait en saillie. Les deux ailes sont alors ornees d'un portique a chaque etage (Fig.15), ou surmontees d'une galerie a jour (Fig.16); le pavillon central a quelquefois l'aspect d'une tour qui domine le reste de la construction (Fig.17). Les facades sont decorees assez souvent de ces longues colonnettes en bois peint qui ne portent rien et servent seulement a egayer l'aspect un peu severe de l'edifice. La distribution interieure est peu connue; comme dans les maisons bourgeoises, les chambres a coucher etaient probablement petites et mal eclairees; mais, en revanche, les salles de reception devaient avoir a peu pres les dimensions adoptees aujourd'hui encore en Egypte, dans les maisons arabes. L'ornementation des parois ne comportait pas des scenes ou des compositions analogues a celles qu'on rencontre dans les tombeaux. Les panneaux etaient passes a la chaux ou revetus d'une teinte uniforme et bordes d'une bande multicolore. Les plafonds etaient d'ordinaire laisses en blanc; parfois, cependant, ils etaient decores d'ornements geometriques dont les principaux motifs etaient repetes dans les tombeaux et nous ont ete conserves de la sorte, des meandres entremeles de rosaces (Fig.18), des carres multicolores (Fig.19), des tetes de boeuf vues de face, des enroulements, des vols d'oies (Fig.20). [Illustration: Fig. 15] [Illustration: Fig. 16] [Illustration: Fig. 17] [Illustration: Fig. 18] [Illustration: Fig. 19] [Illustration: Fig. 20] Je n'ai parle que du second empire thebain; c'est en effet l'epoque pour laquelle nous avons le plus de documents. Les lampes en forme de maisons, qu'on trouve en si grand nombre au Fayoum, montrent qu'au temps des Cesars romains, on continuait a batir selon les memes regles qui avaient eu cours sous les Thoutmos et les Ramses. Pour l'ancien empire, les renseignements sont peu nombreux et peu clairs. Cependant, on rencontre souvent sur les steles, dans les hypogees ou dans les cercueils, des dessins qui nous montrent quel aspect avaient les portes (Fig.21), et un sarcophage de la IVe dynastie, celui de Khoutou-Poskhou, est taille en forme de maison (Fig.22). [Illustration: Fig. 21--Porte de maison de l'ancien Empire, d'apres la paroi d'un tombeau de la VIe dynastie.] [Illustration: Fig. 22] 2.--LES FORTERESSES. La plupart des villes et meme des bourgs importants etaient mures. C'etait une consequence presque necessaire de la configuration geographique et de la constitution politique du pays. Contre les Bedouins, il avait fallu barrer le debouche des gorges qui menent au desert; les grands seigneurs feodaux avaient fortifie, contre leurs voisins et contre le roi, la ville ou ils residaient, et les villages de leur domaine qui commandaient les defiles des montagnes ou les passes resserrees du fleuve. Abydos, El-Kab, Semneh possedent les forteresses les plus anciennes. Abydos avait un sanctuaire d'Osiris et s'elevait a l'entree d'une des routes qui conduisent aux Oasis. La renommee du temple y attirait les pelerins, la situation de la ville y amenait les marchands, la prosperite que lui valait l'affluence des uns et des autres l'exposait aux incursions des Libyens: elle a, aujourd'hui encore, deux forts presque intacts. Le plus vieux est comme le noyau du monticule que les Arabes appellent le Kom-es-soultan, mais l'interieur seul en a ete deblaye jusqu'a 3 ou 4 metres au-dessus du sol antique; le trace exterieur des murs n'a pas ete degage des decombres et du sable qui l'entourent. Dans l'etat actuel, c'est un parallelogramme en briques crues de 125 metres de long sur 68 metres de large. Le plus grand axe en est tendu du sud au nord. La porte principale s'ouvre dans le mur ouest, non loin de l'angle nord-ouest; mais deux portes de moindre importance paraissent avoir ete menagees dans le front sud et dans celui de l'est. Les murailles ont perdu quelque peu de leur elevation; elles mesurent pourtant de 7 a 11 metres de haut et sont larges d'environ 2 metres au sommet. Elles ne sont pas baties d'une seule venue, mais se partagent en grands panneaux verticaux, facilement reconnaissables a la disposition des materiaux. Dans le premier, tous les lits de briques sont rigoureusement horizontaux; dans le second, ils sont legerement concaves et forment un arc renverse, tres ouvert, dont l'extrados s'appuie sur le sol; l'alternance des deux procedes se reproduit regulierement. La raison de cette disposition est obscure: on dit que les edifices ainsi construits resistent mieux aux tremblements de terre. Quoi qu'il en soit, elle est fort ancienne, car, des la Ve dynastie, les familles nobles d'Abydos envahirent l'enceinte et l'emplirent de leurs tombeaux an point de lui enlever toute valeur strategique. Une seconde forteresse, edifiee a quelque cent metres au sud-est, remplaca celle du Kom-es-soultan vers la XVIIIe dynastie, mais faillit avoir le meme sort sous les Ramessides; la decadence subite de la ville l'a seule protegee contre l'encombrement. Les Egyptiens des premiers temps ne possedaient aucun engin capable de faire impression sur des murs massifs. Ils n'avaient que trois moyens pour enlever de vive force une place fermee: l'escalade, la sape, le bris des portes. Le trace impose par leurs ingenieurs au second fort est des mieux calcules pour resister efficacement a ces trois attaques (Fig.23). Il se compose de longs cotes en ligne droite, sans tours ni saillants d'aucune sorte, mesurant 131m,30 sur les fronts est et ouest, 78 metres sur les fronts nord et sud. Les fondations portent directement sur le sable et ne descendent nulle part plus has que 0m,30. Le mur (Fig.24) est en briques crues, disposees par assises horizontales; il est legerement incline en arriere, plein, sans archeres ni meurtrieres, decore a l'exterieur de longues rainures prismatiques, semblables a celles qu'on voit sur les steles de l'ancien Empire. Dans l'etat actuel, il domine la plaine de 11 metres; complet, il ne devait guere monter a plus de 12 metres, ce qui suffisait amplement pour mettre la garnison a l'abri d'une escalade par echelle portative a dos d'homme. L'epaisseur est d'environ 6 metres a la base, d'environ 5 metres au sommet. [Illustration: Fig. 23] [Illustration: Fig. 24] La crete est partout detruite, mais les representations figurees (Fig.25) nous montrent qu'elle etait couronnee d'une corniche continue, tres saillante, garnie exterieurement d'un parapet mince assez bas, crenele a merlons arrondis, rarement quadrangulaires. Le chemin de ronde, meme diminue de l'epaisseur du parapet, devait atteindre encore 4 metres ou 4m,50. Il courait sans interruption le long des quatre fronts; on y montait par des escaliers etroits, pratiques dans la maconnerie et detruits aujourd'hui. Point de fosse: pour defendre le pied du mur contre la pioche des sapeurs, on a trace, a 3 metres en avant, une chemise crenelee haute de 5 metres ou environ. Toutes ces precautions etaient suffisantes contre la sape et l'escalade, mais les portes restaient comme autant de breches beantes dans l'enceinte; c'etait le point faible sur lequel l'attaque et la defense concentraient leurs efforts. Le fort d'Abydos avait deux portes, dont la principale etait situee dans un massif epais, a l'extremite orientale du front est (Fig.26). Une coupure etroite A, barree par de solides battants de bois, en marquait la place dans l'avant-mur. Par derriere, s'etendait une petite place d'armes B, a demi creusee dans l'epaisseur du mur, au fond de laquelle etait pratiquee une seconde porte C, aussi resserree que la premiere. Quand l'assaillant l'avait forcee sous la pluie de projectiles que les defenseurs, postes au haut des murailles, faisaient pleuvoir sur lui de face et des deux cotes, il n'etait pas encore au coeur de la place; il traversait une cour oblongue D, resserree entre les murs exterieurs et entre deux contreforts qui s'en detachaient a angle droit, et s'en allait briser a decouvert une derniere poterne E, placee a dessein dans le recoin le plus incommode. Le principe qui presidait a la construction des portes etait partout le meme, mais les dispositions variaient au gre de l'ingenieur. A la porte sud-est d'Abydos (Fig.27), la place d'armes situee entre les deux enceintes a ete supprimee, et la cour est tout entiere dans l'epaisseur du mur; a Kom-el-Ahmar, en face d'El-Kab (Fig.28), le massif de briques, an milieu duquel la porte est percee, fait saillie sur le front de defense. Des poternes, reservees en differents endroits, facilitaient les mouvements de la garnison et lui permettaient de multiplier les sorties. [Illustration: Fig. 25] [Illustration: Fig. 26] [Illustration: Fig. 27] [Illustration: Fig. 28] Le meme trace qu'on employait pour les forts isoles prevalait egalement pour les villes. Partout, a Heliopolis, a San, a Sais, a Thebes, ce sont des murs droits, sans tours ni bastions, formant des carres ou des parallelogrammes allonges, sans fosses ni avancees; l'epaisseur des murs, qui varie entre 10 et 20 metres, rendait ces precautions inutiles. Les portes, au moins les principales, avaient des jambages et un linteau en pierre, decores de tableaux et de legendes; temoin celle d'Ombos, que Champollion vit encore en place et qui date du regne de Thoutmos III. La plus vieille et la mieux conservee des villes fortes d'Egypte, celle d'El-Kab, remonte probablement jusqu'a l'ancien Empire (Fig.29). Le Nil en a detruit une partie depuis quelques annees; au commencement du siecle, elle formait un quadrilatere irregulier, dont les grands cotes mesuraient 640 metres et les petits environ un quart en moins. Le front sud presente la meme disposition qu'au Kom-es-soultan, des panneaux ou les lits de briques sont horizontaux, alternant avec d'autres panneaux ou ils sont concaves. Sur les fronts nord et ouest, les lits sont ondules regulierement et sans interruption d'un bout a l'autre. L'epaisseur est de 11m,50, la hauteur moyenne de 9 metres; des rampes larges et commodes menent an chemin de ronde. Les portes sont placees irregulierement, une sur chacune des faces nord, est et ouest; la face meridionale n'en avait point. Elles sont trop mal conservees pour qu'on en reconnaisse le plan. L'enceinte renfermait une population considerable, mais inegalement repartie; le gros etait concentre au nord et a l'ouest, ou les fouilles ont decouvert les restes d'un grand nombre de maisons. Les temples etaient rassembles dans une enceinte carree, qui avait le meme centre que la premiere; c'etait comme un reduit, ou la garnison pouvait resister, longtemps apres que le reste de la ville etait aux mains des ennemis. [Illustration: Fig. 29] Le trace a angle droit, excellent en plaine, n'etait pas souvent applicable en pays accidente; lorsque le point a fortifier etait sur une colline, les ingenieurs egyptiens savaient adapter la ligne de defense au relief du terrain. A Kom-Ombo (Fig.30), les murs suivent exactement le contour de la butte isolee sur laquelle la ville etait perchee, et presentaient a l'Orient un front herisse de saillies irregulieres, dont le dessin rappelle grossierement celui de nos bastions. A Koummeh et a Semneh, en Nubie, a l'endroit ou le Nil s'echappe des rochers de la seconde cataracte, les dispositions sont plus ingenieuses et temoignent d'une veritable habilete. Le roi Ousirtasen III avait fixe en cet endroit la frontiere de l'Egypte; les forteresses qu'il y construisit devaient barrer la voie d'eau aux flottes des Negres voisins. A Koummeh, sur la rive droite, la position etait naturellement tres forte (Fig.31). Sur une eminence bordee de rochers abrupts, on dessina un carre irregulier de 60 metres environ de cote; deux contreforts allonges dominent, l'un, an nord, les sentiers qui conduisent a la porte, l'autre, au sud, le cours du fleuve. L'avant-mur s'eleve a 4 metres en avant et suit fidelement le mur principal, sauf en deux points, aux angles nord-ouest et sud-est, ou il presente deux saillies en forme de bastion. Sur l'autre rive, a Semneh, la position etait moins bonne; le cote oriental etait protege par une ceinture de rochers qui descend a pic jusqu'au fleuve, mais les trois autres faces etaient a peu pres nues (Fig.32). Un mur droit, haut de 15 metres environ, fut etabli le long du Nil; an contraire, les murs tournes vers la plaine monterent jusqu'a la hauteur de 25 metres et se herisserent de contreforts, longs de 15 metres, epais de9 metres a la base et de 4 metres au sommet et disposes a intervalles irreguliers selon les besoins de la defense. Ces eperons, non garnis de parapets, tenaient lieu de tours: ils augmentaient la force du trace, defendaient l'acces du chemin de ronde et battaient en flanc les soldats qui auraient voulu tenter une attaque de haute main contre l'enceinte continue. L'intervalle qui les separe est calcule de maniere que les archers puissent balayer de leurs fleches tout le terrain compris entre eux. Courtines et saillants sont en briques crues entremelees de poutres couchees horizontalement dans la maconnerie; la surface exterieure en est formee de deux parties, l'une a peu pres verticale, l'autre inclinee de 160 degres environ sur la premiere, ce qui rendait l'escalade sinon impossible, au moins fort difficile. Interieurement tout l'espace compris dans l'enceinte avait ete hausse presque jusqu'au niveau du chemin de ronde, en maniere de terre-plein (Fig.33). Au dehors, l'avant-mur en pierres seches etait separe du corps de la place par un fosse de 30 a 40 metres de large; il epousait assez exactement le contour general et dominait la plaine de 2 ou 3 metres, selon les endroits; vers le nord, il etait coupe par le chemin tournant qui descend en plaine. Ces dispositions, si habiles qu'elles fussent, n'empecherent point la place de succomber; une large breche pratiquee an sud, entre les deux saillants les plus rapproches du fleuve, marque le point d'attaque choisi par l'ennemi. [Illustration: Fig. 30] [Illustration: Fig. 31] [Illustration: Fig. 32] [Illustration: Fig. 33--Coupe du terre-plein, sur A B du plan precedent.] Les grandes guerres entreprises en Asie sous la XVIIIe dynastie revelerent aux Egyptiens des formes nouvelles de fortifications. Les nomades de la Syrie meridionale avaient des fortins ou ils se refugiaient sous la menace de l'invasion (Fig.34). Les villes cananeennes et hittites, Ascalon, Dapour, Merom, etaient entourees de murailles puissantes, le plus souvent en pierre et flanquees de tours (Fig.35); celles d'entre elles qui s'elevaient en plaine, comme Qodshou, etaient enveloppees d'un double fosse rempli d'eau (Fig.36). Les Pharaons transporterent dans la vallee du Nil les types nouveaux, dont ils avaient eprouve l'efficacite dans leurs campagnes. Des les commencements de la XIXe dynastie, la frontiere orientale du Delta, la plus faible de toutes, etait couverte d'une ligne de forts analogues aux forts cananeens; non contents de prendre la chose, les Egyptiens avaient pris le mot et donnaient a ces tours de garde le nom semitique de _magadilou_. La brique ne parut plus des lors assez solide, au moins pour les villes exposees aux incursions des peuplades asiatiques, et les murs d'Heliopolis, ceux de Memphis meme, se revetirent de pierre. Rien ne nous est reste jusqu'a present de ces forteresses nouvelles, et nous en serions reduits a nous figurer, d'apres les peintures, l'aspect qu'elles pouvaient avoir, si un caprice royal ne nous en avait laisse un modele dans un des endroits ou on s'attendait le moins a le rencontrer, dans la necropole de Thebes. Quand Ramses III etablit son temple funeraire (Fig.37 et 38), il voulut l'envelopper d'une enceinte a l'apparence militaire, en souvenir de ses victoires syriennes. Un avant-mur en pierre, crenele, haut de 4 metres en moyenne, court le long du flanc est; la porte est pratiquee an milieu, sous la protection d'un gros bastion quadrangulaire. Elle etait large de 1 metre, et flanquee de deux petits corps de garde oblongs, dont les terrasses s'elevent d'environ 1m,50 au-dessus du rempart. Des qu'on l'a franchie, on se trouve devant un veritable _Migdol_: deux corps de logis, embrassant une cour qui va se retrecissant par ressauts, et reunis par un batiment a deux etages, perce d'une porte longue. Les faces orientales des tours sont assises sur un soubassement incline en talus, haut de 5 metres environ. Il etait a deux fins: d'abord il augmentait la force de resistance du mur a l'endroit ou on pouvait le saper, ensuite les projectiles qu'on jetait d'en haut, ricochant avec force sur l'inclinaison du plan, tenaient l'assaillant a distance. La hauteur totale est de 22 metres, et la largeur de 25 metres sur le devant; les portions situees sur le derriere, a droite et a gauche de la porte, ont ete detruites des l'antiquite. Les details de l'ornementation sont adaptes au caractere moitie religieux, moitie triomphal de l'edifice; il n'est pas probable que les forteresses reelles fussent decorees de consoles et de bas-reliefs analogues a ceux qu'on voit sur les cotes de la place d'armes. Tel qu'il est, le _pavillon_ de Medinet-Habou est un exemple unique des perfectionnements que les Pharaons conquerants avaient apportes a l'architecture militaire. [Illustration: Fig. 34] [Illustration: Fig. 35--La ville de Dapour.] [Illustration: Fig. 36] [Illustration: Fig. 37--Plan du pavillon de Medinet-Habou.] [Illustration: Fig. 38] Passe le regne de Ramses III, les documents nous font presque entierement defaut. Vers la fin du XIe siecle avant notre ere, les grands pretres d'Ammon reparerent les murs de Thebes, de Gebelein et d'El-Hibeh en face de Feshn. Le morcellement du pays sous les successeurs de Sheshonq obligea les princes des nomes a augmenter le nombre des places fortes; la campagne de Pionkhi, sur les bords du Nil, est une suite de sieges heureux. Rien, toutefois, ne nous autorise a penser que l'art de la fortification ait fait alors des progres sensibles: quand les Pharaons grecs se substituerent aux indigenes, ils le trouverent probablement tel que l'avaient constitue les ingenieurs de la XIXe et de la XXe dynastie. 3.--LES TRAVAUX D'UTILITE PUBLIQUE. Un reseau permanent de routes est inutile dans un pays comme l'Egypte; le Nil y est le chemin naturel du commerce, et des sentiers courant entre les champs suffisent a la circulation des hommes, a la menee des bestiaux, au transport des denrees de village a village. Des bacs payants pour passer d'une rive a l'autre du fleuve, des gues partout ou le peu de profondeur des eaux le permettait, des levees de terre jetees a demeure en travers des canaux, completaient le systeme. Les ponts etaient rares; on n'en connait jusqu'a present qu'un seul sur le territoire egyptien, encore ne sait-on s'il etait long ou court, en pierre ou en bois, supporte d'arches ou lance d'une volee. Il franchissait, sous les murs memes de Zarou, le canal qui separait le front oriental du Delta des regions desertes de l'Arabie Petree; une enceinte fortifiee en couvrait le debouche du cote de l'Asie (Fig.39). L'entretien des voies de communication, qui coute si cher aux peuples modernes, entrait donc pour une tres petite part dans la depense des Pharaons; trois grands services restaient seuls a leur charge, celui des entrepots, celui des irrigations, celui des mines et carrieres. [Illustration: Fig. 39] Les impots etaient percus et les traitements des fonctionnaires payes en nature. On distribuait chaque mois aux ouvriers du ble, de l'huile et du vin, de quoi nourrir leur famille, et, du haut en has de l'echelle hierarchique, chacun recevait en echange de son travail des bestiaux, des etoffes, des objets manufactures, certaines quantites de cuivre ou de metaux precieux. Les employes du fisc devaient donc avoir a leur disposition de vastes magasins ou serrer les parties rentrees de l'impot. Chaque categorie avait son quartier distinct, clos de murs et fourni de gardiens vigilants, larges etables pour les betes, celliers ou les amphores etaient empilees en couches regulieres ou pendues en ligne le long des murs, avec la date de la recolte ecrite sur la panse (Fig.40), greniers en forme de four, ou le grain etait verse par une lucarne pratiquee dans le haut et sortait par une trappe menagee pres du sol (Fig.41). A Toukou, la Pithom de M. Naville, ce sont des chambres rectangulaires (Fig.42), de taille differente, jadis parquetees et sans communication l'une avec l'autre: le ble, introduit par le toit, suivait, pour ressortir, le chemin qu'il avait pris pour entrer. Au Ramesseum de Thebes, des milliers d'ostraca et de tampons de jarres ramasses sur les lieux prouvent que les ruines en briques situees immediatement derriere le temple renfermaient les celliers du dieu; les chambres sont de longs couloirs voutes, accoles l'un a l'autre et surmontes autrefois d'une plate-forme unie (Fig.43). Philae, Ombos, Daphnae, la plupart des villes frontieres du Delta possedent des entrepots de ce genre, et l'on en decouvrira bien d'autres le jour ou l'on s'avisera de les chercher serieusement. [Illustration: Fig. 40] [Illustration: Fig. 41] [Illustration: Fig. 42] [Illustration: Fig. 43] Le regime des eaux ne s'est pas modifie sensiblement depuis l'antiquite. Quelques canaux ont ete creuses, un plus grand nombre se sont bouches par la negligence des maitres du pays; mais les traces et les methodes de percement sont demeures les memes. Elles n'exigent point de travaux d'art considerables. Partout ou j'ai pu etudier les vestiges de canaux anciens, je n'ai releve aucune trace de maconnerie aux prises d'eau ou sur les points faibles du parcours. Ce sont de simples fosses a pic, larges de 6 a 20 metres; les terres extraites pendant l'operation etaient rejetees a droite et a gauche, et formaient, au-dessus de la berge, des talus irreguliers de 2 a 4 metres de haut. Ils marchent en ligne droite, mais sans obstination; le moindre mouvement de terrain les decide a devier et a decrire des courbes immenses. Des digues, tirees capricieusement de la montagne au Nil, les coupent d'espace en espace et divisent la vallee en bassins, ou l'eau sejourne pendant les mois d'inondation. Elles sont d'ordinaire en terre, quelquefois en briques cuites, comme dans la province de Girgeh, tres rarement en pierre de taille, comme cette digue de Kosheish que Mini construisit au debut des temps, afin de detourner a l'orient la branche principale du Nil, et d'assainir l'emplacement ou il fonda Memphis. Le reseau avait son origine pres du Gebel-Silsileh, et courait jusqu'a la mer sans s'ecarter du fleuve, si ce n'est une fois pres de Beni-Souef, pour jeter un de ses bras dans la direction du Fayoum. Il franchissait la montagne pres d'Illahoun, par une gorge etroite et sinueuse, approfondie peut-etre a main d'homme, et se ramifiant en patte d'oie; les eaux, apres avoir arrose le canton, s'ecoulaient, les plus proches dans le Nil, par la route meme qui les avait amenees; les autres, dans plusieurs lacs sans issue, dont le plus grand s'appelle aujourd'hui Birket-Qeroun. S'il fallait en croire Herodote, les choses ne se seraient point passees aussi simplement. Le roi Moeris aurait voulu etablir au Fayoum un reservoir destine a corriger les irregularites de l'inondation; on l'appelait, d'apres lui, le lac Moeris. La crue etait-elle insuffisante? L'eau, emmagasinee dans ce bassin, puis relachee au fur et a mesure que le besoin s'en faisait sentir, maintenait le niveau a hauteur convenable sur toute la moyenne Egypte et sur les regions occidentales du Delta. L'annee d'apres, si la crue s'annoncait trop forte, le Moeris en recevait le surplus et le gardait jusqu'au moment ou le fleuve commencait a baisser. Deux pyramides, couronnees chacune d'un colosse assis, representant le roi fondateur et sa femme, se dressaient au milieu du lac. Voila le recit d'Herodote: il a singulierement embarrasse les ingenieurs et les geographes. Comment en effet trouver dans le Fayoum un emplacement convenable pour un bassin qui n'avait pas moins de quatre-vingt-dix milles de pourtour? La theorie la plus accreditee de nos jours est celle de Linant, d'apres laquelle le Moeris aurait occupe une depression de terrain le long de la chaine libyque, entre Illahoun et Medineh; mais les explorations les plus recentes ont montre que les digues assignees pour limites a ce pretendu reservoir sont modernes et n'ont peut-etre pas deux siecles de duree. Je ne crois plus a l'existence du Moeris. Si Herodote a jamais visite le Fayoum, cela a du etre pendant l'ete, au temps du haut Nil, quand le pays entier offre l'aspect d'une veritable mer. Il a pris pour la berge d'un lac permanent les levees qui divisent les bassins et font communiquer les villes entre elles. Son recit, repete par les ecrivains anciens, a ete accepte par nos contemporains, et l'Egypte, qui n'en pouvait mais, a ete gratifiee apres coup d'une oeuvre gigantesque, dont l'execution aurait ete le vrai titre de gloire de ses ingenieurs, si elle avait jamais existe. Les seuls travaux qu'ils aient entrepris en ce genre ont de moindres pretentions; ce sont des barrages en pierre eleves a l'entree de plusieurs des Ouadys qui descendent des montagnes jusque dans la vallee. L'un des plus importants a ete signale en 1885 par le docteur Schweinfurth, a sept kilometres au sud-est des bains d'Helouan, au debouche de l'Ouady Guerraoui (Fig.44). [Illustration: Fig. 44] Il servait a deux fins, d'abord a emmagasiner de l'eau pour les ouvriers qui exploitaient les carrieres d'albatre cristallin d'ou sont sortis les blocs les plus grands des pyramides de Gizeh, puis a retenir les torrents qui se forment parfois dans le desert a la suite des pluies de l'hiver et du printemps. Le ravin qu'il fermait a soixante-six metres de large et douze ou quinze, metres de hauteur moyenne. Trois couches successives d'une epaisseur totale de quarante-cinq metres avaient ete jugees suffisantes: en aval, une masse d'argile et de debris tires des berges (A), puis un amas de gros blocs calcaires, enfin un mur de pierre de taille, dont les assises, disposees en retraite l'une sur l'autre, simulaient une sorte d'escalier monumental (B). Trente-deux degres subsistent encore, sur trente-cinq qu'il y avait primitivement, et un quart environ du barrage s'est maintenu dans le voisinage de chacune des berges; le torrent a balaye la partie du milieu (Fig.45). Une digue analogue avait transforme le fond de l'Ouady Genneh en un petit lac ou les mineurs du Sinai venaient s'approvisionner d'eau. La plupart des localites d'ou l'Egypte tirait ses metaux et ses pierres de choix etaient d'acces malaise et n'auraient ete d'aucun profit, si on n'avait eu soin d'en faciliter les avenues et d'en rendre le sejour moins insupportable par des travaux de ce genre. Pour aller chercher le diorite et le granit gris de l'Ouady Hammamat, les Pharaons avaient jalonne la route de citernes taillees dans le roc. Quelques maigres sources, captees habilement et recueillies dans des reservoirs, avaient permis d'etablir des villages entiers d'ouvriers aux carrieres et aux mines d'or ou d'emeraude des bords de la mer Rouge; des centaines d'engages volontaires, d'esclaves ou de criminels condamnes par les tribunaux y vivaient miserablement, sous le baton d'une dizaine de chefs de corvee, et sous la surveillance brutale d'une compagnie de soldats mercenaires, libyens ou negres. La moindre revolution en Egypte, une guerre malheureuse, un changement de regne trouble, compromettait l'existence factice de ces etablissements: les ouvriers desertaient, les Bedouins harcelaient la colonie, les garde-chiourme s'impatientaient et rentraient dans la vallee du Nil, et l'exploitation cessait de se faire regulierement. Aussi, les pierres de choix qu'on ne trouvait qu'au desert, le diorite, le basalte, le granit noir, le porphyre, les breches vertes ou jaunes, n'etaient-elles pas d'usage frequent en architecture; comme il fallait mettre sur pied, pour les avoir, de veritables expeditions de soldats et d'ouvriers, on les reservait aux sarcophages et aux statues de prix. Les carrieres de calcaire, de gres, d'albatre, de granit rose, qui ont fourni les materiaux des temples et des monuments funeraires, etaient toutes dans la vallee et d'abord facile. Quand la veine qu'on avait resolu d'attaquer courait dans une des couches basses de la montagne, on y creusait des couloirs et des chambres qui s'enfoncent parfois assez loin. Des piliers carres, menages d'espace en espace, soutenaient le plafond, et des steles, gravees aux endroits les plus apparents, apprenaient a la posterite le nom du roi et des ingenieurs qui avaient commence ou repris les travaux. Plusieurs de ces carrieres epuisees ou abandonnees ont ete transformees en chapelles; ainsi le Speos-Artemidos, que Thoutmos III et Seti Ier consacrerent a la deesse locale Pakhit. Les plus importantes de celles qui donnaient le calcaire sont a Tourah et a Massarah, presque en face de Memphis. La pierre en etait tres recherchee des sculpteurs et des architectes; elle se prete merveilleusement a toutes les delicatesses du ciseau, durcit a l'air et se revet d'une patine dont les tons cremeux reposent l'oeil. Les gisements de gres les plus vastes etaient a Silsilis (Fig.46), et on les exploitait a ciel ouvert. Ils offrent des escarpements de quinze a seize metres, quelquefois dresses a pic dans toute leur hauteur, quelquefois divises en etages ou l'on arrive au moyen d'escaliers a peine assez larges pour un seul homme. Les parois en sont couvertes de stries paralleles, tantot horizontales, tantot inclinees alternativement de gauche a droite ou de droite a gauche, de maniere a former des lignes de chevrons tres obtus, et serrees, comme en un cadre rectangulaire, entre des rainures larges de trois ou quatre centimetres, longues de deux ou meme de trois metres; ce sont les cicatrices de l'outil antique, et elles nous montrent comment les Egyptiens s'y prenaient pour detacher les blocs. On les dessinait sur place a l'encre rouge, quelquefois en la forme qu'ils devaient avoir dans l'edifice projete; les membres de la commission d'Egypte copierent dans les carrieres du Gebel Abou-Fodah les epures et la mise au carreau de plusieurs chapiteaux, un lotiforme, les autres a tete d'Hathor (Fig.47). Ce premier travail acheve, on separait les faces verticales a l'aide d'un long ciseau en fer qu'on enfoncait perpendiculairement ou obliquement a grands coups de maillet; pour detacher les faces horizontales, on se servait uniquement de coins en bois ou en bronze, disposes dans le sens des couches de la montagne. Les blocs recevaient souvent une premiere facon sur le lit; on voit a Syene un obelisque de granit, a Tehneh des futs de colonne a demi degages. Le transport s'operait de diverses manieres. A Syene, a Silsilis, au Gebel Sheikh Haridi, au Gebel Abou-Fodah, les carrieres sont baignees litteralement par les flots du Nil et la pierre descend presque directement de sa place aux chalands. A Kasr-es-Sayad, a Tourah, dans les localites eloignees de la rive, des canaux creuses expres amenaient les barques jusqu'au pied de la montagne. Ou l'on devait renoncer au transport par eau, la pierre etait chargee sur des traineaux tires par des boeufs (Fig.48), ou cheminait jusqu'a destination a bras d'homme et sur des rouleaux. [Illustration: Fig. 45] [Illustration: Fig. 46] [Illustration: Fig. 47] [Illustration: Fig. 48] CHAPITRE II L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE La brique fait presque tous les frais de l'architecture civile et militaire; elle ne joue qu'un role secondaire dans l'architecture religieuse. Les Pharaons avaient l'ambition d'elever aux dieux des demeures eternelles, et la pierre seule leur paraissait assez durable pour resister aux attaques des hommes et du temps. 1.--MATERIAUX ET ELEMENTS DE LA CONSTRUCTION. C'est un prejuge de croire que les Egyptiens ne mettaient en oeuvre que des blocs de dimensions considerables. La grosseur de leurs materiaux variait beaucoup selon l'usage auquel ils les destinaient. Les architraves, les futs de colonnes, les linteaux et les montants de porte atteignaient quelquefois des dimensions considerables. Les architraves les plus longues que l'on connaisse, celles qui recouvrent l'allee centrale de la salle hypostyle a Karnak, ont en moyenne 9m,20; elles representent chacune une masse de 31 metres cubes et un poids de 65,000 kilogrammes environ. D'ordinaire, les blocs ne sont pas beaucoup plus forts que ceux dont on se sert aujourd'hui en France; la hauteur en est de 0m,80 a 1m,20, la longueur de 1 metre a 2m,50, l'epaisseur de 0m,50 a 1m,80. Quelques temples sont en une seule sorte de pierre; le plus souvent, les materiaux d'espece differente sont juxtaposes a proportions inegales. Ainsi, le gros oeuvre des temples d'Abydos est un calcaire tres fin; les colonnes, les architraves, les montants et les linteaux des portes, toutes les parties ou l'on craignait que le calcaire n'eut pas une force de resistance suffisante, sont en gres dans l'edifice de Seti Ier, en gres, en granit ou en albatre dans celui de Ramses II. A Karnak, a Louxor, a Tanis, a Memphis, on remarque des melanges analogues; au Ramesseum et dans quelques temples de Nubie, les colonnes reposent sur des massifs de briques crues. La pierre a pied d'oeuvre, les ouvriers la taillaient avec plus ou moins de soin, selon qu'elle devait occuper telle ou telle position. Quand les murs etaient de mediocre epaisseur, comme c'est generalement le cas des murs de refend, on la parait exactement sur toutes les faces. Lorsqu'ils etaient epais, les blocs du noyau etaient degrossis de maniere a rappeler le plus possible la forme cubique et a s'empiler les uns sur les autres sans trop de difficulte, sauf a combler les vides avec des eclats plus petits, du caillou, du ciment; on coupait ceux du parement avec soin sur la face destinee a etre vue, on dressait les joints aux deux tiers ou aux trois quarts de la longueur, et on piquait simplement le reste de la queue. Les pieces les plus fortes etaient reservees aux parties basses des edifices, et cette precaution etait d'autant plus necessaire que les architectes d'epoque pharaonique ne descendaient pas les fondations des temples beaucoup plus qu'ils ne faisaient celles des maisons. A Karnak, elles ne s'enfoncent guere qu'a 2 ou 3 metres; a Louxor, dans la partie qui borde le fleuve, trois assises d'environ 0m,80 de haut chacune forment un patin gigantesque sur lequel reposent les murs; au Ramesseum, la couche de briques seches sur laquelle pose la colonnade ne parait pas avoir plus de 2 metres; ce sont la des profondeurs insignifiantes, mais l'experience des siecles a prouve qu'elles suffisaient. L'humus compact et dur qui compose partout le sol de la vallee subit chaque annee, au moment du retrait des eaux, une contraction qui le rend a peu pres incompressible; le poids des maconneries, augmentant graduellement au cours de la construction, lui fait bientot atteindre le maximum de tassement et acheve d'assurer a l'edifice une assiette solide. Partout ou j'ai mis au jour le pied des murs, j'ai constate qu'ils n'avaient pas bouge. Le systeme de construction des anciens Egyptiens ressemble par bien des points a celui des Grecs. Les pierres y sont souvent posees a joint vif, sans lien d'aucune sorte, et le macon se fie au poids propre des materiaux pour les tenir en place. Parfois elles sont attachees par des crampons en metal, ou, comme dans le temple de Seti Ier a Abydos, par des queues d'aronde en bois de sycomore au cartouche du roi fondateur. D'ordinaire, elles sont comme soudees les unes aux autres par des couches de mortier plus ou moins epaisses. Tous les mortiers dont j'ai recueilli les echantillons sont jusqu'a present de trois sortes: les uns, blancs et reduits aisement en poudre impalpable, ne contiennent que de la chaux; les autres, gris et rudes au toucher, sont meles de chaux et de sable; les autres doivent leur aspect rougeatre a la poudre de brique pilee dont ils sont penetres. Grace a l'emploi judicieux de ces procedes divers, les Egyptiens ont su, quand ils le voulaient, appareiller aussi bien que les Grecs des assises regulieres, a blocs egaux, a joints verticaux symetriquement alternes; s'ils ne l'ont pas toujours fait, cela tient surtout a l'imperfection des moyens mecaniques dont ils disposaient. Les murs d'enceinte, les murs de refend, ceux des facades secondaires etaient perpendiculaires au sol; on se servait pour elever les materiaux d'une chevre grossiere plantee sur la crete. Les murs des pylones, ceux des facades principales, parfois meme ceux des facades secondaires etaient en talus, selon des pentes variables au gre de l'architecte; on etablissait pour les construire des plans inclines, dont les rampes s'allongeaient a mesure que montait le monument. Les deux methodes etaient egalement dangereuses; si soigneusement qu'on enveloppat les blocs, ils couraient le risque de perdre en chemin leurs aretes et leurs angles, ou meme de se briser en eclats. Il fallait presque toujours les retoucher, et le desir d'avoir le moins de dechet possible portait l'ouvrier a leur preter des coupes anormales (Fig.49). On retaillait en biseau une des faces laterales, et le joint, au lieu d'etre vertical, s'inclinait sur le lit. Si la pierre n'avait plus la hauteur ou la largeur voulue, on rachetait la difference au moyen d'une dalle complementaire. Parfois meme, on laissait subsister une saillie, qui s'emboitait, pour ainsi dire, dans un creux correspondant, menage a l'assise superieure ou inferieure. Ce qui n'etait d'abord qu'accident devenait bientot negligence. Les macons, qui avaient hisse par inadvertance un bloc trop gros, ne se souciaient pas de le redescendre, et se tiraient d'affaire avec l'un des expedients dont je viens de parler. L'architecte ne surveillait pas assez attentivement la taille et la pose des pierres. Il souffrait que les assises n'eussent pas toutes la meme hauteur, et que les joints verticaux de deux ou trois d'entre elles fussent dans un meme prolongement. Le gros oeuvre acheve, on ravalait la pierre, on reprenait les joints, on les noyait sous une couche de ciment ou de stuc, colore a la teinte de l'ensemble, et qui dissimulait les fautes du premier travail. Les murs ne se terminent presque jamais en arete vive. Ils sont comme cernes d'un tore autour duquel court un ruban sculpte, et couronnes soit de la gorge evasee que surmonte une bande plate (Fig.50), soit, comme a Semneh, d'une corniche carree, soit, comme a Medinet-Habou, d'une ligne de creneaux. Ainsi encadres, on dirait autant de panneaux unis, leves chacun sur un seul bloc, sans saillies et presque sans ouvertures. Les fenetres, toujours tres rares, ne sont que de simples soupiraux, destines a eclairer des escaliers comme au second pylone d'Harmhabi, a Karnak, ou a recevoir des pieces de charpente decorative les jours de fete. Les portes ne presentent que peu de relief sur le corps de l'edifice (Fig.51), sauf le cas ou le linteau est surhausse de la gorge et de la plate-bande. Seul, le pavillon de Medinet-Habou possede des fenetres reelles; mais il etait construit sur le plan d'une forteresse et ne doit etre range qu'a titre d'exception parmi les monuments religieux. [Illustration: Fig. 49] [Illustration: Fig. 50] [Illustration: Fig. 51] Le sol des cours et des salles etait revetu de dalles rectangulaires assez regulierement ajustees, sauf dans l'intervalle des colonnes ou, desesperant de raccorder a l'ensemble les lignes courbes de la base, les architectes ont accumule des fragments de petite dimension sans ordre ni methode (Fig.52). Au contraire de ce qu'ils pratiquaient pour les maisons, ils n'ont presque jamais employe la voute dans les temples. On ne la rencontre guere qu'a Deir-el-Bahari et dans les sept sanctuaires paralleles d'Abydos, encore est-elle obtenue par encorbellement. La courbe en est dessinee dans trois ou quatre assises horizontales, placees en porte a faux l'une au-dessus de l'autre, puis evidees au ciseau, suivant une ligne continue (Fig.53). La couverture ordinaire consiste en dalles plates juxtaposees. Quand les vides entre les murs ne sont pas trop considerables, elle les franchit d'une seule volee; sinon, on l'etayait de supports d'autant plus multiplies que l'espace a couvrir est plus etendu. Ils etaient alors relies par d'immenses poutres en pierre, les architraves, sur lesquelles s'appuient les dalles dont le toit se compose. [Illustration: Fig. 52] [Illustration: Fig. 53] Les supports sont de deux types differents: le pilier et la colonne. On en connait d'un seul bloc. Les piliers du temple du Sphinx, les plus anciens qui aient ete decouverts jusqu'a present, ont 5 metres de hauteur sur 1m,40 de cote. Des colonnes en granit rose, eparses au milieu des ruines d'Alexandrie, de Bubaste, de Memphis, et qui remontent aux regnes d'Harmhabi et de Ramses II, mesurent 6 et 8 metres d'une meme venue. Ce n'est la qu'une exception. Colonnes et piliers sont batis en assises souvent inegales et irregulieres, comme celles des murailles environnantes. Les grandes colonnes de Louxor ne sont pleines qu'au tiers du diametre: elles ont un noyau de ciment jaunatre, qui n'a plus de consistance et tombe en poudre sous les doigts. Le chapiteau de la colonne de Taharqou, a Karnak, contient trois assises hautes chacune d'environ 0m,123. La derniere, la plus saillante, se compose de vingt-six pierres, dont les joints verticaux tendent au centre, et qui ne sont maintenues en place que par le poids du de superpose. Les memes negligences que nous avons signalees dans l'appareil des murs, on les retrouve toutes dans celui des colonnes. Le pilier quadrangulaire, a cotes paralleles ou legerement inclines, le plus souvent sans base ni chapiteau, est frequent dans les tombes de l'ancien Empire. Il apparait encore a Medinet-Habou, dans le temple de Thoutmos III, ou a Karnak, dans ce qu'on appelle le promenoir. Les faces en sont souvent habillees de tableaux peints ou de legendes, et la face exterieure recoit un motif special de decoration: des tiges de lotus ou de papyrus en saillie, sur les piliers-steles de Karnak, une tete d'Hathor coiffee du sistre, au petit speos d'Ibsamboul (Fig.54), une figure debout, Osiris dans la premiere cour de Medinet-Habou, Bisou a Denderah et au Gebel-Barkal. A Karnak, dans l'edifice construit probablement par Harmhabi avec les debris d'un sanctuaire d'Amenhotpou II, le pilier est surmonte d'une gorge qu'un mince abaque separe de l'architrave (Fig.55). Abattant les quatre angles, on le transforme en un prisme octogonal; puis, abattant les huit angles nouveaux, en un prisme a seize pans. C'est le type de certains piliers des tombeaux d'Assouan et de Beni-Hassan; du promenoir de Thoutmos III, a Karnak (Fig.56), et des chapelles de Deir-el-Bahari. A cote de ces formes regulierement deduites on en remarque dont la derivation est irreguliere, a six pans, a douze, a quinze, a vingt, ou qui aboutissent presque au cercle parfait. Les piliers du portique d'Osiris a Abydos sont au terme de la serie; le corps en offre une section curviligne a peine interrompue par une bande lisse aux deux extremites d'un meme diametre. Le plus souvent les pans se creusent legerement en cannelures; parfois, comme a Kalabsheh, les cannelures sont divisees en quatre groupes de cinq par autant de bandes (Fig.57). Le pilier polygonal a toujours un socle large et bas, arrondi en disque. A El-Kab, il porte une tete d'Hathor appliquee a la face anterieure (Fig.58). Presque partout ailleurs, il est surmonte d'un simple tailloir carre qui le reunit a l'architrave. Ainsi constitue, il presente un air de famille avec la colonne dorique, et l'on comprend que Jomard et Champollion ont pu lui donner, dans l'enthousiasme de la decouverte, le nom peu justifie de _dorique primitif_. [Illustration: Fig. 54] [Illustration: Fig. 55] [Illustration: Fig. 56] [Illustration: Fig. 57] [Illustration: Fig. 58] La colonne ne repose pas immediatement sur le sol. Elle est toujours pourvue d'un socle analogue a celui du pilier polygonal, au profil tantot droit, tantot legerement arrondi, nu ou sans autre ornement qu'une ligne d'hieroglyphes. Les formes principales se ramenent a trois types: 1 deg. la colonne a chapiteau en campane; 2 deg. la colonne a chapiteau en bouton de lotus; 3 deg. la colonne hathorique. 1 deg. _Colonne a chapiteau campaniforme_.--D'ordinaire, le fut est lisse ou simplement grave d'ecriture et de bas-reliefs. Quelquefois pourtant, ainsi a Medamout, il est compose de six grandes et de six petites colonnettes alternees. Aux temps pharaoniques, il s'arrondit, par le bas, en bulbe decore de triangles curvilignes enchevetres, simulant de larges feuilles; la courbe est alors calculee de telle sorte que le diametre inferieur soit sensiblement egal au diametre superieur. A l'epoque ptolemaique, le bulbe disparait souvent, probablement sous l'influence des idees grecques: les colonnes qui bordent la premiere cour du temple d'Edfou s'enlevent d'aplomb sur leur socle. Le fut subit toujours une diminution de la base au sommet. Il se termine par trois ou cinq plates-bandes superposees. A Medamout, ou il est fascicule, l'architecte a pense sans doute qu'une seule attache au sommet paraitrait insuffisante a maintenir les douze colonnettes, et il a indique deux autres anneaux de plates-bandes a intervalles reguliers. Le chapiteau, evase en forme de cloche, est garni a la naissance d'une rangee de feuilles, semblables a celles de la base, et sur lesquelles s'implantent des tiges de lotus et de papyrus en fleurs et en boutons. La hauteur et la saillie sur le nu de la colonne varient au gre de l'architecte. A Louxor, les campanes ont 3m,50 de diametre a la gorge, 5m,50 a la partie superieure, et une hauteur de 3m,50; a Karnak, dans la salle hypostyle, la hauteur est de 3m,75 et le plus grand diametre de 21 pieds. Un de cubique surmonte le tout. Il est assez peu eleve et presque entierement masque par la courbure du chapiteau; rarement, comme au petit temple de Denderah, il s'eleve et recoit sur chaque face une figure du dieu Bisou (Fig.59). [Illustration: Fig. 59] La colonne a chapiteau campaniforme (Fig.60) se rencontre de preference dans la travee centrale des salles hypostyles, a Karnak, au Ramesseum, a Louxor; mais elle n'est pas restreinte a cet emploi, et on la voit dans les portiques, a Medinet-Habou, a Edfou, a Philae. Le promenoir de Thoutmos III, a Karnak, en renferme une variete des plus curieuses (Fig.61): la campane est retournee, et la partie amincie du fut s'enfonce dans le socle, tandis que la partie la plus large se soude a l'evasement du chapiteau. Cet arrangement disgracieux n'eut pas de succes; on n'en trouve aucune trace hors du promenoir. D'autres innovations furent plus heureuses, celles surtout qui permirent aux artistes de grouper autour de la campane des elements empruntes a la flore du pays. C'est d'abord, a Soleb, a Sesebi, a Bubaste, a Memphis, une bordure de palmes plantees droites sur les bandes plates et dont la tete se courbe sous le poids de l'abaque (Fig.62). Plus tard, aux approches de l'epoque ptolemaique, des regimes de dattes (Fig.63) et des lotus entr'ouverts vinrent s'ajouter aux branches de palmier. Sous les Ptolemees et sous les Cesars, le chapiteau finit par devenir une veritable corbeille de fleurs et de feuilles etalees regulierement et peintes des couleurs les plus vives (Fig.64). A Edfou, a Ombos, a Philae, on dirait que le constructeur s'est jure de ne pas repeter deux fois une meme coupe de chapiteau d'un meme cote du portique. [Illustration: Fig. 60] [Illustration: Fig. 61] [Illustration: Fig. 62] [Illustration: Fig. 63] [Illustration: Fig. 64] 2 deg. _Colonne a chapiteau lotiforme_.--Elle representait peut-etre a l'origine un faisceau de tiges de lotus dont les boutons, serres au cou par un lien, se reunissent en bouquet pour former le chapiteau. La colonne de Beni-Hassan comporte quatre tiges arrondies (Fig.65). Celles du labyrinthe, celles du promenoir de Thoutmos III, celles de Medamout en ont huit qui presentent a la surface une arete saillante (Fig.66). Le pied est bulbeux et pare de feuilles triangulaires. La gorge est entouree de trois ou de cinq anneaux. Une moulure, composee de trois bandes verticales accolees, descend du dernier de ces anneaux dans l'intervalle de deux tiges; c'est comme une frange qui garnit le haut de la colonne. Une surface aussi accidentee ne pretait guere a la decoration hieroglyphique; aussi en arriva-t-on progressivement a supprimer toutes les saillies et a lisser le pourtour du fut. Dans la salle hypostyle de Gournah, il est divise en trois segments: celui du milieu est uni et charge de sculptures, celui du haut et celui du bas sont encore fascicules. Au temple de Khonsou, dans les bas cotes de la salle hypostyle de Karnak, sous le portique de Medinet-Habou, le fut est entierement lisse; seulement la frange subsiste sous les anneaux, et une arete legere menagee de trois en trois bandes rappelle l'existence des tiges (Fig.67). Le chapiteau se degrade de la meme maniere. A Beni-Hassan, il est fascicule nettement dans toute sa hauteur. Au promenoir de Thoutmos III, a Louxor, a Medamout, un cercle de petites feuilles pointues et de cannelures regne autour de la base et amoindrit l'effet: ce n'est plus guere qu'un cone tronque et cotele. Dans la salle hypostyle de Karnak, a Abydos, au Ramesseum, a Medinet-Habou, des ornements de nature diverse, feuilles triangulaires, legendes hieroglyphiques, bandes de cartouches flanques d'uraeus, remplacent les cotes et se partagent l'espace conquis. L'abaque ne se dissimule pas comme dans la colonne campaniforme: il deborde hardiment et recoit la legende du roi fondateur. [Illustration: Fig. 65] [Illustration: Fig. 66] [Illustration: Fig. 67--Colonne des bas cotes de la salle hypostyle a Karnak.] 3 _La colonne hathorique_.--On en a des exemples aux temps anciens, dans le temple de Deir-el-Bahari; mais c'est par les monuments d'epoque ptolemaique, par Contra-Latopolis, par Philae, par Denderah surtout, qu'on la connait le mieux. Le fut et la base ne presentent aucun caractere special: c'est le fut et la base de la colonne campaniforme. Le chapiteau a deux etages. Au plus bas, un bloc carre, sur chaque face duquel une tete de femme, a oreilles pointues de genisse, se detache, en haut relief; la coiffure, maintenue sur le front par trois bandelettes verticales, passe derriere les oreilles et tombe le long du cou. Chaque tete porte une corniche cannelee, sur laquelle s'eleve un naos encadre entre deux volutes; un mince de carre couronne le tout (Fig.68). La colonne a donc pour chapiteau quatre tetes d'Hathor. Apercue de loin, elle rappelle immediatement a l'esprit un des sistres que les bas-reliefs nous montrent entre les mains des reines et des deesses. C'est un sistre en effet, mais ou les proportions normales des diverses parties ne sont pas observees: le manche est gigantesque, tandis que la moitie superieure de l'instrument est reduite outre mesure. Ce motif plut tellement qu'on n'hesita pas a le combiner avec des elements empruntes a d'autres ordres. Les quatre tetes d'Hathor, mises par-dessus un chapiteau campaniforme, fournirent le type composite que Nectanebo employa au pavillon de Philae (Fig.69). Je ne saurais dire que le melange soit tres satisfaisant: vue en place, la colonne est moins disgracieuse qu'on ne serait tente de le croire d'apres les gravures. [Illustration: Fig. 68] [Illustration: Fig. 69] Les supports ne sont pas soumis a des regles fixes de proportions et d'agencement. L'architecte pouvait attribuer, si cela lui plaisait, une hauteur egale a des supports de diametre tres different, et en dessiner chacun des elements a l'echelle qui lui convenait le mieux, sans autre souci que d'une certaine harmonie generale: les dimensions du chapiteau n'etaient pas en rapport immuable avec celles du fut, et la hauteur du fut ne dependait nullement du diametre de la colonne. A Karnak, les colonnes campaniformes de la salle hypostyle ont 3 metres de haut pour le chapiteau, un peu moins de 17 pour le fut, 3m,57 de diametre inferieur; a Louxor, 3m,50 pour le chapiteau, 15 pour le fut, 3m,45 au bulbe; au Ramesseum, 11 metres pour le chapiteau et pour le fut et 2 metres au bulbe. L'etude des colonnes lotiformes nous amene a des resultats semblables. A Karnak, sur les bas cotes de la salle hypostyle, elles ont 3 metres de haut pour le chapiteau, 10 pour le fut, 2m,08 de diametre sur le socle; au Ramesseum, 1m,70 pour le chapiteau, 7m,50 pour le fut, 1m,78 de diametre sur le socle. Meme irregularite dans la disposition des architraves: rien n'en determine l'elevation que le caprice du maitre ou les necessites de la construction. Meme irregularite dans les entre-colonnements: non seulement la largeur en differe beaucoup de temple a temple et de chambre a chambre, mais parfois, comme dans la premiere cour de Medinet-Habou, ils sont inegaux pour un meme portique. Voila pour les types employes separement. Quand on les associait dans un seul edifice, on ne s'astreignait pas a leur donner des proportions fixes par rapport l'un a l'autre. Dans la salle hypostyle de Karnak les colonnes a campanes soutiennent la travee la plus haute, et les colonnes en bouton de lotus sont releguees aux bas cotes (Fig.70). Il y a des salles du temple de Khonsou, ou c'est la colonne lotiforme qui est la plus elevee, d'autres ou c'est la colonne campaniforme. A Medamout, lotiformes et campaniformes ont partout la meme hauteur dans ce qui subsiste de l'edifice. L'Egypte n'a jamais eu d'ordres definis comme en a possede la Grece. Elle a essaye toutes les combinaisons auxquelles se pretaient les elements de la colonne, sans jamais en chiffrer aucune avec assez de precision pour qu'etant donne un des membres, on puisse en deduire, meme approximativement, les dimensions de tous les autres. [Illustration: Fig. 70--Coupe de la salle hypostyle de Karnak pour montrer l'agencement des deux ordres campaniforme et lotiforme.] 2.--LE TEMPLE. La plupart des sanctuaires celebres, Denderah, Edfou, Abydos, avaient ete fondes avant Mini par les _serviteurs d'Hor_; mais, vieillis ou ruines au cours des ages, ils avaient ete restaures, remanies, reconstruits l'un apres l'autre sur des devis nouveaux. Nul debris ne nous est reste de l'appareil primitif pour nous montrer ce que l'architecture egyptienne etait a ses commencements. Les temples funeraires batis par les rois de la IVe dynastie ont laisse plus de traces. Celui de la seconde pyramide, a Gizeh, etait assez bien conserve encore dans les premieres annees du XVIIIe siecle, pour que de Maillet y ait vu quatre gros piliers debout. La destruction est a peu pres complete aujourd'hui; mais cette perte a ete compensee, vers 1853, par la decouverte d'un temple situe a quarante metres environ au sud du Sphinx (Fig.71). La facade ne parait pas, cachee qu'elle est sous le sable; l'exterieur seul a ete deblaye en partie. Le noyau de la maconnerie est en calcaire fin de Tourah. Le revetement, les piliers, les architraves, la couverture, etaient en blocs d'albatre ou de granit gigantesques. Le plan est des plus simples. Au centre (A), une grande salle en forme de T, ornee de seize piliers carres, hauts de cinq metres; a l'angle nord-ouest, un couloir etroit, en plan incline (B) par lequel on penetre aujourd'hui dans l'edifice; a l'angle sud-ouest, un retrait qui contient six niches superposees deux a deux (C). Une galerie oblongue (D), ouverte a chaque extremite sur un cabinet rectangulaire enseveli sous les decombres (E, E), complete cet ensemble. Point de porte monumentale, point de fenetre, et le corridor d'entree etait trop long pour amener la lumiere; elle ne penetrait que par des fentes obliques menagees dans la couverture, et dont les traces sont visibles encore a la crete des murs (e, e), de chaque cote de la piece principale. Inscriptions, bas-reliefs, peintures, ce qu'on est habitue a rencontrer partout en Egypte manque la, et pourtant ces murailles nues produisent sur le spectateur un effet aussi puissant que les temples les mieux decores de Thebes. L'architecte est arrive a la grandeur et presque au sublime rien qu'avec des blocs de granit et d'albatre ajustes, par la purete des lignes et par l'exactitude des proportions. [Illustration: Fig. 71] Quelques ruines eparses en Nubie, au Fayoum, au Sinai, ne nous permettent pas de decider si les temples de la XIIe dynastie meritaient les eloges que leur prodiguent les inscriptions contemporaines. Ceux des rois thebains, des Ptolemees, des Cesars, subsistent encore, plusieurs intacts, presque tous faciles a retablir, le jour ou on les aura etudies consciencieusement sur le terrain. Rien de plus varie, au premier abord, que les dispositions qu'ils presentent: quand on les regarde de pres, ils se ramenent aisement au meme type. D'abord, le sanctuaire. C'est une piece rectangulaire, petite, basse, obscure, inaccessible a d'autres qu'aux Pharaons ou aux pretres de service. On n'y trouvait ni statue ni embleme etablis a demeure; mais une barque sainte ou un tabernacle en bois peint pose sur un piedestal, une niche reservee dans l'epaisseur du mur ou dans un bloc de pierre isole, recevaient a certains jours la figure ou le symbole inanime du dieu, un animal vivant ou l'image de l'animal qui lui etait consacre. Un temple pouvait ne renfermer que cette seule piece et n'en etre pas moins un temple, au meme titre que les edifices les plus compliques; cependant il etait rare, au moins dans les grandes villes, qu'on se contentat d'attribuer aux dieux ce strict necessaire. Des chambres destinees au materiel de l'offrande ou du sacrifice, aux fleurs, aux parfums, aux etoffes, aux vases precieux, se groupaient autour de la _maison divine_; puis on batissait, en avant du massif compact qu'elles formaient, une ou plusieurs salles a colonnes ou les pretres et les devots s'assemblaient, une cour entouree de portiques, ou la foule penetrait en tout temps, une porte flanquee de deux tours et precedee de statues ou d'obelisques, une enceinte de briques, une avenue bordee de sphinx, ou les processions manoeuvraient a l'aise les jours de fete. Rien n'empechait un Pharaon d'elever une salle plus somptueuse en avant de celles que ses predecesseurs avaient edifiees, et ce qu'il faisait la, d'autres pouvaient le faire apres lui. Des zones successives de chambres et de cours, de pylones et de portiques, s'ajoutaient de regne en regne au noyau primitif. La vanite ou la piete aidant, le temple se developpait en tous sens, jusqu'a ce que l'espace ou la richesse manquat pour l'agrandir encore. Les temples les plus simples etaient parfois les plus elegants. C'etait le cas pour ceux qu'Amenhotpou III consacra dans l'ile d'Elephantine, que les membres de l'expedition francaise dessinerent a la fin du siecle dernier, et que le gouverneur turc d'Assouan detruisit en 1822. Le mieux conserve, celui du sud (Fig.72), n'avait qu'une seule chambre en gres, haute de 4m,25, large de 9m,50, longue de 12 metres. Les murs, droits et couronnes de la corniche ordinaire, reposaient sur un soubassement creux en maconnerie, eleve de 2m,25 au-dessus du sol, et entoure d'un parapet a hauteur d'appui. Un portique regnait tout autour. Il etait compose, sur chacun des cotes, de sept piliers carres, sans chapiteau ni base, sur chacune des facades, de deux colonnes a chapiteau lotiforme. Piliers et colonnes s'appuyaient directement sur le parapet, sauf a l'est, ou un perron de dix ou douze marches, resserre entre deux murs de meme hauteur que le soubassement, donnait acces a la cella. Les deux colonnes qui encadraient le haut de l'escalier etaient plus espacees que celles de la face opposee, et la large baie qu'elles formaient laissait apercevoir une porte richement decoree. Une seconde porte ouvrait a l'autre extremite, sous le portique. Plus tard, a l'epoque romaine, on tira parti de cette ordonnance pour modifier l'aspect du monument. On remplit les entre-colonnements du fond et on obtint une salle nouvelle, grossiere et sans ornements, mais suffisante aux besoins du culte. Les temples d'Elephantine rappellent assez exactement le temple periptere des Grecs, et cette ressemblance avec une des formes de l'architecture classique a laquelle nous sommes le plus habitues, explique peut-etre l'admiration sans bornes que les savants francais ressentirent a les voir. Ceux de Mesheikh, d'El-Kab, de Sharonnah, presentaient une disposition plus compliquee. Il y a trois pieces a El-Kab (Fig.73), une salle a quatre colonnes (A), une chambre (B), soutenue par quatre piliers hathoriques, et dans la muraille du fond, en face de la porte, une niche (C) a laquelle on montait par quatre marches. Le modele le plus complet qui nous soit parvenu de ces oratoires de petite ville appartient a l'epoque ptolemaique: c'est le temple d'Hathor, a Deir-el-Medinet (Fig.74). Il est deux fois plus long qu'il n'est large. Les faces en sont inclinees et nues a l'exterieur, la porte exceptee, dont le cadre en saillie est charge de tableaux finement sculptes. L'interieur est divise en trois parties: un portique (B) de deux colonnes campaniformes, un pronaos (C), auquel on arrive par un escalier de quatre marches, et qui est separe du portique par un mur a hauteur d'homme, trace entre deux colonnes campaniformes et deux piliers d'antes a chapiteaux hathoriques; enfin, le sanctuaire (D), flanque de deux cellules (E, E) eclairees par des lucarnes carrees, pratiquees dans le toit. On monte a la terrasse par un escalier (F) fort ingenieusement relegue dans l'angle sud du portique, et muni d'une jolie fenetre a claire-voie. Ce n'est qu'un temple en miniature, mais les membres en sont si bien proportionnes dans leur petitesse qu'on ne saurait rien concevoir de plus fin et de plus gracieux. [Illustration: Fig. 72] [Illustration: Fig. 73--Temple d'Amenhotpou III, a El-Kab.] [Illustration: Fig. 74] On n'est point tente d'en dire autant du temple que les Pharaons de la XXe dynastie construisirent au sud de Karnak, en l'honneur du dieu Khonsou (Fig.75); mais si le style n'en est pas irreprochable, le plan en est si clair qu'on est porte a le prendre pour type du temple egyptien, de preference a d'autres monuments plus elegants ou plus majestueux. Il se resout, a l'analyse, en deux parties separees par un mur epais (A, A). Au centre de la plus petite, le Saint des Saints (B), ouvert aux deux extremites et entierement isole du reste de l'edifice par un couloir (C) large de 3 metres; a droite et a gauche, des cabinets obscurs (D, D); par derriere, une halle a quatre colonnes (E), ou debouchent sept autres pieces (F, F). C'etait la maison du dieu. Elle ne communiquait avec le dehors que par deux portes (G, G), percees dans le mur meridional (A, A), et qui donnaient sur une salle hypostyle (H) plus large que longue, divisee en trois nefs. La nef centrale repose sur quatre colonnes campaniformes de 7 metres de haut; les laterales ne renferment chacune que deux colonnes lotiformes de 5m,50; le plafond de la travee mediale est donc plus eleve de 1m,50 que celui des bas cotes. On en profita pour regler l'eclairage: l'intervalle entre la terrasse inferieure et la superieure fut garni de claires-voies en pierre qui laissaient filtrer la lumiere. La cour (I) etait carree, bordee d'un portique a deux rangs de colonnes. On y avait acces par quatre poternes laterales (J, J) et par un portail monumental, pris entre deux tours quadrangulaires a pans inclines. Ce pylone (K) mesure 32 metres de long, 10 de large, 18 de haut. Il ne contient aucune chambre, mais un escalier etroit, qui monte droit au couronnement de la porte, et de la, au sommet des tours. Quatre longues cavites prismatiques rayent la facade jusqu'au tiers de la hauteur, correspondant a autant de trous carres qui traversent l'epaisseur de la construction. On y plantait de grands mats en bois, formes de poutres entrees l'une sur l'autre, consolidees d'espace en espace par des especes d'agrafes et saisies par des charpentes engagees dans les trous carres: de longues banderoles de diverses couleurs flottaient au sommet (Fig.76). Tel etait le temple de Khonsou; telles sont, dans leurs lignes principales, la plupart des grands monuments d'epoque thebaine ou ptolemaique, Louxor, le Ramesseum, Medinet-Habou, Philae, Edfou, Denderah. Meme ruines a demi, l'aspect en a quelque chose d'etouffe et d'inquietant. Comme les dieux egyptiens aimaient a s'envelopper de mystere, le plan est concu de maniere a menager insensiblement la transition entre le plein soleil du monde exterieur et l'obscurite de leur retraite. A l'entree, ce sont encore de vastes espaces ou l'air et la lumiere descendent librement. La salle hypostyle est deja noyee dans un demi-jour discret, le sanctuaire est plus qu'a moitie perdu sous un vague crepuscule, et au fond, dans les dernieres salles, la nuit regne presque complete. L'effet de lointain que produit a l'oeil cette degradation successive de la lumiere etait augmente par divers artifices de construction. Toutes les parties ne sont pas de plain-pied. Le sol se releve a mesure qu'on s'eloigne de l'entree (Fig.77), et il faut toujours enjamber quelques marches pour passer d'un plan a l'autre. La difference de niveau ne depasse pas 1m,60 au temple de Khonsou, mais elle se combine avec un mouvement de descente de la toiture, qui est d'ordinaire accentue vigoureusement. Du pylone au mur de fond, la hauteur decroit progressivement: le peristyle est plus eleve que l'hypostyle, celui-ci domine le sanctuaire, la salle a colonnes et la derniere chambre sont de moins en moins hautes. Les architectes de l'epoque ptolemaique ont change certains details d'arrangement. Ils ont creuse dans les murs des couloirs secrets et des cryptes ou cacher les tresors du Dieu (Fig.78). Ils ont place des chapelles et des reposoirs sur les terrasses. Ils n'ont introduit au plan primitif que deux modifications importantes. Le sanctuaire avait jadis deux portes opposees, ils ne lui en ont laisse qu'une. La colonnade qui garnissait le fond de la cour ou la facade du temple, quand la cour n'existait pas, est devenue une chambre nouvelle, le pronaos. Les colonnes de la rangee exterieure subsistent, mais reliees, jusqu'a mi-hauteur environ, par un mur couronne d'une corniche, qui forme ecran et empechait la foule d'apercevoir ce qui se passait au dela (Fig.79). La salle est soutenue par deux, trois ou meme quatre rangs de colonnes, selon la grandeur de l'edifice qui s'etend derriere elle. Pour le reste, comparez le plan du temple d'Edfou (Fig.80) a celui du temple de Khonsou, et vous verrez combien peu ils different l'un de l'autre. [Illustration: Fig. 75] [Illustration: Fig. 76] [Illustration: Fig. 77--Le Ramesseum restaure, pour montrer le relevement du sol.] [Illustration: Fig. 78--Les cryptes dans l'epaisseur des murs, autour du sanctuaire a Denderah.] [Illustration: Fig. 79--Le pronaos d'Edfou, vu du haut du pylone oriental.] [Illustration: Fig. 80] Ainsi concu, l'edifice suffisait a tous les besoins du culte. Lorsqu'on voulait l'accroitre, on ne s'attaquait pas d'ordinaire au sanctuaire ni aux chambres qui l'entouraient, mais bien aux parties d'apparat, hypostyles, cours ou pylones. Rien n'est plus propre que l'histoire du grand temple de Karnak a illustrer le procede des Egyptiens en pareille circonstance. Osirtasen Ier l'avait fonde, probablement sur le site d'un temple plus ancien (Fig.81). C'etait un edifice de petites dimensions, construit en calcaire et en gres avec portes en granit: des piliers a seize pans unis en decoraient l'interieur. Amenemhat II et III y travaillerent, les princes de la XIIIe et de la XIVe dynastie y consacrerent des statues et des tables d'offrandes; il etait encore intact au XVIIIe siecle avant notre ere, lorsque Thoutmos Ier, enrichi par la guerre, resolut de l'agrandir. Il eleva en avant de ce qui existait deja deux chambres, precedees d'une cour et flanquees de chapelles isolees, puis trois pylones echelonnes l'un derriere l'autre. Le tout presentait l'aspect d'un vaste rectangle pose debout sur un autre rectangle allonge en travers. Thoutmos II et Hatshopsitou couvrirent de bas-reliefs les murs que leur pere avait batis, mais n'ajouterent rien; seulement, la regente, pour amener ses obelisques entre deux des pylones, pratiqua une breche dans le mur meridional et abattit seize des colonnes qui se trouvaient en cet endroit. Thoutmos III reprit d'abord certaines parties qui lui paraissaient sans doute indignes de son dieu, le double sanctuaire qu'il relit en granit de Syene, le premier pylone. Il reedifia, a l'est, d'anciennes chambres, dont la plus importante, celle qui porte le nom de _Promenoir_, servait de station et de reposoir lors des processions, enveloppa l'ensemble d'un mur de pierre, creusa le lac sur lequel on lancait les barques sacrees les jours de fete; puis, changeant brusquement de direction, il erigea deux pylones tournes vers le sud. Il rompit de la sorte la juste proportion qui avait existe jusqu'alors entre le corps et la facade: l'enceinte exterieure devint trop large pour les premiers pylones et ne se raccorda plus exactement au dernier. Amenhotpou III corrigea ce defaut: il eleva un sixieme pylone plus massif, partant, plus propre a servir de facade. Le temple en fut reste la, qu'il surpassait deja tout ce qu'on avait entrepris jusqu'alors de plus audacieux; les Pharaons de la XIXe dynastie reussirent a faire mieux encore. Ils ne construisirent qu'une salle hypostyle (Fig.82) et qu'un pylone, mais l'hypostyle a 50 metres de long sur 100 de large. Au milieu, une avenue de douze colonnes a chapiteau campaniforme, les plus hautes qu'on ait jamais employees a l'interieur d'un edifice; dans les bas cotes, 122 colonnes a chapiteau lotiforme, rangees en quinconce sur neuf files. Le plafond de la travee centrale etait a 23 metres au-dessus du sol, et le pylone le dominait d'environ 15 metres. Trois rois peinerent pendant un siecle avant d'amener l'hypostyle a perfection. Ramses Ier concut l'idee, Seti Ier termina le gros oeuvre, Ramses II acheva presque entierement la decoration. Les Pharaons des dynasties suivantes se disputerent quelques places vides le long des colonnes, pour y graver leur nom et participer a la gloire des trois fondateurs, mais ils n'allerent pas plus loin. Pourtant le monument, arrete a ce point, demeurait incomplet: il lui manquait un dernier pylone et une cour a portiques. Pres de trois siecles s'ecoulerent avant qu'on songeat a reprendre les travaux. Enfin, les Bubastites se deciderent a commencer les portiques, mais faiblement, comme il convenait a leurs faibles ressources. Un moment, l'Ethiopien Taharqou imagina qu'il etait de taille a rivaliser avec les Pharaons thebains et devisa une salle hypostyle plus large que l'ancienne, mais ses mesures etaient mal prises. Les colonnes de la travee centrale, les seules qu'il eut le temps d'eriger, etaient trop eloignees pour qu'on put y etablir la couverture: elles ne porterent jamais rien et ne subsisterent que pour marquer son impuissance. Enfin les Ptolemees, se conformant a la tradition des rois indigenes, se mirent a l'ouvrage; mais les revoltes de Thebes interrompirent leurs projets, le tremblement de terre de l'an 27 detruisit une partie du temple, et le pylone resta a jamais inacheve. L'histoire de Karnak est celle de tous les grands temples egyptiens. A l'etudier de pres, on comprend la raison des irregularites qu'ils presentent pour la plupart. Le plan est partout sensiblement le meme, et la croissance se produit de la meme maniere, mais les architectes ne prevoyaient pas toujours l'importance que leur oeuvre acquerrait, et le terrain qu'ils lui avaient choisi ne se pretait pas jusqu'au bout au developpement normal. A Louxor (Fig.83), le progres marcha methodiquement sous Amenhotpou III et sous Seti Ier; mais, quand Ramses II voulut ajouter a ce qu'avaient fait ses predecesseurs, un coude secondaire de la riviere l'obligea a se rejeter vers l'est. Son pylone n'est point parallele a celui d'Amenhotpou III, et ses portiques forment un angle marque avec l'axe general des constructions anterieures. A Philae (Fig.84), la deviation est plus forte encore. Non seulement le pylone le plus grand n'est pas dans l'alignement du plus petit, mais les deux colonnades ne sont point paralleles entre elles et ne se raccordent pas naturellement au pylone. Ce n'est point la, comme on l'a dit souvent, negligence ou parti pris. Le plan premier etait aussi juste que peut l'exiger le dessinateur le plus entiche de symetrie; mais il fallait le plier aux exigences du site, et les architectes n'eurent plus souci des lors que de tirer le meilleur parti des irregularites auxquelles la configuration du sol les condamnait. Cette contrainte les a souvent inspires: Philae nous montre jusqu'a quel point ils savaient faire de ce desordre oblige un element de grace et de pittoresque. [Illustration: Fig. 81--Le temple de Karnak jusqu'au regne d'Amenhotpou III.] [Illustration: Fig. 82] [Illustration: Fig. 83] [Illustration: Fig. 84--Plan de l'ile de Philae.] L'idee du temple-caverne dut venir de bonne heure aux Egyptiens; ils taillaient la maison des morts dans la montagne, pourquoi n'y auraient-ils pas taille la maison des dieux? Pourtant, les speos les plus anciens que nous possedions ne remontent qu'aux premiers regnes de la XVIIIe dynastie. On les rencontre de preference dans les endroits ou la bande de terre cultivable etait le moins large, pres de Beni-Hassan, au Gebel Silsileh, en Nubie. Toutes les variantes du temple isole se retrouvent dans le souterrain, plus ou moins modifiees par la nature du milieu. Le Speos Artemidos s'annonce par un portique a piliers, mais ne renferme qu'un naos carre avec une niche de fond pour la statue de la deesse Pakhit. Kalaat-Addah presente au fleuve (Fig.85) une facade (A) plane, etroite, ou l'on accede par un escalier assez raide; vient ensuite une salle hypostyle flanquee de deux reduits (C), puis un sanctuaire a deux etages superposes (D). [Illustration: Fig. 85] La chapelle d'Harmhabi (Fig.86), au Gebel Silsileh, se compose d'une galerie parallele au Nil, etayee de quatre piliers massifs reserves dans la roche vive, et sur laquelle la chambre debouche a angle droit. [Illustration: Fig. 86] A Ibsamboul, les deux temples sont entierement dans la falaise. La face du plus grand (Fig.87) simule un pylone en talus, couronne d'une corniche, et garde, selon l'usage, par quatre colosses assis, accompagnes de statues plus petites; seulement les colosses ont ici pres de 20 metres. Au dela de la porte s'etend une salle de 40 metres de long sur 18 de large, qui tient lieu du peristyle ordinaire. Huit Osiris, le dos a autant de piliers, semblent porter la montagne sur leur tete. Au dela, un hypostyle, une galerie transversale qui isole le sanctuaire, enfin le sanctuaire lui-meme entre deux pieces plus petites. Huit cryptes, etablies a un niveau plus bas que celui de l'excavation principale, se repartissent inegalement a droite et a gauche du peristyle. Le souterrain entier mesure 55 metres du seuil au fond du sanctuaire. Le petit speos d'Hathor, situe a quelque cent pas vers le nord, n'offre pas des dimensions aussi considerables; mais la facade est ornee de colosses debout, dont quatre representent Ramses, et deux sa femme Nofritari. Le peristyle manque (Fig.88) ainsi que les cryptes, et les chapelles sont placees aux deux extremites du couloir transversal, au lieu d'etre paralleles au sanctuaire; en revanche, l'hypostyle a six piliers avec tete d'Hathor. Ou l'espace le permettait, on n'a fait entrer qu'une partie du temple dans le rocher; les avancees ont ete construites en plein air, de blocs rapportes, et le speos devient une moitie de caverne, un hemi-speos. Le peristyle seul a Derr, le pylone et la cour a Beit-el-Oualli, le pylone, la cour rectangulaire, l'hypostyle a Gerf Hossein et a Ouady-es-Seboua, sont au-dehors de la montagne. Le plus celebre et le plus original des hemi-speos est a Deir-el-Bahari. dans la necropole thebaine, et fut bati par la reine Hatshopsitou (Fig.89). [Illustration: Fig. 87] [Illustration: Fig. 88] [Illustration: Fig. 89] Le sanctuaire et les deux chapelles qui l'accompagnent, selon la coutume, etaient creuses a 30 metres environ au-dessus du niveau de la vallee. Pour y atteindre, on traca des rampes et on etagea des terrasses, dont l'insuffisance des fouilles entreprises jusqu'a present ne permet pas de saisir l'agencement. Entre l'hemi-speos et le temple isole, les Egyptiens avaient encore quelque chose d'intermediaire, le temple adosse a la montagne, mais qui n'y penetre point. Le temple du Sphinx a Gizeh, celui de Seti Ier a Abydos sont deux bons exemples du genre. J'ai deja parle du premier; l'aire du second (Fig.90) a ete decoupee dans une bande de sable etroite et basse qui separe la plaine du desert. Il etait enterre jusqu'au toit, la crete des murs sortait a peine du sol, et l'escalier qui montait aux terrasses conduisait egalement au sommet de la colline. L'avant-corps, qui se detachait en plein relief, n'annoncait rien d'extraordinaire: deux pylones, deux cours, un portique droit a piliers carres, les bizarreries ne commencaient qu'au dela. C'etaient d'abord deux hypostyles au lieu d'un seul. Ils sont separes par un mur perce de sept portes, n'ont point de nef centrale, et le sanctuaire donne directement sur le second. C'est, comme d'ordinaire, une chambre oblongue percee aux deux extremites; mais les pieces qui, ailleurs, l'enveloppaient sans le toucher, sont ici placees cote a cote sur une meme ligne, deux a droite, quatre a gauche; de plus, elles sont surmontees de voutes en encorbellement et ne recoivent de jour que par la porte. Derriere le sanctuaire, meme changement; la salle hypostyle s'appuie au mur du fond, et ses dependances sont distribuees inegalement a droite et a gauche. Et, comme si ce n'etait pas assez, on a construit, sur le flanc gauche, une cour, des chambres a colonnes, des couloirs, des reduits obscurs, une aile entiere, qui se detache en equerre du batiment principal et n'a pas de contrepoids sur la droite. L'examen des lieux explique ces irregularites. La colline n'est pas large en cet endroit, et le petit hypostyle en touche presque le revers. Si on avait suivi le plan normal sans rien y changer, on l'aurait percee de part en part, et le temple n'aurait plus eu ce caractere de temple adosse, que le fondateur avait voulu lui donner. L'architecte repartit donc en largeur les membres qu'on disposait d'ordinaire en longueur, et meme en rejeta une partie sur le cote. Quelques annees plus tard, quand Ramses II eleva, a une centaine de metres vers le nord-ouest, un monument consacre a sa propre memoire, il se garda bien d'agir comme son pere. Son temple, assis au sommet de la colline, eut l'espace necessaire a s'etendre librement, et le plan ordinaire s'y deploie dans toute sa rigueur. [Illustration: Fig. 90] La plupart des temples, meme les plus petits, sont enveloppes d'une enceinte quadrangulaire. A Medinet-Habou, elle est en gres, basse et crenelee; c'est une fantaisie de Ramses III qui, en pretant a son monument l'aspect exterieur d'une forteresse, a voulu perpetuer le souvenir de ses victoires syriennes. Partout ailleurs, les pertes sont en pierre, les murailles en briques seches, a assises tordues. L'enceinte n'etait pas destinee, comme on l'a dit souvent, a isoler le temple et a derober aux yeux des profanes les ceremonies qui s'y accomplissaient. Elle marquait la limite ou s'arretait la maison du dieu, et servait au besoin a repousser les attaques d'un ennemi dont les richesses accumulees dans le sanctuaire auraient allume la cupidite. Des allees de sphinx, ou, comme a Karnak, une suite de pylones echelonnes, menaient des portes aux differentes entrees, et formaient autant de larges voies triomphales. Le reste du terrain etait occupe, en partie par les etables, les celliers, les greniers des pretres, en partie par des habitations privees. De meme qu'en Europe, au moyen age, la population s'amassait plus dense autour des eglises et des abbayes, en Egypte, elle se pressait autour des temples, pour profiter de la tranquillite qu'assuraient au dieu la terreur de son nom et la solidite de ses remparts. Au debut, on avait reserve un espace vide le long des pylones et des murs, puis les maisons envahirent ce chemin de ronde et s'appuyerent a la paroi meme. Detruites et rebaties sur place pendant des siecles, le sol s'exhaussa si bien de leurs debris, que la plupart des temples finirent par s'enterrer peu a peu et se trouverent en contrebas des quartiers environnants. Herodote le raconte de Bubaste, et l'examen des lieux montre qu'il en etait de meme dans beaucoup d'endroits. A Ombos, a Edfou, a Denderah, la cite entiere tenait dans la meme enceinte que la maison divine. A El-Kab, l'enceinte du temple etait distincte de celle de la ville; elle formait une sorte de donjon ou la garnison pouvait chercher un dernier abri. A Memphis, a Thebes, il y avait autant de donjons que de temples principaux, et ces forteresses divines, d'abord isolees au milieu des maisons, furent, a partir de la XVIIIe dynastie, reunies entre elles par des avenues bordees de sphinx. C'etait le plus souvent des androsphinx a tete d'homme et au corps de lion, mais on trouve aussi des criosphinx a corps de lion et a tete de belier (Fig.91), ou meme, dans les endroits ou le culte local comportait une pareille substitution, des beliers agenouilles qui tiennent une figure du souverain dedicateur entre leurs pattes de devant (Fig.92). L'avenue qui va de Louxor a Karnak etait composee de ces elements divers. Elle a 2 kilometres de long et s'inflechit a diverses reprises, mais n'y reconnaissez pas une preuve nouvelle de l'horreur des Egyptiens pour la symetrie. Les enceintes des deux temples n'etaient pas orientees de la meme maniere, et les avenues tracees perpendiculairement sur le front de chacune d'elles ne se seraient jamais raccordees, si on ne les avait fait devier de leur direction premiere. En resume, les habitants de Thebes voyaient de leurs temples presque tout ce que nous en voyons. Le sanctuaire et ses dependances immediates leur etaient fermes; mais ils avaient acces a la facade, aux cours, meme a la salle hypostyle, et ils pouvaient admirer les chefs-d'oeuvre de leurs architectes presque aussi librement que nous faisons aujourd'hui. [Illustration: Fig. 91] [Illustration: Fig. 92] 3.--LA DECORATION. La tradition antique affirmait que les premiers temples egyptiens ne renfermaient aucune image sculptee, aucune inscription, aucun symbole, et de fait le temple du Sphinx est nu. C'est la toutefois un exemple unique. Les fragments d'architrave et de parois employes comme materiaux dans la pyramide septentrionale de Lisht, et qui portent le nom de Khafri, montrent qu'il n'en etait deja plus ainsi des le temps de la IVe dynastie. A l'epoque thebaine, toutes les surfaces lisses, pylones, parements des murs, futs des colonnes, etaient couvertes de tableaux et de legendes. Sous les Ptolemees et sous les Cesars, lettres et figures etaient tellement pressees, qu'il semble que la pierre disparaisse sous la masse des ornements dont elle est chargee. Un coup d'oeil rapide suffit a montrer que les scenes ne sont pas jetees au hasard. Elles s'enchainent, se deduisent les unes des autres et forment comme un grand livre mystique, ou les relations officielles des dieux avec l'homme et de l'homme avec les dieux sont clairement expliquees a qui sait le comprendre. Le temple etait bati a l'image du monde, tel que les Egyptiens le connaissaient. La terre etait pour eux une sorte de table plate et mince, plus longue que large. Le ciel s'etendait au-dessus, semblable, selon les uns, a un immense plafond de fer, selon les autres, a une voute surbaissee. Comme il ne pouvait rester suspendu sans etre appuye de quelque support qui l'empechat de tomber, on avait imagine de le maintenir en place au moyen de quatre etais ou de quatre piliers gigantesques. Le dallage du temple representait naturellement la terre. Les colonnes et, au besoin, les quatre angles des chambres figuraient les piliers. Le toit, voute a Abydos, plat partout ailleurs, repondait exactement a l'opinion qu'on se faisait du ciel. Chaque partie recevait une decoration appropriee a sa signification. Ce qui touchait au sol se revetait de vegetation. La base des colonnes etait entouree de feuilles, le pied des murs se garnissait de longues tiges de lotus ou de papyrus (Fig.98), au milieu desquelles passaient quelquefois des animaux. Des bouquets de plantes fluviales, emergeant de l'eau (Fig.94), egayaient les soubassements de certaines chambres. Ailleurs, c'etaient des fleurs epanouies, entremelees de boutons isoles (Fig.95) ou reliees par des cordes (Fig.96), des emblemes indiquant la reunion des deux Egyptes entre les mains d'un seul Pharaon (Fig.97), des oiseaux a bras d'hommes assis en adoration sur le signe des fetes solennelles, ou des prisonniers accroupis et lies au poteau deux a deux, un negre avec un Asiatique (Fig.98). Des Nils males et femelles s'agenouillaient (Fig.99), ou s'avancaient majestueusement en procession, au ras de terre, les mains chargees de fleurs et de fruits. Ce sont les nomes de l'Egypte, les lacs, les districts qui apportent leurs produits au dieu. Une fois meme, a Karnak, Thoutmos III a grave sur le soubassement les fleurs, les plantes et les animaux des pays etrangers qu'il avait vaincus (Fig.100). Le plafond, peint en bleu, etait seme d'etoiles jaunes a cinq branches, auxquelles se melent par endroits les cartouches du roi fondateur. De longues bandes d'hieroglyphes rompaient d'espace en espace la monotonie de ce ciel d'Egypte. Les vautours de Nekhab et d'Ouazit, les deesses du midi et du nord, couronnes et armes d'emblemes divins (Fig.101), planent dans la travee centrale des salles hypostyles, dans les soffites des portes, par-dessus la route que le roi suivait pour se rendre au sanctuaire. Au Ramesseum, a Edfou, a Philae, a Denderah, a Ombos, a Esneh, les profondeurs du firmament semblent s'ouvrir et reveler leurs habitants aux yeux des fideles. L'Ocean celeste deroule ses eaux, ou le soleil et la lune naviguent, escortes des planetes, des constellations et des decans, ou les genies des mois et des jours marchent en longues files. A l'epoque ptolemaique, des zodiaques, composes a l'imitation des zodiaques grecs, se placent a cote des tableaux astronomiques d'origine purement egyptienne (Fig.102). La decoration des architraves qui portaient les dalles de la couverture etait completement independante de celle de la couverture proprement dite. On n'y voyait que des legendes hieroglyphiques en gros caracteres, ou les beautes du temple, le nom des rois qui y avaient travaille, la gloire des dieux auxquels il etait consacre, sont celebres avec emphase. En resume, l'ornementation du soubassement et celle du plafond etaient restreintes a un petit nombre de sujets toujours les memes; les tableaux les plus importants et les plus varies etaient comme suspendus entre ciel et terre, a la paroi des chambres et des pylones. [Illustration: Fig. 93] [Illustration: Fig. 94] [Illustration: Fig. 95] [Illustration: Fig. 96] [Illustration: Fig. 97] [Illustration: Fig. 98] [Illustration: Fig. 99] [Illustration: Fig. 100] [Illustration: Fig. 101] [Illustration: Fig. 102--Zodiaque circulaire de Denderah.] Ils illustrent les rapports officiels de l'Egypte avec les dieux. Les gens du commun n'avaient pas le droit de commercer directement avec la divinite. Il leur fallait un mediateur qui, tenant a la fois de la nature humaine et de la nature divine, fut en etat de les percevoir egalement l'une et l'autre. Seul, le roi, fils du soleil, etait d'assez haute extraction pour contempler le dieu du temple, le servir et lui parler face a face. Les sacrifices ne se faisaient que par lui ou par delegation de lui; meme l'offrande aux morts etait censee passer par ses mains, et la famille se prevalait de son nom (_souten di hotpou_) pour l'envoyer dans l'autre monde. Le roi est donc partout dans le temple, debout, assis, agenouille, occupe a egorger la victime, a en presenter les morceaux, a verser le vin, le lait, l'huile, a bruler l'encens: c'est l'humanite entiere qui agit en lui et accomplit ses devoirs envers la divinite. Lorsque la ceremonie qu'il execute exige le concours de plusieurs personnes, alors seulement des aides mortels, autant que possible des membres de sa famille, paraissent a ses cotes. La reine, debout derriere lui, comme Isis derriere Osiris, leve la main pour le proteger, agite le sistre ou bat le tambourin pour eloigner de lui les mauvais esprits, tient le bouquet ou le vase a libation. Le fils aine tend le filet ou lasse le taureau, et recite la priere pour lui, tandis qu'il leve vers le dieu chaque objet prescrit par le rituel. Un pretre remplace parfois le prince, mais les autres hommes n'ont jamais que des roles infimes: ils sont bouchers ou servants, ils portent la barque ou le palanquin du dieu. Le dieu, de son cote, n'est pas toujours seul; il a sa femme et son fils a cote de lui, puis les dieux des nomes voisins et, d'une maniere generale, les dieux de l'Egypte entiere. Du moment que le temple est l'image du monde, il doit comme le monde meme renfermer tous les dieux grands et petits. Ils sont le plus souvent ranges derriere le dieu principal, assis ou debout, et partagent avec lui l'hommage du souverain. Quelquefois cependant, ils prennent une part active aux ceremonies. Les esprits d'On et de Khonou s'agenouillent devant le soleil et l'acclament. Hor et Sit ou Thot amenent Pharaon a son pere Amon-Ra, ou remplissent a cote de lui les fonctions reservees ailleurs au prince ou au pretre: ils l'aident a renverser la victime, a prendre dans le filet les oiseaux destines au sacrifice, ils versent sur sa tete l'eau de jeunesse et de vie qui doit le laver de ses souillures. La place et la fonction de ces dieux synedres etait definie strictement par la theologie. Le soleil, allant d'Orient en Occident, coupait, disent les textes, l'univers en deux mondes, celui du midi et celui du nord. Le temple etait double comme l'univers, et une ligne ideale, passant par l'axe du sanctuaire, le divisait en deux temples, le temple du midi a droite, le temple du nord a gauche. Les dieux et leurs differentes formes etaient repartis entre ces deux temples, selon qu'ils appartenaient au midi ou au nord. Et cette fiction de dualite etait Poussee plus loin encore: chaque chambre se divisait, a l'imitation du temple, en deux moities dont l'une, celle de droite, etait du midi et l'autre etait du nord. L'hommage du roi, pour etre complet, devait se faire dans le temple du midi et dans celui du nord, aux dieux du midi et a ceux du nord, avec les produits du midi et avec ceux du nord. Chaque tableau devait donc se repeter au moins deux fois dans le temple, sur une paroi de droite et sur une paroi de gauche. Amon, a droite, recevait le ble, le vin, les liqueurs du midi; a gauche, le ble, le vin, les liqueurs du nord, et ce qui est vrai d'Amon l'est de Mout, de Khonsou, de Montou, de bien d'autres. Dans la pratique, le manque d'espace empechait qu'il en fut toujours ainsi, et on ne rencontre souvent qu'un seul tableau ou produits du nord et produits du midi etaient confondus, devant un Amon qui representait a lui seul l'Amon du midi et l'Amon du nord. Cette derogation a l'usage n'est jamais que momentanee: la symetrie se retablissait des que le permettaient les circonstances. Aux temps pharaoniques, les tableaux ne sont pas tres serres l'un contre l'autre. La surface a couvrir, arretee en bas par une ligne tracee au-dessus de la decoration du soubassement, est limitee vers le haut, soit par la corniche normale, soit par une frise composee d'uraeus, de faisceaux de lotus alignes cote a cote, de cartouches royaux (Fig.103), entoures de symboles divins, d'emblemes empruntes au culte local, des tetes d'Hathor, par exemple, dans un temple d'Hathor, ou d'une dedicace horizontale en belles lettres gravees profondement. Le panneau ainsi encadre ne formait souvent qu'un seul registre, souvent aussi se divisait en deux registres superposes; il fallait une muraille bien haute pour que ce nombre fut depasse. Figures et legendes etaient espacees largement et les scenes se succedaient a la file presque sans separation materielle; c'etait affaire au spectateur d'en discerner le commencement et la fin. Les tetes du roi etalent de veritables portraits dessines d'apres nature, et la figure des dieux en reproduisait les traits aussi exactement que possible. Puisque Pharaon etait fils des dieux, la facon la plus sure d'obtenir la ressemblance etait de modeler leur visage sur le visage de Pharaon. Les acteurs secondaires n'etaient pas moins soignes que les autres, mais quand il y en avait trop, on les distribuait sur deux ou trois registres, dont la hauteur totale ne depasse jamais celle des personnages principaux. Les offrandes, les sceptres, les bijoux, les vetements, les coiffures, les meubles, tous les accessoires etaient traites avec un souci tres reel de l'elegance et de la verite. Les couleurs, enfin, etaient combinees de telle facon qu'une tonalite generale dominat dans une meme localite. Il y avait dans les temples des pieces qu'on pouvait appeler a juste titre: la _salle bleue_, la _salle rouge_, la _salle d'or_. Voila pour l'epoque classique. A mesure qu'on descend vers les bas temps, les scenes se multiplient. Sous les Grecs et sous les Romains, elles sont si nombreuses que la plus petite muraille ne peut les contenir a moins de quatre (Fig.104), cinq, six, huit registres. Les figures principales semblent se contracter sur elles-memes pour occuper moins de place, et des milliers de menus hieroglyphes envahissent tout l'espace qu'elles ne remplissent pas. Les dieux et les rois ne sont plus des portraits du souverain regnant, mais des types de convention sans vigueur et sans vie. Quant aux figures secondaires et aux accessoires, on n'a plus qu'un souci, c'est de les entasser aussi serre que possible. Ce n'est pas la faute de gout; une idee religieuse a decide et precipite ces changements. La decoration n'avait pas seulement pour objet le plaisir des yeux. Qu'on l'appliquat a un meuble, a un cercueil, a une maison, a un temple, elle possedait une vertu magique, dont chaque etre ou chaque action representee, chaque parole inscrite ou prononcee au moment de la consecration, determinait la puissance et le caractere. Chaque tableau etait donc une amulette en meme temps qu'un ornement. Tant qu'il durait, il assurait au dieu le benefice de l'hommage rendu ou du sacrifice accompli par le roi; il confirmait au roi, vivant ou mort, les graces que le dieu lui avait accordees en recompense, il preservait contre la destruction le pan de mur sur lequel il etait trace. A la XVIIIe dynastie, on pensait qu'une ou deux amulettes de ce genre suffisaient a obtenir l'effet qu'on en attendait. Plus tard, on crut qu'on ne saurait trop en augmenter la quantite, et on en mit autant que la muraille pouvait en recevoir. Une chambre moyenne d'Edfou et de Denderah fournit a l'etude plus de materiaux que la salle hypostyle de Karnak, et la chapelle d'Antonin a Philae, si elle avait ete terminee, renfermerait autant de scenes que le sanctuaire de Louxor et le couloir qui l'enveloppe. [Illustration: Fig. 103] [Illustration: Fig. 104--Paroi d'une chambre a Denderah, pour montrer la disposition des tableaux.] En voyant la variete des sujets traites sur les murs d'un meme temple, on est d'abord tente de croire que la decoration ne forme pas un ensemble suivi d'un bout a l'autre, et que, si plusieurs series sont, a n'en pas douter, le developpement d'une seule idee historique ou dogmatique, d'autres sont jetees simplement a la file, sans aucun lien qui les rattache entre elles. A Louxor et au Ramesseum, chaque face de pylone est un champ de bataille, sur lequel on peut etudier presque jour a jour la lutte de Ramses II contre les Khiti, en l'an V de son regne, le camp des Egyptiens attaque de nuit, la maison du roi surprise pendant la marche, la defaite des barbares, leur fuite, la garnison de Qodshou sortie au secours des vaincus, les mesaventures du prince de Khiti et de ses generaux. Ailleurs la guerre n'est point representee, mais le sacrifice humain qui marquait jadis la fin de chaque campagne: le roi saisit aux cheveux les prisonniers prosternes a ses pieds, et leve la massue comme pour ecraser leurs tetes d'un seul coup. A Karnak, le long du mur exterieur, Seti Ier fait la chasse aux Bedouins du Sinai. Ramses III, a Medinet-Habou, detruit la flotte des peuples de la mer, ou recoit les mains coupees des Libyens que ses soldats lui apportent en guise de trophees. Puis, sans transition, on apercoit un tableau pacifique, ou Pharaon verse a son pere Amon une libation d'eau parfumee. Il semble qu'on ne puisse etablir aucun lien entre ces scenes, et pourtant l'une est la consequence necessaire des autres. Si le dieu n'avait pas donne la victoire au roi, le roi a son tour n'aurait pas institue les ceremonies qui s'accomplissaient dans le temple. Le sculpteur a transporte les evenements sur la muraille, dans l'ordre ou ils s'etaient passes, la victoire, puis le sacrifice, le bienfait du dieu d'abord et les actions de graces du roi. A y regarder de pres, tout se suit, tout s'enchaine de la meme maniere dans cette multitude d'episodes. Tous les tableaux, et ceux-la dont la presence s'explique le moins au premier coup d'oeil, representent les moments d'une action unique, qui commence a la porte et se deroule, a travers les salles, jusqu'au fond du sanctuaire. Le roi entre au temple. Dans les cours, le souvenir de ses victoires frappe partout ses regards; mais voici que le dieu sort a sa rencontre, cache dans une chasse et environne de pretres. Les rites prescrits en pareil cas sont retraces sur les murs de l'hypostyle ou ils s'executaient, puis roi et dieu prennent ensemble le chemin du sanctuaire. Arrives a la porte qui donne acces de la partie publique dans la partie mysterieuse du temple, le cortege humain s'arrete, et le roi, franchissant le seuil, est accueilli par les dieux. Il fait l'un apres l'autre tous les exercices religieux auxquels l'oblige la coutume; ses merites s'accroissent par la vertu des prieres, ses sens s'affinent, il prend place parmi les types divins, et penetre enfin dans le sanctuaire, ou le dieu se revele a lui sans temoin et lui parle face a face. La decoration reproduit fidelement le progres de cette presentation mystique: accueil bienveillant des divinites, gestes et offrandes du roi, les vetements qu'il depouille ou revet successivement, les couronnes dont il se coiffe, les prieres qu'il recite et les graces qui lui sont conferees, tout est grave sur les murs en ses lieu et place. Le roi et les rares personnes qui l'accompagnent ont le dos tourne a la porte d'entree, la face tournee a la porte du fond. Les dieux au contraire, ceux du moins qui ne font point partie pour le moment de l'escorte royale, ont la face a la porte, le dos au sanctuaire. Si, au cours d'une ceremonie, le roi officiant venait a manquer de memoire, il n'avait qu'a lever les yeux vers la muraille pour y trouver ce qu'il devait faire. Et ce n'est pas tout: chaque partie du temple avait son decor accessoire et son mobilier. La face exterieure des pylones etait garnie, non seulement des mats a banderoles dont j'ai deja parle, mais de statues et d'obelisques. Les statues, au nombre de quatre ou de six, etaient en calcaire, en granit ou en gres. Elles representaient toujours le roi fondateur et atteignaient parfois une taille prodigieuse. Les deux Memnon qui siegeaient a l'entree de la chapelle d'Amenhotpou III, a Thebes, mesurent environ seize metres de haut. Le Ramses II du Ramesseum a dix-sept metres et demi, celui de Tanis vingt metres au moins. Le plus grand nombre ne depassait pas six metres. Elles montaient la garde en avant du temple, la face au dehors, comme pour faire front a l'ennemi. Les obelisques de Karnak sont presque tous perdus au milieu des cours interieures; meme ceux de la reine Hatshopsitou ont ete encastres, jusqu'a cinq metres au-dessus du sol, dans des massifs de maconnerie qui en cachaient la base. Ce sont la des accidents faciles a expliquer. Chacun des pylones qu'ils precedent a ete tour a tour la facade du temple, et ne s'est trouve relegue aux derniers plans que par les travaux successifs des Pharaons. La place reelle des obelisques est en avant des colosses, de chaque cote de la porte; ils ne vont jamais que par paire, de hauteur souvent inegale. On a pretendu reconnaitre en eux l'embleme d'Amon-Generateur, un doigt de dieu, l'image d'un rayon de soleil. A dire le vrai, ils ne sont que la forme regularisee de ces pierres levees, qu'on plantait en commemoration des dieux et des morts chez les peuples a demi sauvages. Les tombes de la IVe dynastie en renferment deja, qui n'ont guere plus d'un metre, et sont places a droite et a gauche de la stele, c'est-a-dire de la porte qui conduit au logis du defunt; ils sont en calcaire et ne nous apprennent qu'un nom et des titres. A la porte des temples, ils sont en granit et prennent des dimensions considerables, 20m,75 a Heliopolis (Fig.105), 23m,59 et 23m,03 a Louxor. Le plus eleve de ceux que l'on possede aujourd'hui, celui de la reine Hatshopsitou a Karnak, monte jusqu'a 33m,20. Faire voyager des masses pareilles et les calibrer exactement etait deja chose difficile, et l'on a peine a comprendre comment les Egyptiens reussissaient a les dresser rien qu'avec des cordes et des caissons de sable. La reine Hatshopsitou se vante d'avoir taille, transporte, erige les siens en sept mois, et nous n'avons aucune raison de douter de sa parole. Les obelisques etaient presque tous etablis sur plan carre, avec les faces legerement convexes et une pente insensible de haut en bas. La base etait d'un seul bloc carre, orne de legendes ou de cynocephales en ronde bosse, adorant le soleil. La pointe etait coupee en pyramidion et revetue, par exception, de bronze ou de cuivre dore. Des scenes d'offrandes a Ra-Harmakhis, Hor, Atoum, Amon, sont gravees sur les pans du pyramidion et s'etagent a la partie superieure du prisme; le plus souvent, les quatre faces verticales n'ont d'autre ornement que des inscriptions en lignes paralleles consacrees exclusivement a l'eloge du roi. Voila l'obelisque ordinaire: on en rencontre ca et la d'un type different. Celui de Begig, au Fayoum (Fig.106), est sur plan rectangulaire et s'arrondit en pointe mousse. Une entaille, pratiquee au sommet, prouve qu'il se terminait par quelque embleme en metal, un epervier peut-etre, comme l'obelisque represente sur une stele votive du Musee de Boulaq. Cette forme, qui derive ainsi que la premiere de la pierre levee, dura jusqu'aux derniers jours de l'art egyptien: on la signale encore a Axoum, en pleine Ethiopie, vers le IVe siecle de notre ere, a une epoque ou l'on se contentait en Egypte de transporter les anciens obelisques, sans plus songer a en elever de nouveaux. Telle etait la decoration accessoire du pylone. Les cours interieures et les salles hypostyles renfermaient encore des colosses. Les uns, adosses a la face externe des piliers ou des murs, etaient a demi engages dans la maconnerie et batis par assise; ils presentaient le roi, debout, muni des insignes d'Osiris. Les autres, places a Louxor sous le peristyle, a Karnak des deux cotes de la travee centrale, entre chaque colonne, etaient aussi a l'image du Pharaon, mais du Pharaon triomphant et revetu de son costume d'apparat. Le droit de consacrer une statue dans le temple etait avant tout un droit regalien; cependant le roi permettait quelquefois a des particuliers d'y dedier leurs statues a cote des siennes. C'etait alors une grande faveur, et l'inscription de ces monuments mentionne toujours qu'ils ont ete deposes _par la grace du roi_ a la place qu'ils occupent. Si rarement que ce privilege fut accorde par le souverain, les statues votives avaient fini par s'accumuler avec les siecles, et les cours de certains temples en etaient remplies. A Karnak, l'enceinte du sanctuaire etait garnie exterieurement d'une sorte de banc epais, construit a hauteur d'appui en facon de socle allonge. C'est la que les statues etaient placees, le dos au mur. Elles etaient accompagnees chacune d'un bloc de pierre rectangulaire, muni sur l'un des cotes d'une saillie creusee en gouttiere: c'est ce que l'on appelle la table d'offrandes (Fig.107). La face superieure en est evidee plus ou moins profondement et porte souvent en relief des pains, des cuisses de boeuf, des vases a libations couches a plat, et les autres objets qu'on avait accoutume de presenter aux morts ou aux dieux. Celles du roi Amoni-Entouf-Amenemhait, a Boulaq, sont des blocs de plus d'un metre de long, en gres rouge, dont la face superieure est chargee de godets creuses regulierement; une offrande particuliere repondait a chaque godet. Un culte etait en effet attache aux statues, et les tables etaient de veritables autels, sur lesquels on deposait, pendant le sacrifice, les portions de la victime, les gateaux, les fruits, les legumes. [Illustration: Fig. 105] [Illustration: Fig. 106] [Illustration: Fig. 107] Le sanctuaire et les pieces qui l'environnent contenaient le materiel du culte. Les bases d'autel sont, les unes carrees et un peu massives, les autres polygonales ou cylindriques; plusieurs de ces dernieres ressemblent assez a un petit canon pour que les Arabes leur en donnent le nom. Les plus anciennes sont de la Ve dynastie; la plus belle, deposee aujourd'hui a Boulaq, a ete dediee par Seti Ier. Le seul autel complet que je connaisse a ete decouvert a Menshieh en 1884 (Fig.108). Il est en calcaire blanc, compact, poli comme le marbre, et a pour pied un cone tres allonge, sans ornement qu'un tore d'environ dix centimetres au-dessous du sommet. Un vaste bassin hemispherique s'emboite dans une entaille carree, qui sert comme de gueule au canon. Les naos sont de petites chapelles de pierre ou de bois (Fig.109) ou logeait en tout temps l'esprit, a certaines fetes, le corps meme du dieu. Les barques sacrees etaient baties sur le modele de la bari dans laquelle le soleil accomplissait sa course journaliere. Un naos s'elevait au milieu, recouvert d'un voile qui ne permettait pas aux spectateurs de voir ce Qu'il renfermait; l'equipage etait figure, chaque dieu a son poste de manoeuvre, les pilotes d'arriere au gouvernail, la vigie a l'avant, le roi a genoux, devant la porte du naos. Nous n'avons trouve jusqu'a present aucune des statues qui servaient aux ceremonies du culte, mais nous savons l'aspect qu'elles avaient, le role qu'elles jouaient, les matieres dont elles etaient composees. Elles etaient animees et avaient, outre leur corps de pierre, de metal, ou de bois, une ame enlevee par magie a l'ame de la divinite qu'elles representaient. Elles parlaient, remuaient, agissaient, reellement et non par metaphore. Les derniers Ramessides n'entreprenaient rien sans les consulter; ils s'adressaient a elles, leur exposaient l'affaire, et, apres chaque question, elles approuvaient en secouant la tete. Dans la stele de Bakhtan, une statue de Khonsou impose quatre fois les mains sur la nuque d'une autre statue, pour lui transmettre le pouvoir de chasser les demons. La reine Hatshopsitou envoya une escadre a la recherche des Pays de l'Encens, apres avoir converse avec la statue d'Amon dans l'ombre du sanctuaire. En theorie, l'ame divine etait censee produire seule des miracles: dans la pratique, la parole et le mouvement etaient le resultat d'une fraude pieuse. Avenues interminables de sphinx, obelisques gigantesques, pylones massifs, salles aux cent colonnes, chambres mysterieuses ou le jour ne penetrait jamais, le temple egyptien tout entier etait bati pour servir de cachette a une poupee articulee, dont un pretre agitait les fils. [Illustration: Fig. 108] CHAPITRE III LES TOMBEAUX Les Egyptiens composaient l'homme de plusieurs etres differents, dont chacun avait ses fonctions et sa vie propre. C'etait d'abord le corps, puis le double (ka), qui est le second exemplaire du corps en une matiere moins dense que la matiere corporelle, une projection coloree, mais aerienne de l'individu, le reproduisant trait pour trait, enfant, s'il s'agissait d'un enfant, femme s'il s'agissait d'une femme, homme s'il s'agissait d'un homme. Apres le double venait l'ame (bi, bai), que l'imagination populaire se representait sous la figure d'un oiseau, et apres l'ame, le lumineux (khou), parcelle de flamme detachee du feu divin. Aucun de ces elements n'etait imperissable par nature; mais, livres a eux-memes, ils n'auraient pas tarde a se dissoudre et l'homme a mourir une seconde fois, c'est-a-dire a tomber dans le neant. La piete des survivants avait trouve le moyen d'empecher qu'il en fut ainsi. Par l'embaumement, elle suspendait pour les siecles la decomposition des corps; par la priere et par l'offrande, elle sauvait le double, l'ame et le lumineux de la seconde mort, et elle leur procurait ce qui leur etait necessaire a prolonger leur existence. Le double ne quittait jamais le lieu ou reposait la momie. L'ame et le lumineux s'en eloignaient pour suivre les dieux, mais y revenaient sans cesse, comme un voyageur qui rentre au logis apres une absence. Le tombeau etait donc une maison, la _maison eternelle_ du mort, au prix de laquelle les maisons de cette terre sont des hotelleries, et le plan sur lequel il etait etabli repondait fidelement a la conception que l'on se faisait de l'autre vie. Il devait renfermer les appartements prives de l'ame, ou nul vivant ne pouvait penetrer sans sacrilege, passe le jour de l'enterrement, les salles d'audience du double, ou les pretres et les amis venaient apporter leurs souhaits et leurs offrandes, et, entre les deux, des couloirs plus ou moins longs. La maniere dont ces trois parties etaient disposees variait beaucoup selon les epoques, les localites, la nature du terrain, la condition et le caprice de chaque individu. Souvent les pieces accessibles au public etaient baties au-dessus du sol et formaient un edifice isole. Souvent encore, elles etaient creusees entierement dans le flanc d'une montagne avec le reste du tombeau. Souvent enfin, le reduit ou la momie reposait et le couloir etaient dans un endroit, tandis qu'elles s'elevaient au loin dans la plaine. Mais, si l'on remarque des variantes nombreuses dans les details et dans le groupement des parties, le principe est toujours le meme: la tombe est un logis, dont l'agencement doit favoriser le bien-etre et assurer la perpetuite du mort. 1.--LES MASTABAS. Les tombes monumentales les plus anciennes sont toutes reunies dans la necropole de Memphis, d'Abou-Roash a Dahshour, et appartiennent au type des mastabas. Le mastaba (Fig.110) est une construction quadrangulaire qu'on prendrait de loin pour une pyramide tronquee. Plusieurs ont 10 ou 12 metres de haut, 50 metres de facade, 25 metres de profondeur; d'autres n'atteignent pas 3 metres de hauteur et 5 metres de largeur. Les faces sont inclinees symetriquement et le plus souvent unies; parfois cependant les assises sont en retraite et forment presque gradins. Les materiaux employes sont la pierre ou la brique. La pierre est toujours le calcaire, debite en blocs, longs d'environ 0m,80 sur 0m,50 de hauteur et sur 0m,60 de profondeur. On rencontre trois sortes de calcaire: pour les tombes soignees, le beau calcaire blanc de Tourah ou le calcaire siliceux compact de Saqqarah; pour les tombes ordinaires, le calcaire marneux de la montagne Libyque. Ce dernier, mele a des couches minces de sel marin et traverse par des filons de gypse cristallise, est friable a l'exces et prete peu a l'ornementation. La brique est de deux especes, et simplement sechee au soleil. La plus ancienne, dont l'usage cesse vers la VIe dynastie, est de petites dimensions (0m,22 x 0m,11 x 0m,14), d'aspect jaunatre, et ne renferme que du sable mele d'un peu d'argile et de gravier; l'autre est de la terre melee de paille, noire, compacte, moulee avec soin et d'assez grand module (0m,38 x 0m,18 x 0m,14). La facon de la maconnerie interne n'est pas la meme selon la nature des materiaux que l'architecte a employes. Neuf fois sur dix, les mastabas en pierre n'ont d'appareil regulier qu'a l'exterieur. Le noyau est en moellons grossierement equarris, en gravats, en fragments de calcaire, ranges sommairement par couches horizontales, et noyes dans de la terre delayee, ou meme entasses au hasard, sans mortier d'aucune sorte. Les mastabas en briques sont presque toujours de construction homogene; les parements exterieurs sont cimentes avec soin, et les lits relies a l'interieur par du sable fin coule dans les interstices. La masse devait etre orientee canoniquement, les quatre faces aux quatre points cardinaux, le plus grand axe dirige du nord au sud; mais les macons ne se sont point preoccupes de trouver le nord juste, et l'orientation est rarement exacte. A Gizeh, les mastabas sont distribues selon un plan symetrique et ranges le long de veritables rues; a Saqqarah, a Abousir, a Dahshour, ils s'elevent en desordre a la surface du plateau, espaces ou presses par endroits. Le cimetiere musulman de Siout presente encore aujourd'hui une disposition analogue a celle qu'on observe a Saqqarah, et nous permet d'imaginer ce que pouvait etre la necropole memphite dans les derniers temps de l'ancien Empire. [Illustration: Fig. 109--Naos en bois du musee de Turin.] [Illustration: Fig. 110] Une plate-forme unie, non dallee, formee par la derniere couche du noyau, s'etend au sommet du cube en maconnerie. Elle est semee de vases en terre cuite, enterres presque a fleur de sol, nombreux au-dessus des vides interieurs, rares partout ailleurs. Les murs sont nus. Les portes sont tournees vers l'est, quelquefois vers le nord ou vers le sud, jamais vers l'ouest. On en comptait deux, l'une reservee aux morts, l'autre accessible aux vivants; mais celle du mort n'etait qu'une niche etroite et haute, menagee dans la face est, a cote de l'angle nord-est, et au fond de laquelle etaient tracees des raies verticales, encadrant une baie fermee. Souvent meme on supprimait ce simulacre d'entree, et l'ame se tirait d'affaire comme elle pouvait. La porte des vivants avait plus ou moins d'importance, selon le plus ou moins de developpement de la chambre a laquelle elle conduisait. Chambre et porte se confondent plus d'une fois en un reduit sans profondeur, decore d'une stele et d'une table d'offrandes (Fig.111), et protege a l'occasion par un mur qui fait saillie sur la facade. On a alors une sorte d'avancee, ouvrant vers le nord, carree au tombeau de Kaapir (Fig.112), irreguliere dans celui de Nofirhotpou a Saqqarah. (Fig.113). Quand le plan comporte l'existence d'une ou de plusieurs chambres, la porte est pratiquee au milieu d'une petite facade architecturale (Fig.114), ou sous un petit portique soutenu par deux piliers carres, sans base et sans abaque (Fig.115). Elle est d'une simplicite extreme: deux jambages, ornes de bas-reliefs representant le defunt et surmontes d'un tambour cylindrique Grave aux titre et au nom du proprietaire. Dans le tombeau de Pohounika, a Saqqarah, les montants figurent deux pilastres, couronnes chacun de deux fleurs de lotus en relief: c'est la un fait unique jusqu'a ce jour. [Illustration: Fig. 111] [Illustration: Fig. 112] [Illustration: Fig. 113] [Illustration: Fig. 114] [Illustration: Fig. 115] La chapelle etait generalement petite et se perdait dans la masse de l'edifice (Fig.116); mais aucune regle precise n'en determinait l'etendue. Dans le tombeau de Ti, on rencontre d'abord un portique (A), puis une antichambre carree avec piliers (B), puis un couloir (C), flanque d'un cabinet sur la droite (D) et debouchant dans une derniere chambre (E) (Fig.117). Il y a la de l'espace pour plusieurs personnes, et, en effet, la femme de Ti repose a cote de son mari. Quand le monument appartenait a un seul personnage, pareille complication n'etait pas necessaire. Un boyau etrangle et court mene dans une piece oblongue, ou il tombe a angle droit, par le milieu. Souvent la muraille du fond est lisse, et l'ensemble offre l'aspect d'une sorte de marteau a tetes egales (Fig.118); souvent aussi, elle se creuse en face de l'entree, et l'on dirait une croix dont le chevet serait plus ou moins decoupe (Fig.119). C'etait la distribution la plus frequente, mais l'architecte etait libre de la rejeter, si bon lui semblait. Telle chapelle consiste de deux couloirs paralleles, soudes par un passage transversal (Fig.120). Dans telle autre, la chambre s'emmanche sur le couloir par un des angles (Fig.121). Ailleurs, dans le tombeau de Phtahhotpou, le terrain concede etait resserre entre des constructions anterieures et ne suffisait pas: on a rattache le mastaba nouveau au mastaba ancien, de maniere a leur donner une entree commune, et la chapelle de l'un s'est agrandie de tout l'espace que couvrait celle de l'autre (Fig.122). [Illustration: Fig. 116] [Illustration: Fig. 117] [Illustration: Fig. 118] [Illustration: Fig. 119] [Illustration: Fig. 120] [Illustration: Fig. 121] [Illustration: Fig. 122] La chapelle etait la salle de reception du double. C'est la que les parents, les amis, les pretres celebraient le sacrifice funeraire aux jours prescrits par la loi, "aux fetes du commencement des saisons, a la fete de Thot, au premier jour de l'an, a la fete d'Ouaga, a la grande fete de la canicule, a la procession du dieu Minou, a la fete des pains, aux fetes du mois et de la quinzaine et chaque jour". Ils deposaient l'offrande dans la piece principale, au pied de la paroi ouest, au point precis ou se trouvait l'entree de la _maison eternelle_ du mort. Ce point n'etait pas, comme la _kiblah_ des mosquees ou des oratoires musulmans, oriente toujours vers la meme region du compas. On le trouve assez souvent a l'ouest, mais cette position n'etait pas reglementaire. Il etait marque au debut par une veritable porte, etroite et basse, encadree et decoree comme la porte d'une maison ordinaire, mais dont la baie n'etait point percee. Une inscription, tracee sur le linteau en gros caracteres bien lisibles, commemorait le nom et le rang du maitre. Des figures en pied ou assises etaient gravees sur les cotes et rappelaient son portrait aux visiteurs. Un tableau, sculpte ou peint sur les blocs qui fermaient la baie de la porte, le montrait assis devant un gueridon et allongeant la main vers le repas qu'on lui apportait. Une table d'offrandes plate encastree dans le sol, entre les deux montants, recevait les mets et les boissons. Les vivants partis, le double sortait de chez lui et mangeait. En principe, la ceremonie devait se renouveler d'annee en annee, jusqu'a la consommation des siecles; mais il n'avait pas fallu longtemps aux Egyptiens pour s'apercevoir qu'il n'en pouvait etre ainsi. Au bout de deux ou trois generations, les morts d'autrefois etaient delaisses au profit des morts plus recents. Lors meme qu'on etablissait des fondations pieuses, dont le revenu payait le repas funebre et les pretres charges de le preparer, on ne faisait que reculer l'heure de l'oubli. Le moment arrivait tot ou tard, ou le double en etait reduit a chercher pature parmi les rebuts des villes, parmi les excrements, parmi les choses ignobles et corrompues qui gisaient abandonnees sur le sol. Pour obtenir que l'offrande consacree le jour des funerailles conservat ses effets a travers les ages, on imagina de la dessiner et de l'ecrire sur les murs de la chapelle (Fig.123). La reproduction en peinture ou en sculpture des personnes et des choses assurait a celui au benefice de qui on l'executait la realite des personnes et des choses reproduites: le double se voyait sur la muraille mangeant et buvant, et il mangeait et buvait. L'idee une fois admise, les theologiens et les artistes en tirerent rigoureusement les consequences. On ne se borna pas a donner des provisions simulees, on y joignit l'image des domaines qui les produisaient, des troupeaux, des ouvriers, des esclaves. S'agissait-il de fournir la viande pour l'eternite? On pouvait se contenter de dessiner les membres d'un boeuf ou d'une gazelle deja pares pour la cuisine, l'epaule, la cuisse, les cotes, la poitrine, le coeur et le foie, la tete; mais on pouvait aussi reprendre de tres haut l'histoire de l'animal, sa naissance, sa vie au paturage, puis la boucherie, le depecage, la presentation des morceaux. De meme, a propos des gateaux et des pains, rien n'empechait qu'on retracat le labourage, les semailles, la moisson, le battage des grains, la rentree au grenier, le petrissage de la pate. Les vetements, les parures, le mobilier servaient de pretexte a introduire les fileuses, les tisserands, les orfevres, les menuisiers. Le maitre domine betes et gens de sa taille surhumaine. Quelques tableaux discrets le montrent courant a toutes voiles vers l'autre monde, sur le bateau des funerailles, le jour ou il avait pris possession de son logis nouveau (Fig.124). Dans les autres, il est en pleine activite et surveille ses vassaux fictifs comme il surveillait jadis ses vassaux reels (Fig.125). Les scenes, si variees et si desordonnees qu'elles semblent etre, ne sont pas rangees au hasard. Elles convergent toutes vers le semblant de porte qui etait cense communiquer avec l'interieur. Les plus rapprochees Representent les peripeties du sacrifice et de l'offrande. Au fur et a mesure que l'on s'eloigne, les operations et les travaux preliminaires s'accomplissent chacun a son tour. A la porte, la figure du maitre semble attendre les visiteurs et leur souhaiter la bienvenue. Les details changent a l'infini, les inscriptions s'allongent ou s'abregent au caprice de l'ecrivain, la fausse porte perd son caractere architectonique et n'est plus souvent qu'une pierre de taille mediocre, une stele, sur laquelle on consigne le nom du maitre et son etat civil: grande ou petite, nue ou decoree richement, la chapelle reste toujours comme la salle a manger, ou plutot comme le garde-manger, ou le mort puise a son gre quand il a faim. [Illustration: Fig. 123--Offrande au defunt Phtahhotpou.] [Illustration: Fig. 124] [Illustration: Fig. 125--Phtahhotpou surveillant la rentree des animaux domestiques.] De l'autre cote du mur se cachait une cellule etroite et haute, ou mieux un couloir, d'ou le nom de _serdab_, que les archeologues lui pretent a l'exemple des Arabes. La plupart des mastabas n'en ont qu'un; d'autres en contiennent trois ou quatre (Fig.126). Ils ne communiquent pas entre eux ni avec la chapelle, et sont comme noyes dans la maconnerie (Fig.127). S'ils sont relies au monde exterieur, c'est par un conduit menage a hauteur d'homme (Fig.128) et tellement resserre qu'on a peine a y glisser la main. Les pretres venaient murmurer des prieres et bruler des parfums a l'orifice: le double etait au dela et profitait de l'aubaine ou du moins ses statues l'accueillaient en son nom. Comme sur la terre, l'homme avait besoin d'un corps pour subsister; mais le cadavre defigure par l'embaumement ne rappelait plus que de loin la forme du vivant. La momie etait unique, facile a detruire; on pouvait la bruler, la demembrer, en disperser les morceaux. Elle disparue, qu'adviendrait-il du double? Les statues qu'on enfermait dans le serdab devenaient, par la consecration, les corps de pierre ou de bois du defunt. La piete des parents les multipliait, et, par suite, multipliait aussi les supports du double; un seul corps etait une seule chance de duree pour lui, vingt representaient vingt chances. C'est dans une intention analogue qu'on joignait aux statues du mort celles de sa femme, de ses enfants, de ses serviteurs, saisis dans les differents actes de la domesticite, broyant le grain, petrissant la pate, poissant les jarres destinees a contenir le vin. Les figures plaquees a la muraille de la chapelle s'en detachaient et prenaient dans le serdab un corps solide. Ces precautions n'empechaient pas d'ailleurs qu'on n'employat tous les moyens pour mettre ce qui restait du corps de chair a l'abri des causes naturelles de destruction et des attaques de l'homme. Au tombeau de Ti, un couloir rapide, qui affleure le sol au milieu de la premiere salle, conduit du dehors au caveau; mais c'est la une exception presque unique; on y descend par un puits perpendiculaire, creuse rarement dans un coin de la chapelle, d'ordinaire au centre de la plate-forme (Fig.129). La profondeur en varie entre 3 et 30 metres. Il traverse la maconnerie, penetre dans le rocher; au fond, vers le sud, un couloir, trop bas pour qu'on y chemine debout, donne acces a une chambre. C'est la que la momie repose, dans un grand sarcophage en calcaire blanc, en granit rose ou en basalte. Il porte rarement une inscription, le nom et les titres du mort, plus rarement des ornements; on en connait pourtant qui simulent la decoration d'une maison egyptienne avec ses portes et ses fenetres. Le mobilier est des plus simples: des vases en albatre pour les parfums, des godets ou le pretre avait verse quelques gouttes des liqueurs offertes au mort, de grandes jarres en terre cuite rouge pour l'eau, un chevet en albatre ou en bois, une palette votive de scribe. Apres avoir scelle la momie dans la cuve qui l'attendait, les ouvriers dispersaient sur le sol les quartiers du boeuf ou de la gazelle qu'on venait de sacrifier; puis ils muraient avec soin l'entree du couloir et remplissaient le puits jusqu'a la bouche d'eclats de pierre meles de sable et de terre. Le tout, largement arrose, finissait par s'agglutiner en un beton presque impenetrable, dont la durete defiait tout essai de profanation. Le corps, livre a lui-meme, ne recevait plus d'autre visite que celle de son ame. L'ame quittait de temps en temps la region celeste ou elle voyageait en compagnie des dieux, et descendait se reunir a la momie. Le caveau etait sa maison, comme la chapelle etait la maison du double. [Illustration: Fig. 126] [Illustration: Fig. 127] [Illustration: Fig. 128] [Illustration: Fig. 129] Jusqu'a la VIe dynastie, le caveau est nu; une seule fois Mariette y a trouve des lambeaux d'inscriptions appartenant au _Livre des morts_. J'ai decouvert a Saqqarah, en 1881, des tombes ou il est orne de preference a la chapelle. Elles sont en grosses briques et n'ont pour le sacrifice qu'une niche renfermant la stele. A l'interieur, le puits est remplace par une petite cour rectangulaire, dans la partie occidentale de laquelle on ajustait le sarcophage. Au-dessus du sarcophage, on batissait en calcaire une chambre aussi large et aussi longue que lui, haute d'environ 1 metre et recouverte de dalles posees a plat. Au fond ou sur la droite, on reservait une niche qui tenait lieu de serdab. On menageait au-dessus du toit plat une voute de decharge d'environ 0m,50 de rayon, et, par-dessus la voute, on placait des lits horizontaux de briques jusqu'au niveau de la plate-forme. La chambre occupe les deux tiers environ de la cavite et a l'aspect d'un four, dont la gueule serait restee beante. Quelquefois, les murs de pierre reposent sur le couvercle meme du sarcophage, et la chambre n'etait achevee qu'apres l'enterrement (Fig.130). Le plus souvent, ils s'appuient sur deux montants de briques, et le sarcophage pouvait etre ouvert ou ferme a volonte. La decoration, tantot peinte, tantot sculptee, est la meme partout. Chaque paroi etait comme une maison ou etaient deposes les objets dessines ou enumeres a la surface; aussi avait-on soin d'y figurer une porte monumentale, par laquelle le mort avait acces a son bien. Il trouvait sur la paroi de gauche un monceau de provisions (Fig.131) et la table d'offrandes; sur celle du fond, des ustensiles de menage, du linge, des parfums, avec le nom et l'indication des quantites. Ces tableaux sont un resume de ceux qu'on voit dans la chapelle des mastabas communs. Si on les a distraits de leur place primitive, c'est qu'en les transportant au caveau, on les garantissait contre les dangers de destruction, qui les menacaient dans des salles accessibles au premier venu, et que leur conservation assurait plus longtemps au mort la possession des biens qu'ils representaient. [Illustration: Fig. 130] 2.--LES PYRAMIDES. Les tombes royales ont la forme de pyramides a base rectangulaire et sont l'equivalent, en pierre ou en brique, du tumulus en terre meuble qu'on amoncelait sur le corps des chefs de guerre, aux epoques antehistoriques. Les memes idees prevalaient sur les ames des rois qui avaient cours sur celles des particuliers. Le plan de la pyramide comporte donc les trois parties de celui des mastabas: la chapelle, les couloirs, les chambres funeraires. [Illustration: Fig. 131] La chapelle est toujours isolee. A Saqqarah, on n'en a decouvert aucune trace. Elle etait probablement, comme plus tard a Thebes, situee dans le faubourg de la ville le plus proche de la montagne. A Gizeh, a Abousir, a Dahshour, les debris en sont encore visibles sur le front de la facade orientale ou septentrionale. C'etait alors un veritable temple avec chambres, cours et passages. Les fragments de bas-reliefs qui sont parvenus jusqu'a nous montrent les scenes du sacrifice et prouvent que la decoration etait identique a celle des salles publiques du mastaba. La pyramide proprement dite ne renferme que les couloirs et le caveau funebre. La plus ancienne dont les textes nous certifient l'existence, au nord d'Abydos, est celle de Snofrou; les plus modernes appartiennent aux princes de la XIIe dynastie. La construction de ces monuments a donc ete, pendant treize ou quatorze siecles, une operation courante, prevue par l'administration. Le granit, l'albatre, le basalte destines au sarcophage et a certains details, etaient les seuls materiaux dont l'emploi et la quantite ne fussent pas regles a l'avance et qu'il fallut aller chercher au loin. Pour se les procurer, chaque roi envoyait un des principaux personnages de la cour en mission aux carrieres de la haute Egypte, et la celerite avec laquelle on rapportait les blocs etait un titre puissant a la faveur du souverain. Le reste n'exigeait pas tant de frais. Si le gros oeuvre etait en brique, on moulait la brique sur place, avec la terre prise dans la plaine au pied de la colline. S'il etait en pierre, les parties du plateau les plus voisines fournissaient le calcaire marneux a profusion. On reservait d'ordinaire a la construction des chambres et au revetement le calcaire de Tourah, qu'on n'avait meme pas la peine de faire venir specialement de l'autre cote du Nil. Memphis avait des entrepots toujours pleins, ou l'on puisait sans cesse pour les edifices publics, et par consequent pour la tombe royale. Les blocs, pris dans ces reserves et apportes en barque jusque sous la montagne, montaient a l'emplacement choisi par l'architecte, le long de chaussees inclinees doucement. La disposition interieure, la longueur des couloirs, la hauteur sont tres variables; la pyramide de Kheops culminait a 145 metres environ au-dessus du sol, la plus petite n'atteignait pas 10 metres. Comme il est malaise de concevoir aujourd'hui quels motifs ont determine les Pharaons a choisir des proportions aussi differentes, on a pense que la masse batie etait en proportion directe du temps consacre a la batir, c'est-a-dire de la duree de chaque regne. Des qu'un prince montait sur le trone, on aurait commence par lui eriger a la hate une pyramide assez vaste pour contenir les parties essentielles du tombeau; puis, d'annee en annee, on aurait ajoute des couches nouvelles autour du noyau primitif, jusqu'au moment ou la mort arretait a jamais la croissance du monument. Les faits ne justifient pas cette hypothese. La moindre des pyramides de Saqqarah appartient a Ounas, qui regna trente ans; mais les deux imposantes pyramides de Gizeh ont ete edifiees par Kheops et par Khephren, qui gouvernerent l'Egypte l'un vingt-quatre, l'autre vingt-trois ans. Mirinri, qui mourut fort jeune, a une pyramide aussi grande que Pepi II, qui prolongea sa vie au dela de quatre-vingt-dix ans. Le plan de chaque pyramide etait trace une fois pour toutes par l'architecte, selon les instructions qu'il avait recues et les ressources qu'on placait a sa disposition. Une fois mis en train, l'execution s'en poursuivait jusqu'a complet achevement des travaux, sans se developper ni se restreindre. Les pyramides devaient avoir les faces aux quatre points cardinaux, comme les mastabas; mais, soit maladresse, soit negligence, la plupart ne sont pas orientees exactement, et plusieurs s'ecartent sensiblement du nord vrai. Sans parler des ruines d'Abou-Roash et de Zaouiet-el-Aryan, qui n'ont pas encore ete etudiees d'assez pres, elles se partagent naturellement en six groupes, distribues du nord au sud sur la lisiere du plateau de Libye, de Gizeh au Fayoum, par Abousir, Saqqarah, Dahshour et Lisht. Le groupe de Gizeh en compte neuf, et, dans le nombre, celles de Kheops, de Khephren et de Mykerinos, que l'antiquite classait parmi les merveilles du monde. Le terrain sur lequel le Kheops repose etait assez irregulier, au moment de la construction. Un petit tertre qui le dominait fut taille rudement (Fig.132) et englobe dans la maconnerie, le reste fut aplani et garni de grosses dalles dont quelques-unes subsistent encore. La pyramide meme avait une hauteur de cent quarante-cinq metres et une base de deux cent trente-trois, que l'injure du temps a reduites respectivement a cent trente-sept et deux cent vingt-sept. Elle garda, jusqu'a la conquete arabe, un parement en pierres de couleurs diverses, si habilement assemblees qu'on aurait dit un seul bloc du pied au sommet. Le travail de revetement avait commence par le haut: la pointe avait ete placee la premiere, puis les assises s'etaient recouvertes de proche en proche jusqu'a ce qu'on eut gagne le bas. A l'interieur, tout avait ete calcule de maniere a cacher le site exact du sarcophage et a decourager les fouilleurs que le hasard ou leur perseverance auraient mis sur la bonne voie. Le premier point etait, pour eux, de decouvrir l'entree sous le revetement qui le masquait. Elle etait a peu pres au milieu de la face nord (Fig.132), mais au niveau de la dix-huitieme assise, a quarante-cinq pieds environ au-dessus du sol. Les dalles qui l'obstruaient une fois deplacees, on penetrait dans un couloir incline, haut de 1m,06, large de 1m,22, pratique en partie dans la roche vive. Il descend l'espace de quatre-vingt-dix-sept metres, traverse une chambre inachevee (C) et se termine dix-huit metres plus loin en cul-de-sac. C'etait un premier desappointement. Si pourtant on ne se laissait pas rebuter, et qu'on examinat le passage avec soin, on distinguait dans le plafond, a dix-neuf metres de la porte, un bloc de granit qui tranchait sur le calcaire environnant (D). Il etait si dur que les chercheurs, apres avoir travaille vainement a le briser ou a le dechausser, prirent le parti de se frayer un chemin a travers les parties de la maconnerie construites en une pierre plus tendre. L'obstacle tourne, ils deboucherent dans un couloir ascendant, qui se raccorde au premier sous un angle de 120 degres et se divise en deux branches (E). L'une s'enfonce horizontalement vers le centre de la pyramide et se perd dans une chambre en granit a toit pointu, qu'on appelle, sans raison valable, _Chambre de la Reine_ (F). L'autre, tout en continuant a monter, change de forme et d'aspect. C'est maintenant une galerie longue de 45 metres, haute de 8m,50, batie en belle pierre du Mokatam, si polie et si finement appareillee qu'on a peine a glisser entre les joints "une aiguille ou meme un cheveu". Les assises les plus basses portent d'aplomb l'une sur l'autre, les sept suivantes s'avancent en encorbellement, de maniere que les dernieres ne soient plus separees au plafond que par un intervalle de 0m,60. Un obstacle nouveau se dressait a l'extremite (G). Le couloir qui mene a la chambre du sarcophage etait clos d'une seule plaque de granit; venait ensuite un petit vestibule (H), coupe a espaces egaux par quatre herses, egalement en granit, qu'il fallait briser. Le caveau royal (I) est une chambre en granit, a toit plat, haute de 5m,81, longue de 10m,43, large de 5m,20; on n'y voit ni figure ni inscription, rien qu'un sarcophage en granit mutile et sans couvercle. Telles etaient les precautions prises contre les hommes: l'evenement a prouve qu'elles etaient efficaces, car la pyramide garda son depot plus de quatre mille ans. Mais le poids meme des materiaux etait un danger plus serieux pour elle. On empecha le caveau d'etre ecrase par les cent metres de pierre qui le protegeaient, en menageant au-dessus de lui cinq pieces de decharge, basses et superposees (J). La derniere est abritee par un toit pointu, forme de deux enormes dalles appuyees par le haut l'une a l'autre. Grace a cet artifice, la pression centrale fut rejetee presque entiere sur les faces laterales, et le caveau fut respecte. Aucune des pierres qui le revetent n'a ete ecrasee, aucune n'a cede d'une ligne depuis le jour ou les ouvriers l'ont scellee en sa place. [Illustration: Fig. 132] Les pyramides de Khephren et de Mykerinos ont ete baties a l'interieur sur un plan different de celle de Kheops. Khephren a deux issues, toutes deux tournees vers le nord, l'une sur l'esplanade, l'autre a 15 metres au-dessus du sol. Mykerinos possede encore les debris de son revetement de granit rose. Le couloir d'entree descend a un angle de 26 deg.,2' et penetre rapidement dans le roc. La premiere salle qu'il traverse est decoree de panneaux sculptes dans la pierre et fermee a la sortie par trois herses en granit. La seconde piece paraissait etre inachevee, mais ce n'etait la qu'une ruse destinee a tromper les fouilleurs: un couloir menage dans le sol et soigneusement dissimule donnait acces au caveau. La reposait la momie dans un sarcophage de basalte sculpte, encore intact au commencement du siecle: enleve par Vyse, il a sombre sur la cote d'Espagne avec le navire qui le transportait en Angleterre. La meme variete de disposition prevaut dans le groupe d'Abousir et dans une partie de celui de Saqqarah. La grande pyramide de Saqqarah n'est pas orientee exactement: la face nord s'ecarte de 4 deg.,35 du nord vrai. Elle n'a point pour base un carre parfait, mais un rectangle allonge de l'est a l'ouest, de 120m,60 sur 107m,30 de cote. Elle est haute de 59m,68 et se compose de six cubes a pans inclines, en retraite l'un sur l'autre de 2 metres environ: le plus rapproche du sol a 11m,48 d'elevation, le plus eloigne 8m,89 (Fig.133). Elle est construite entierement avec le calcaire de la montagne environnante. Les materiaux sont petits et mal tailles, les lits d'assise concaves, selon la methode qu'on appliquait egalement a la construction des quais et des forteresses. Quand on explore les breches de la maconnerie, on reconnait que la face externe de chaque gradin est comme habillee de deux enveloppes, dont chacune a son parement regulier. La masse est pleine, les chambres sont creusees dans le roc au-dessous de la pyramide. La principale des quatre entrees donne au nord, et les couloirs forment un veritable dedale au milieu duquel il est perilleux de s'aventurer: portique a colonnes, galeries, chambres, tout aboutit a une sorte de puits, au fond duquel etait pratiquee une cachette, destinee sans doute a contenir les objets les plus precieux du mobilier funeraire. Les pyramides qui entourent ce monument extraordinaire ont ete presque toutes edifiees sur un modele unique (Fig.134) et ne se distinguent que par les proportions. La porte s'ouvre juste au-dessous de la premiere assise, vers le milieu de la face septentrionale, et le couloir (B) descend, par une pente assez douce, entre des murs en calcaire. Il est bouche sur toute son etendue de gros blocs qu'on doit briser avant de parvenir a la salle d'attente (C). Au sortir de cette salle, il marche quelque temps encore dans le calcaire, puis il passe entre quatre murs de granit de Syene poli, apres quoi le calcaire reparait, et on debouche dans le vestibule (E). La partie batie en granit est interrompue trois fois, a 60 ou 80 centimetres d'intervalle, par trois enormes herses de granit (D). Au-dessus de chacune d'elles se trouve un vide, dans lequel elle etait maintenue par des supports qui laissaient le passage libre (Fig.135). La momie une fois introduite, les ouvriers en se retirant enlevaient les etais, et les trois herses, tombant en place, interceptaient toute communication avec le dehors. Le vestibule etait flanque, a l'est, d'un serdab a toit plat, divise en trois niches et encombre d'eclats de pierre, balayes a la hate par les esclaves, au moment ou l'on nettoyait les chambres pour y recevoir la momie. La pyramide d'Ounas les a conservees toutes trois. Dans Teti et dans Mirinri, les murs de separation ont ete fort proprement enleves, des l'antiquite, et n'ont laisse d'autre trace qu'une ligne d'attache et une teinte plus blanche de la paroi, aux endroits qu'ils recouvraient primitivement. Le caveau (G) s'etendait a l'ouest du vestibule: le sarcophage y etait depose le long de la muraille occidentale, les pieds au sud, la tete au nord (H). Le toit des deux chambres principales etait pointu. Il se composait de larges poutres en calcaire, accotees l'une a l'autre par l'extremite superieure, appuyees par en bas sur une banquette basse qui courait exterieurement. La premiere poutre etait surmontee d'une seconde, celle-ci d'une troisieme, et les trois reunies (I) protegeaient efficacement le vestibule et le caveau (Fig.136). [Illustration: Fig. 133] [Illustration: Fig. 134--La pyramide d'Ounas.] [Illustration: Fig. 135] [Illustration: Fig. 136] Les pyramides de Gizeh appartenaient a des Pharaons de la IVe dynastie, et celles d'Abousir a des Pharaons de la Ve. Les cinq pyramides de Saqqarah, dont le plan est uniforme, appartiennent a Ounas et aux quatre premiers rois de la VIe dynastie, Teti, Pepi Ier, Mirinri, Pepi II, et sont contemporaines des mastabas a caveaux peints que j'ai signales plus haut. On ne s'etonnera donc point d'y rencontrer des inscriptions et des ornements. Partout, les plafonds sont charges d'etoiles pour figurer le ciel de la nuit. Le reste de la decoration est fort simple. Dans la pyramide d'Ounas, ou elle joue le plus grand role, elle n'occupe que le fond de la chambre funeraire; la partie voisine du sarcophage avait ete revetue d'albatre et ornee a la pointe des grandes portes monumentales, par lesquelles le mort etait cense entrer dans ses magasins de provisions. Les figures d'hommes et d'animaux, les scenes de la vie courante, le detail du sacrifice n'y sont point representes et n'auraient pas d'ailleurs ete a leur place en cet endroit. On les retracait dans les lieux ou le double menait sa vie publique, et ou les visiteurs executaient reellement les rites de l'offrande; les couloirs et le caveau ou l'ame etait seule a circuler ne pouvaient recevoir d'autre ornementation que celle qui a rapport a la vie de l'ame. Les textes sont de deux sortes. Les moins nombreux ont trait a la nourriture du double et sont la transcription litterale des formules par lesquelles le pretre lui assurait la transmission de chaque objet au dela de ce monde: c'etait pour lui une ressource supreme, au cas ou les sacrifices reels auraient ete suspendus, et ou les tableaux magiques de la chapelle auraient ete detruits. La plus grande partie des inscriptions se rapportaient a l'ame et la preservaient des dangers qu'elle courait au ciel et sur la terre. Elles lui revelaient les incantations souveraines contre la morsure des serpents et des animaux venimeux, les mots de passe qui lui permettaient de s'introduire dans la compagnie des dieux bons, les exorcismes qui annulaient l'influence des dieux mauvais. De meme que la destinee du double etait de continuer a mener l'ombre de la vie terrestre et s'accomplissait dans la chapelle, la destinee de l'ame etait de suivre le soleil a travers le ciel et dependait des instructions qu'elle lisait sur les murailles du caveau. C'etait par leur vertu que l'absorption du mort en Osiris devenait complete et qu'il jouissait desormais de toutes les immunites naturelles a la condition divine. La-haut, dans la chapelle, il etait homme et se comportait a la facon des hommes; ici, il etait dieu et se comportait a la facon d'un dieu. L'enorme massif rectangulaire que les Arabes appellent Mastabat-el-Faraoun, le siege de Pharaon (Fig.137), se dresse a cote de Pepi II. On a voulu y voir, tantot une pyramide inachevee, tantot une tombe surmontee d'un obelisque; c'est un mastaba royal dont l'interieur presente l'ordonnance d'une pyramide. Mariette croyait qu'Ounas y etait enterre, mais les fouilles de ces temps derniers ont rendu cette attribution impossible. En revanche, elles semblent montrer que la pyramide meridionale de Dahshour appartient a Snofrou. Si le fait est confirme par des recherches posterieures, il y a des chances pour que le groupe entier soit le plus ancien de tous et remonte a la IIIe dynastie. Il fournit une variante curieuse du type ordinaire. L'une des pyramides en pierre a la moitie inferieure inclinee de 54,41' sur l'horizon, tandis qu'a partir de mi-hauteur l'inclinaison change brusquement et est de 42,59'; on dirait un mastaba couronne d'une mansarde gigantesque. A Lisht, on quitte l'ancien empire pour les dynasties thebaines, et la structure se modifie encore: le couloir en pente aboutit a un puits perpendiculaire, au fond duquel debouchaient des chambres envahies aujourd'hui par les infiltrations du Nil. Le groupe du Fayoum est tout entier de la XIIe dynastie, mais les pyramides de Biahmou sont presque entierement detruites; celle d'Illahoun n'a jamais ete exploree, et celle de Meidoum, violee avant le siecle des Ramessides, est vide. Elle consiste en trois tours carrees, a pans legerement inclines et qui s'etagent en retraite l'une sur l'autre (Fig.138). L'entree est au nord, a seize metres environ au-dessus du sable. Au dela de vingt metres, le couloir descend dans le roc; a cinquante-trois, il se redresse, s'arrete douze metres plus loin, remonte perpendiculairement vers la surface, et affleure dans le sol du caveau, six metres et demi plus haut (Fig.139). Un appareil de poutres et de cordes, encore en place au-dessus de l'orifice, montre que les voleurs ont tire le sarcophage hors de la chambre, des l'antiquite. L'usage des pyramides ne cessa pas avec la XIIe dynastie: on en connait a Manfalout, a Hekalli, au sud d'Abydos, a Mohammeriah, au sud d'Esneh. Jusqu'a l'epoque romaine, les souverains a demi barbares de l'Ethiopie tinrent a honneur de donner a leurs tombes la forme pyramidale. Les plus anciennes, celle de Nouri, ou dorment les Pharaons de Napata, rappellent par la facture les pyramides de Saqqarah; les plus modernes, celles de Meraouy, presentent des caracteres nouveaux. Elles sont plus hautes que larges, de petit appareil et garnies parfois aux angles de bordures carrees ou arrondies. La face orientale est munie d'une fausse lucarne, surmontee d'une corniche et flanquee d'une chapelle que precede un pylone. Toutes ne sont pas muettes: comme sur les murs des tombeaux ordinaires, on y a retrace des scenes empruntees au Rituel des Funerailles ou aux vicissitudes de la vie d'outre-tombe. [Illustration: Fig. 137] [Illustration: Fig. 138] [Illustration: Fig. 139] 3.--LES TOMBES DE L'EMPIRE THEBAIN; LES HYPOGEES. Les derniers mastabas connus appartiennent a la XIIe dynastie, encore sont-ils concentres dans la plaine sablonneuse de Meidoum et n'ont-ils jamais ete acheves. Deux systemes les remplacerent par toute l'Egypte. Le premier conserve la chapelle construite au-dessus du sol et combine la pyramide avec le mastaba. Le second creuse le tombeau entier dans le roc, la chapelle comme le reste. Le quartier de la necropole d'Abydos, ou furent enterrees les generations du vieil empire thebain, nous offre les exemples les plus anciens du premier systeme. Les tombes sont en grosses briques crues, noires, sans melange de paille ni de gravier. L'etage inferieur est un mastaba a base carree ou rectangulaire, dont le plus long cote atteint quelquefois douze ou quinze metres; les murs sont perpendiculaires et rarement assez eleves pour qu'un homme puisse se tenir debout a l'interieur. Sur cette facon de socle se dresse une pyramide pointue, dont la hauteur varie entre quatre et dix metres, et dont les faces etaient revetues d'une couche de pise unie, peinte en blanc. La mauvaise qualite du sol a empeche qu'on y creusat la salle funeraire; on s'est donc resigne a la cacher dans la maconnerie. Une sorte de chambre ou plutot de four, voute en encorbellement, a ete menage au centre et abrite souvent la momie (Fig.140); plus souvent encore, le caveau a ete pratique moitie dans le mastaba, moitie dans les fondations, et le vide superieur n'est la que pour servir de degagement (Fig.141). Dans bien des cas, il n'y avait aucune chapelle exterieure; la stele, posee sur le soubassement ou encadree exterieurement sur la face, marque l'endroit du sacrifice. Ailleurs, on a construit en avancee un vestibule carre ou les parents s'assemblaient (Fig.142). Assez rarement un mur d'enceinte construit a hauteur d'appui enveloppe le monument et delimite le terrain qui lui appartenait. Cette forme mixte demeura fort en usage dans les cimetieres de Thebes, a partir des premieres annees du moyen empire. Plusieurs rois de la XIe dynastie et les grands personnages de leur cour se firent edifier a Drah aboul Neggah des tombes semblables a celles d'Abydos (Fig.143). Pendant les siecles suivants, les proportions relatives du mastaba et de la pyramide se modifierent; le mastaba, qui n'etait souvent qu'un soubassement insignifiant, reprit peu a peu sa hauteur primitive, tandis que la pyramide s'abaissa et finit par n'etre plus qu'un pyramidion sans importance (Fig.144). Tous ceux de ces tombeaux qui ornaient les necropoles thebaines a l'epoque des Ramessides ont peri, mais les peintures contemporaines nous en font connaitre les nombreuses varietes, et la chapelle d'un des Apis morts sous Amenhotpou III est encore la pour prouver que la mode s'en etait etendue a Memphis. Du pyramidion, quelques traces subsistent a peine; mais le mastaba est intact. C'est un massif en calcaire, carre, monte sur un soubassement, etaye de quatre colonnes aux angles et borde d'une corniche evasee; un escalier de cinq marches mene a la chambre interieure (Fig.145). [Illustration: Fig. 140] [Illustration: Fig. 141] [Illustration: Fig. 142] [Illustration: Fig. 143] [Illustration: Fig. 144] [Illustration: Fig. 145] Les modeles les plus anciens du second genre, ceux qu'on voit a Gizeh parmi les mastabas de la IVe dynastie, ne sont ni grands ni tres ornes. On commenca a en soigner l'execution vers la VIe dynastie, et dans les localites lointaines, a Bersheh, a Sheikh-Said, a Kasr-es-Sayad, a Neggadeh. L'hypogee n'atteignit son plein developpement qu'un peu plus tard, pendant les siecles qui separent les derniers rois memphites des premiers rois thebains. Les parties diverses du mastaba s'y retrouvent. L'architecte choisissait de preference des veines de calcaire bien en vue, sises assez haut dans la montagne pour ne pas etre menacees par l'exhaussement progressif du sol, assez bas pour que le cortege funebre put y monter aisement, et y creusait les tombes. Les plus belles appartiennent aux principales familles feodales qui se partageaient l'Egypte: les princes de Minieh reposent a Beni-Hassan, ceux de Khmounou a Bersheh, ceux de Siout et d'Elephantine a Siout meme et en face d'Assouan. Tantot, comme a Siout, a Bersheh, a Thebes, elles sont dispersees aux divers etages de la montagne; tantot, comme a Syene (Fig.146) et a Beni-Hassan, elles suivent les ondulations du filon et sont rangees sur une ligne a peu pres droite. Un escalier, construit sommairement en pierres a moitie brutes, menait de la plaine a l'entree du tombeau: il est detruit ou enseveli sous les sables a Beni-Hassan et a Thebes, mais les fouilles recentes ont mis au jour celui d'une des tombes d'Assouan. Le cortege funebre, apres l'avoir escalade lentement, s'arretait un moment a l'entree de la chapelle. Le plan n'etait pas necessairement uniforme dans un meme groupe. Plusieurs des tombeaux de Beni-Hassan ont un portique dont toutes les parties, piliers, bases, entablement, ont ete prises dans la roche; pour Amoni et pour Khnoumhotpou (Fig.147), il se compose de deux colonnes polygonales. A Syene (Fig.148), la baie etroite qui s'ouvre dans la muraille de rocher est coupee, vers le tiers de sa hauteur, par un linteau rectangulaire qui reserve une porte dans la porte meme. A Siout, l'hypogee d'Hapizoufi etait precede d'un veritable porche d'environ 7 metres de haut, arrondi en voute, peint et sculpte avec amour. Le plus souvent on se contentait d'aplanir et de dresser un pan de montagne sur un espace plus ou moins considerable, selon les dimensions qu'on pretendait donner au tombeau. Cette operation avait le double avantage de creer sur le devant une petite plate-forme fermee de trois cotes, et de developper en facade une surface a peu pres verticale, qu'on decorait, ou non, a la fantaisie du maitre. La porte pratiquee au milieu, quelquefois n'avait point de cadre, quelquefois etait encadree De deux montants et d'un linteau legerement saillants. Les inscriptions, quand elle en avait, etaient fort simples. Dans le haut, une ou plusieurs lignes horizontales. A droite et a gauche, une ou deux lignes verticales, accompagnees d'une figure humaine assise ou debout: c'etait, avec une priere, le nom, les titres et la filiation du defunt. La chapelle n'a, en general, qu'une seule chambre carree ou oblongue, au plafond plat ou legerement voute, sans autre jour que de la porte. Quelquefois des piliers, tailles en pleine pierre au moment de l'excavation, lui donnent l'aspect d'une petite salle hypostyle. Amoni et Khnoumhotpou, a Beni-Hassan, avaient chacun quatre de ces piliers (Fig.149); d'autres en ont six ou huit et sont d'ordonnance irreguliere. L'hypogee n deg. 7 etait d'abord une simple salle a plafond arrondi, de six colonnes sur trois rangs. Plus tard, il fut agrandi vers la droite, et la partie nouvelle forma une sorte de portique a plafond plat supporte par quatre colonnes (Fig.150). [Illustration: Fig. 146] [Illustration: Fig. 147] [Illustration: Fig. 148] [Illustration: Fig. 149] [Illustration: Fig. 150] Menager un serdab dans la roche vive etait presque impossible, et, d'autre part, c'etait exposer les statues mobiles au vol ou a la mutilation que les laisser dans une piece accessible a tout venant. Le serdab fut transforme et se combina avec la stele des mastabas antiques. La fausse porte d'autrefois devint une niche pratiquee dans la muraille du fond, presque toujours en face de la porte reelle. Les statues du mort et de sa femme y tronent, sculptees dans la pierre vive. Les parois sont ornees des scenes de l'offrande, et la decoration entiere de l'hypogee converge vers elle, comme celle du mastaba convergeait vers la stele. C'est toujours, dans l'ensemble, la meme serie de tableaux, mais avec des additions notables. La marche du cortege funeraire, la prise de possession du tombeau par le double, qui sont a peine indiquees autrefois, s'etalent avec ostentation sur les murs de l'hypogee thebain. Le convoi se deroule avec ses pleureuses, ses troupes d'amis, ses porteurs d'offrandes, ses barques, son catafalque traine par des boeufs. Il arrive a la porte; la momie, dressee sur ses pieds, recoit l'adieu de la famille et subit les dernieres ceremonies qui doivent l'initier a la vie d'au dela (Fig.151). Le sacrifice et les preliminaires qu'il evoque, le labourage, les semailles, la moisson, l'eleve des bestiaux, les metiers manuels, sont sculptes ou peints, comme jadis, a profusion de couleurs. Sans doute, bien des details y figurent qu'on ne rencontre pas sous les premieres dynasties, ou sont absents qui ne manquent jamais dans le voisinage des pyramides; les siecles avaient marche, et vingt siecles changent beaucoup aux usages de la vie journaliere, meme dans l'indestructible Egypte. On y chercherait presque en vain les troupeaux de gazelles privees, car, sous les Ramses, on n'entretenait plus ces animaux que par exception a l'etat domestique. En revanche, le cheval avait envahi la vallee du Nil, et piaffe sur les murs, a l'endroit ou paissaient les gazelles. Les metiers sont plus nombreux et plus compliques, les outils plus perfectionnes, les actions du mort plus variees et plus personnelles. L'idee d'une retribution future n'existait pas, ou existait peu, au temps ou l'on avait regle la decoration des tombeaux. Ce que l'homme avait fait ici-bas n'avait aucune influence sur le sort qui l'attendait dans la mort; bon ou mauvais, du moment que les rites avaient ete celebres sur lui et les prieres recitees, il etait riche et heureux. C'en etait donc assez pour etablir son identite d'enoncer son nom, ses titres, sa filiation; on n'avait que faire de decrire son passe par le menu. Mais, quand la croyance a des recompenses ou a des chatiments predomina dans les esprits, on s'avisa qu'il etait utile de garantir a chacun le merite de ses actions particulieres, et l'on joignit a l'espece d'extrait de l'etat civil, qui avait suffi jusqu'alors, des renseignements biographiques precis. Quelques mots d'abord, puis, vers la VIe dynastie, de vraies pages d'histoire ou un ministre, Ouni, raconte les services qu'il a rendus sous quatre rois; puis, vers le commencement du nouvel empire, des dessins et des tableaux, qui conspirent avec l'ecriture a immortaliser les faits et gestes du maitre. Khnoumhotpou de Beni-Hassan expose en detail les origines et la grandeur de ses ancetres. Khiti etale sur ses murailles les peripeties de la vie militaire: exercices des soldats, danses de guerre, sieges de forteresses, batailles sanglantes. La XVIIIe dynastie continue, en cela comme en tout, la tradition des ages precedents. Ai retrace, dans son bel hypogee de Tell-el-Amarna, les episodes de son Mariage avec la fille de Khouniaton. Nofirhotpou de Thebes avait recu d'Harmhabi la decoration du Collier d'or; il reproduit avec complaisance les moindres circonstances de l'investiture, le discours du roi, l'annee, le jour ou lui fut conferee la recompense supreme. Tel autre, qui avait travaille au cadastre, se montre accompagne d'arpenteurs trainant la chaine et preside a l'enregistrement de la population humaine, comme Ti presidait jadis au denombrement de ses boeufs. La stele elle-meme participe au caractere nouveau que revet la decoration murale. Elle proclame, outre les prieres ordinaires, le panegyrique du mort, le resume de sa vie, trop rarement son _cursus honorum_ avec dates a l'appui. [Illustration: Fig. 151] Quand l'espace le permettait, le caveau tombait directement sous la chapelle. Le puits, tantot etait pratique au coin d'une des chambres, tantot s'amorcait au dehors en avant de la porte. Dans les grandes necropoles, a Thebes par exemple ou a Memphis, la superposition des trois parties n'etait pas toujours possible; a vouloir donner au puits la profondeur normale, on risquait d'effondrer les tombeaux situes a l'etage inferieur de la montagne. On remedia a ce danger, soit en poussant fort loin un couloir, a l'extremite duquel on forait le puits, soit en disposant, sur un meme plan horizontal ou moderement incline, les pieces que le mastaba placait sur un meme plan vertical. Le couloir est alors perce au milieu de la paroi du fond; la longueur moyenne en varie entre 6 et 40 metres. Le caveau est presque toujours petit et sans ornement, ainsi que le couloir. L'ame, sous les dynasties thebaines, se Passait aussi bien de decoration que sous les dynasties memphites; mais quand on se decidait a garnir les murailles, les figures et les inscriptions avaient trait a sa vie et fort peu a la vie du double. Au tombeau de Harhotpou, qui est du temps des Ousirtasen, et dans les hypogees du meme genre, les murs, celui de la porte excepte, sont partages en deux registres. Le superieur appartient au double et porte, avec la table d'offrandes, l'image des memes objets de menage qu'on voit dans certains mastabas de la VIe dynastie: etoffes, bijoux, armes, parfums, dont Harhotpou avait besoin pour assurer a ses membres une eternelle jeunesse. L'inferieur etait au double et a l'ame, et on lit les fragments de plusieurs livres liturgiques, _Livre des morts, Rituel de l'embaumement, Rituel des funerailles_, dont les vertus magiques protegeaient l'ame et soutenaient le double. Le sarcophage en pierre et le cercueil lui-meme sont noirs d'ecriture. De meme que la stele etait comme le sommaire de la chapelle entiere, le sarcophage et le cercueil etaient le sommaire du caveau et formaient comme une chambre sepulcrale dans la chambre sepulcrale. Textes, tableaux, tout ce qu'on y voit a trait a la vie de l'ame et a sa securite dans l'autre monde. A Thebes comme a Memphis, ce sont les tombes des rois qu'il convient de consulter, si l'on veut juger du degre de perfection auquel pouvait atteindre la decoration des couloirs et du caveau. Des plus anciennes, qui etaient situees dans la plaine ou sur le versant meridional de la montagne, rien ne subsiste aujourd'hui. Les momies d'Amenhotpou Ier et de Thoutmos III, de Soqnounri et d'Harhotpou ont survecu a l'enveloppe de pierre qui etait censee les defendre. Mais, vers le milieu de la XVIIIe dynastie, toutes les bonnes places etaient prises, et l'on dut chercher ailleurs un terrain libre ou etablir un nouveau cimetiere royal. On alla d'abord assez loin, au fond de la vallee qui debouche vers Drah abou'l Neggah; Amenhotpou III, Ai, d'autres peut-etre, y furent enterres; puis on songea a se rapprocher de la ville des vivants. Derriere la colline qui borne au nord la plaine thebaine, se creusait Jadis une sorte de bassin, ferme de tous les cotes, et sans autre communication avec le reste du monde que des sentiers perilleux. Il se divise en deux branches, croisees presque en equerre: l'une regarde le sud-est, tandis que l'autre s'allonge vers le sud-ouest et se divise en rameaux secondaires. A l'est, une montagne se dresse, dont la croupe rappelle, avec des proportions gigantesques, le profil de la pyramide a degres de Saqqarah. Les ingenieurs remarquerent que ce vallon etait separe du ravin d'Amenhotpou III par un simple seuil d'environ 500 coudees d'epaisseur. Ce n'etait pas de quoi effrayer des mineurs aussi exerces que l'etaient les Egyptiens. Ils taillerent dans la roche vive une tranchee, profonde de 50 a 60 coudees, au bout de laquelle un passage etrangle, semblable a une porte, donne acces dans le vallon. Est-ce sous Harmhabi, est-ce sous Ramses Ier que fut entrepris ce travail gigantesque? Ramses Ier est le plus ancien roi dont on ait retrouve la tombe en cet endroit. Son fils Seti Ier, puis son petit-fils Ramses II vinrent s'y loger a ses cotes, puis les Ramses l'un apres l'autre; Hrihor fut peut-etre le dernier et ferma la serie. Ces tombeaux reunis ont valu a la vallee le nom de Vallee des Rois, qu'elle a garde jusqu'a nos jours. Le tombeau n'est pas la tout entier. La chapelle est au loin dans la plaine, a Gournah, au Ramesseum, a Medinet-Habou, et nous l'avons deja decrite. Comme la pyramide memphite, la montagne thebaine ne renferme que les couloirs et le caveau. Pendant le jour, l'ame pure ne courait aucun danger serieux; mais le soir, au moment ou les eaux eternelles, qui roulent sur la voute des cieux, tombaient vers l'Occident en larges cascades et s'engouffraient dans les entrailles de La terre, elle penetrait, avec la barque du soleil et son cortege de dieux lumineux, dans un monde seme d'embuches et de perils. Douze heures durant, l'escadre divine parcourait de longs corridors sombres, ou des genies, les uns hostiles, les autres bienveillants, tantot s'efforcaient de l'arreter, tantot l'aidaient a surmonter les difficultes du voyage. D'espace en espace, une porte, defendue par un serpent gigantesque, s'ouvrait devant elle et lui livrait l'acces d'une salle immense, remplie de flamme et de fumee, de monstres aux figures hideuses et de bourreaux qui torturaient les damnes; puis les couloirs recommencaient etroits et obscurs, et la course a l'aveugle au sein des tenebres, et les luttes contre les genies malfaisants, et l'accueil joyeux des dieux propices. A partir du milieu de la nuit, on remontait vers la surface de la terre. Au matin, le soleil avait atteint l'extreme limite de la contree tenebreuse et sortait a l'orient pour eclairer un nouveau jour. Les tombeaux des rois etaient construits sur le modele du monde infernal. Ils avaient leurs couloirs, leurs portes, leurs salles voutees, qui penetraient profondement au sein de la montagne. La distribution dans la vallee n'en etait determinee par aucune consideration de dynastie ou de succession au trone. Chaque souverain attaquait le rocher a l'endroit ou il esperait rencontrer une veine de pierre convenable, et avec si peu de souci des predecesseurs, que les ouvriers durent parfois changer de direction pour eviter d'envahir un hypogee voisin. Les devis de l'architecte n'etaient qu'un simple projet, qu'on modifiait a volonte et qu'on ne se piquait pas d'executer fidelement; ainsi les mesures et la distribution reelles du tombeau de Ramses IV (Fig.152) sont en desaccord avec les cotes et l'agencement du plan qu'un papyrus du musee de Turin nous a conserve (Fig.153). [Illustration: Fig. 152] [Illustration: Fig. 153] Rien pourtant n'etait plus simple que la disposition generale: une porte carree, tres sobre d'ornements, un couloir qui aboutit a une chambre plus ou moins etendue, au fond de laquelle s'ouvre un second corridor qui conduit a une seconde chambre, et de la parfois a d'autres salles, dont la derniere renfermait le cercueil. Dans quelques tombeaux, le tout est de plain-pied et une pente douce, a peine coupee par deux ou trois marches basses, conduit de l'entree a la paroi du fond. Dans d'autres, les parties sont disposees en etage l'une derriere l'autre. Un escalier long et raide, et un corridor en pente (A) menent, chez Seti Ier (Fig.154), a un premier appartement (B), compose d'une petite antichambre et de deux salles a piliers. Un second escalier (C), ouvert dans le sol de l'antichambre, mene a un second appartement (D) plus vaste que le premier, et qui abritait le sarcophage. Le tombeau n'etait pas destine a s'arreter la. Un troisieme escalier (E) avait ete pratique au fond de la salle principale, qui devait sans doute mener a un nouvel ensemble de pieces: la mort du roi a seule arrete les ouvriers. Les variantes de plan ne sont pas tres considerables, si on passe d'un hypogee a l'autre. Chez Ramses III, la galerie d'entree est flanquee de huit petites cellules laterales. Presque partout ailleurs, on ne remarque de differences que celles qui proviennent du degre d'achevement des peintures et du plus ou moins d'etendue des couloirs. Le plus petit des hypogees s'arrete a 16 metres, celui de Seti Ier, qui est le plus long, descend jusqu'a plus de 150 metres et n'est pas acheve. Les memes ruses qui avaient servi aux ingenieurs des pyramides servaient a ceux des syringes thebaines pour depister les recherches des malfaiteurs, faux puits destines a derouter les indiscrets, murailles peintes et sculptees baties en travers des couloirs; l'enterrement termine, on obstruait l'entree avec des quartiers de roche, et on retablissait du mieux qu'on pouvait la pente naturelle de la montagne. [Illustration: Fig. 154] Seti Ier nous a legue le type le plus complet que nous possedions de ce genre de sepulture; figures et hieroglyphes y sont de veritables modeles de dessin et de sculpture gracieuse. L'hypogee de Ramses III est deja inferieur. La plus grande partie en est peinte assez sommairement: les jaunes y abondent, les bleus et les rouges rappellent les tons que les enfants choisissent pour leurs premiers barbouillages. Plus tard, la mediocrite regne en souveraine, le dessin s'amollit, les couleurs deviennent de plus en plus criardes, et les derniers tombeaux ne sont plus que la caricature lamentable de ceux de Seti Ier et de Ramses III. La decoration est la meme partout, et partout procede du meme principe qui a preside a la decoration des pyramides. A Thebes comme a Memphis, il s'agissait d'assurer au double la libre jouissance de sa maison nouvelle, d'introduire l'ame au milieu des divinites du cycle solaire et du cycle osirien, de la guider a travers le dedale des regions infernales; mais les pretres thebains s'ingeniaient a rendre sensible aux yeux par le dessin ce que les Memphites confiaient par l'ecriture a la memoire du mort, et lui accordaient de voir ce qu'il etait jadis oblige de lire sur les parois de sa tombe. Ou les textes d'Ounas racontent qu'Ounas, identifie au soleil, navigue sur les eaux d'en haut ou s'introduit dans les Champs Elysees, les scenes de Seti Ier montrent Seti dans la barque solaire, et celles de Ramses III, Ramses III dans les Champs Elysees (Fig.155). Ou les murs d'Ounas ne donnent que les prieres recitees sur la momie pour lui ouvrir la bouche, lui rendre l'usage des membres, l'habiller, la parfumer, la nourrir, ceux de Seti Ier representent la momie elle-meme et les statues supports du double entre les mains des pretres qui leur ouvrent la bouche, les habillent, les parfument, leur tendent les plats divers du repas funebre. Les plafonds etoiles des pyramides reproduisent la figure du ciel, mais sans indiquer a l'ame le nom des etoiles; sur les plafonds de quelques syringes, les constellations sont tracees chacune avec son image, des tables astronomiques donnent l'etat du ciel de quinze jours en quinze jours pendant les mois de l'annee egyptienne, et l'ame n'avait qu'a lever les yeux pour savoir dans quelle partie du firmament sa course la menait chaque nuit. L'ensemble est comme un recit illustre des voyages du soleil, et par suite de l'ame, a travers les vingt-quatre heures du jour. Chaque heure est representee, et son domaine, qui etait divise en circonscriptions plus petites dont la porte etait gardee par un serpent gigantesque, _Face de feu, oeil de flamme, Mauvais oeil_. La troisieme heure du jour etait celle ou se decidait le sort des ames: le dieu Toumou les pesait et leur assignait un sejour selon les indications de la balance. L'ame coupable etait livree aux cynocephales assesseurs du tribunal, qui la chassaient a coups de verge, apres l'avoir changee en truie ou en quelque animal impur; innocente, elle passait dans la cinquieme heure, ou ses pareilles cultivaient les champs, fauchaient les epis de la moisson celeste, et, le travail accompli, se divertissaient sous la garde des genies bienveillants. Au dela de la cinquieme heure, les mers du ciel n'etaient plus qu'un vaste champ de bataille: les dieux de lumiere pourchassaient, entrainaient, enchainaient le serpent Apopi et finissaient par l'etrangler a la douzieme heure. Leur triomphe n'etait pas de longue duree. Le soleil, a peine victorieux, etait emporte par le courant dans le royaume des heures de la nuit, et des l'entree, il etait assailli, comme Virgile et Dante aux portes de l'enfer, par des bruits et par des clameurs epouvantables. Chaque cercle avait sa voix qu'on ne pouvait confondre avec la voix des autres: l'un s'annoncait comme par un immense bourdonnement de guepes, l'autre comme par les lamentations des femmes et des femelles quand elles pleurent les maris et les males, l'autre comme par un grondement de tonnerre. Le sarcophage lui-meme etait charge de ces tableaux joyeux ou sinistres. Il etait d'ordinaire en granit rose ou noir, et si large, que souvent il ne pouvait entrer dans la vallee par la porte des rois. On devait le hisser a grand'peine au sommet de la colline de Deir-el-Bahari, puis, de la, le descendre a destination. Comme il etait la derniere piece du mobilier funeraire dont on s'occupat, on n'avait pas toujours le loisir de l'achever. Quand il etait termine, les scenes et les textes qui le couvrent en faisaient le resume de l'hypogee entier. Le mort y retrouvait une fois de plus l'image de ses destinees surhumaines et y apprenait a connaitre le bonheur des dieux. Les tombes privees recevaient rarement une decoration aussi complete; cependant deux hypogees de la XXVIe dynastie, celui de Petamenophis a Thebes et celui de Bokenranf a Memphis, peuvent rivaliser sous ce rapport avec les syringes royales. Le premier renferme une edition complete du _Livre des morts_, le second de longs extraits du meme livre et des formules qui remplissent les pyramides. [Illustration: Fig. 155] Chaque partie de la tombe, comme elle avait sa decoration, avait son mobilier particulier. Il ne reste que peu de traces de celui de la chapelle: la table d'offrandes qui etait en pierre est d'ordinaire tout ce qui en subsiste. Les objets deposes dans le serdab, dans les couloirs, dans le caveau, ont mieux resiste aux ravages du temps et des hommes. Sous l'ancien empire, les statues etaient toujours confinees dans le serdab. La chambre ne renfermait guere, en dehors du sarcophage, que des chevets en calcaire et en albatre, des oies en pierre, rarement des palettes de scribe, tres souvent des vases de formes diverses en terre cuite, en diorite, en granit, en albatre, en calcaire compact, enfin des provisions de graines alimentaires, et les ossements des victimes sacrifiees le jour de l'enterrement. Sous les dynasties thebaines, le menage du mort devint plus complet et plus riche. Les statues des domestiques et de la famille, qui jadis accompagnaient dans le serdab les statues du mort, sont releguees au caveau et diminuent de taille. En revanche, bien des objets qui jadis etaient simplement representes sur la muraille s'en sont detaches: ainsi les barques funeraires avec leur equipage, la momie, les pleureuses, les pretres, les amis eplores, les offrandes, pains en terre cuite estampes au nom du maitre, et qu'on appelle improprement cones funeraires, grappes de raisin et moules en calcaire avec lesquelles le mort etait cense se fabriquer a lui-meme des boeufs, des oiseaux, des poissons en pate qui lui tenaient lieu des animaux en chair. Le mobilier, les ustensiles de toilette et de cuisine, les armes, les instruments de musique abondent, la plupart brises au moment de la mise au tombeau; on les tuait de la sorte afin que leur ame allat servir l'ame de l'homme dans l'autre monde. Les petites statuettes en pierre, en bois, en email bleu, blanc ou vert, sont jetees par centaines et meme par milliers au milieu de l'amas des meubles et des provisions. Ce sont d'abord a proprement parler des reductions des statues du serdab, destinees comme elles a servir de corps au double, puis a l'ame; on les habille alors comme l'individu dont elles portent le nom s'habillait pendant la vie. Plus tard, leur role s'amoindrit, et leurs fonctions se bornerent a repondre pour le maitre, et a executer, en son lieu et place, les travaux et la Corvee dans les champs celestes, quand il y etait convoque par les dieux. On les appelle alors _repondants (Oushbiti)_, on leur met au poing les instruments de labourage, et on leur donne presque toujours la semblance d'un corps momifie, dont les mains et le visage seraient degages des bandelettes. Les canopes, avec leurs tetes d'epervier, de cynocephale, de chacal et d'homme, etaient reserves, des la XIe dynastie, aux visceres qu'on etait oblige d'extraire de la poitrine et du ventre pendant l'embaumement. La momie elle-meme se charge de plus en plus de cartonnages, de papyrus, d'amulettes qui lui font comme une armure magique, dont chaque piece preserve les membres et l'ame qui les anime de la destruction. En theorie, chaque Egyptien avait droit a une maison eternelle, edifiee sur le plan dont je viens d'indiquer les transformations; mais les petites gens se passaient fort bien de tout ce qui etait necessaire aux morts de condition. On les enfouissait ou la place coutait le moins, dans de vieilles tombes violees et abandonnees, dans des fissures naturelles de la montagne, dans des puits ou dans des fosses communes. A Thebes, au temps des Ramessides, de grandes tranchees creusees dans le sable attendaient les cadavres. Les rites accomplis, les fossoyeurs recouvraient legerement les momies de la journee, parfois isolees, parfois associees par deux ou trois, parfois empilees, sans qu'on eut cherche a les disposer par couches regulieres. Quelques-unes n'avaient de protection que leurs bandages, d'autres etaient enveloppees de branches de palmier liees en facon de bourriche. Les plus soignees ont une boite en bois mal degrossie, sans inscription ni peinture. Beaucoup sont affublees de vieux cercueils d'occasion, qu'on ne s'etait pas donne la peine d'ajuster a la taille du nouveau proprietaire, ou sont jetees dans une caisse fabriquee avec les debris de deux ou trois caisses brisees. De mobilier funeraire, il n'en etait point question pour des marauds pareils; tout au plus ont-ils avec eux une paire de souliers en cuir, des sandales en carton peint ou en osier tresse, un baton de voyage pour les chemins celestes, des bagues en terre emaillee, des bracelets ou des colliers d'un seul fil de petites perles bleues, des figurines de Phtah, d'Osiris, d'Anubis, d'Hathor, de Bastit, des yeux mystiques, des scarabees, surtout des cordes roulees autour du bras, du cou, de la jambe, de la taille, et destinees a preserver le cadavre des influences magiques. CHAPITRE IV LA PEINTURE ET LA SCULPTURE Les bas-reliefs et les statues qui decoraient les temples ou les tombeaux etaient peints pour la plupart. Le granit, le basalte, le diorite, la serpentine, l'albatre, les pierres colorees naturellement, echappaient parfois a cette loi de polychromie: le gres, le calcaire, le bois y etaient soumis rigoureusement, et, si on rencontre quelques monuments de ces matieres qui ne sont pas enlumines, la couleur a disparu par accident, ou la piece est inachevee. Le peintre et le sculpteur etaient donc presque inseparables l'un de l'autre. Le premier avait a peine acheve son oeuvre que le second s'en emparait, et souvent le meme artisan s'entendait a manier le pinceau aussi bien que la pointe. 1.--LE DESSIN ET LA COMPOSITION. Nous ne connaissons pas les methodes que les Egyptiens employaient a l'enseignement du dessin. La pratique leur avait appris a determiner les proportions generales du corps et a etablir des relations constantes entre les parties dont il est constitue, mais ils ne s'etaient jamais inquietes de chiffrer ces proportions et de les ramener toutes a une commune mesure. Rien, dans ce qui nous reste de leurs oeuvres, ne nous autorise a croire qu'ils aient jamais possede un canon, regle sur la longueur du doigt ou du pied humain. Leur enseignement etait de routine et non de theorie. Ils avaient des modeles que le maitre composait lui-meme, et que les eleves copiaient sans relache, jusqu'a ce qu'ils fussent parvenus a les reproduire exactement. Ils etudiaient aussi d'apres nature, comme le prouve la facilite avec laquelle ils saisissaient la ressemblance des personnages, et le caractere ou le mouvement propre a chaque espece d'animaux. Ils jetaient leurs premiers essais sur des eclats de calcaire planes rudement, sur une planchette enduite de stuc rouge ou blanc, au revers de vieux manuscrits sans valeur: le papyrus neuf coutait trop cher pour qu'on le gaspillat a recevoir des barbouillages d'ecolier. Ils n'avaient ni crayons ni stylet, mais des joncs, dont le bout, trempe dans l'eau, se divisait en fibres tenues et formait un pinceau plus ou moins fin, selon la grosseur de la tige. La palette en bois mince, oblongue, rectangulaire, etait pourvue a la partie inferieure d'une rainure verticale a serrer la calame, et creusee a la partie superieure de deux ou plusieurs cavites renfermant chacune une pastille d'encre seche: la noire et la rouge etaient le plus usites. Un petit mortier et un pilon (Fig.156) pour broyer les couleurs, un godet plein d'eau pour humecter et laver les pinceaux, completaient le trousseau de l'apprenti. Accroupi devant son modele, palette au poing, il s'exercait a le reproduire en noir, a main levee et sans appui. Le maitre revoyait son oeuvre et en corrigeait les defauts a l'encre rouge. [Illustration: Fig. 156] Les rares dessins qui nous restent sont traces sur des morceaux de calcaire, en assez mauvais etat pour la plupart. Le British Museum en a deux ou trois au trait rouge, qui ont peut-etre servi comme de cartons au decorateur d'un tombeau thebain de la XXe dynastie. Un fragment du musee de Boulaq porte des etudes d'oies ou de canards a l'encre noire. On montre a Turin l'esquisse d'une figure de femme, nue au calecon pres, et qui se renverse en arriere pour faire la culbute: le trait est souple, le mouvement gracieux, le modele delicat. L'artiste n'etait pas gene, comme il l'est chez nous par la rigidite de l'instrument qu'il maniait. Le pinceau attaquait perpendiculairement la surface, ecrasait la ligne ou l'attenuait a volonte, la prolongeait, l'arretait, la detournait en toute liberte. Un outil aussi souple se pretait merveilleusement a rendre les cotes humoristiques ou risibles de la vie journaliere. Les Egyptiens, qui avaient l'esprit gai et caustique par nature, pratiquerent de bonne heure l'art de la caricature. Un papyrus de Turin raconte, en vignettes d'un dessin sur et libertin, les exploits amoureux d'un pretre chauve et d'une chanteuse d'Amon. Au revers, des animaux jouent, avec un serieux comique, les scenes de la vie humaine. Un ane, un lion, un crocodile, un singe se donnent un concert de musique instrumentale et vocale. Un lion et une gazelle jouent aux echecs. Le Pharaon de tous les rats, monte sur un char traine par des chiens, court a l'assaut d'un fort defendu par des chats. Une chatte du monde, coiffee d'une fleur, s'est prise de querelle avec une oie: on en est venu aux coups, et la volatile malheureuse, qui ne se sent pas de force a lutter, culbute d'effroi. Les chats etaient d'ailleurs les animaux favoris des caricaturistes egyptiens. Un ostracon du musee de New-York nous en montre deux, une chatte de race assise sur Un fauteuil, en grande toilette, et un miserable matou qui lui sert a manger, d'un air piteux, la queue entre les jambes (Fig.157). L'enumeration des dessins connus est courte, comme on le voit: l'abondance de vignettes dont on avait coutume d'orner certains ouvrages compense notre pauvrete en ce genre. Ce sont presque toujours des exemplaires du _Livre des morts_ et du _Livre de savoir ce qu'il y a dans l'enfer_. On les copiait par centaines, d'apres des manuscrits-types, conserves dans les temples ou dans les familles consacrees hereditairement au culte des morts. Le dessinateur n'avait donc aucun effort d'imagination a faire. Sa tache consistait uniquement a imiter le modele qu'on lui donnait, avec toute l'habilete dont il etait capable. Les rouleaux du _Livre de savoir ce qu'il y a dans l'enfer_, qui sont parvenus jusqu'a nous, ne sont pas anterieurs a la XXe dynastie. [Illustration: Fig. 157] Le faire en est toujours assez mauvais, et les figures ne sont le plus souvent que des bonshommes traces rapidement et mal proportionnes. Le nombre des exemplaires du _Livre des morts_ est tellement considerable qu'on pourrait, rien qu'avec eux, entreprendre une histoire de la miniature en Egypte: d'aucuns remontent en effet a la XVIIIe dynastie, d'autres sont contemporains des premiers Cesars. Les plus anciens sont generalement d'une execution remarquable. Chaque chapitre est accompagne d'une vignette qui represente un dieu, homme ou bete, un embleme divin, le mort en adoration devant la divinite. Ces petits motifs sont ranges quelquefois en une seule ligne au-dessus du texte courant (Fig.158), quelquefois disperses a travers les pages, comme les majuscules ornees de nos manuscrits. D'espace en espace, de grands tableaux occupent toute la hauteur du feuillet, l'enterrement au debut, le jugement de l'ame vers le milieu, l'arrivee du mort aux champs d'Ialou vers la fin de l'ouvrage. L'artiste avait la beau jeu a deployer son talent et a nous donner la mesure de ses forces. La momie d'Hounofir est debout devant la stele et le tombeau (Fig.159); les femmes de la famille pleurent sur elle, tandis que les hommes et le pretre lui presentent l'offrande. Les papyrus des princes et princesses de la famille de Pinotmou, qui sont au musee de Boulaq, montrent que les bonnes traditions de l'ecole se maintinrent, chez les Thebains, jusqu'a la XXIe dynastie. La decadence vint rapidement sous les regnes suivants, et, pendant des siecles, nous ne trouvons plus que des dessins grossiers et sans valeur. La chute de la domination persane produisit une renaissance. Les tombeaux de l'epoque grecque nous ont rendu des papyrus a vignettes soignees, d'un style sec et minutieux, qui contraste singulierement avec la maniere large et hardie des temps anterieurs. Le pinceau a pointe large avait ete remplace par le pinceau a pointe fine. Les scribes rivaliserent a qui menerait les lignes les plus deliees, et les traits dont ils se complurent a surcharger les accessoires de leurs figures, barbe, cheveux, plis du vetement, sont quelquefois si tenus qu'on a peine a les distinguer sans loupe. Si precieux que soient ces documents, ils ne suffiraient pas a nous faire apprecier la valeur et les procedes de travail des artistes egyptiens; c'est aux murailles des temples ou des tombeaux que nous devons nous adresser si nous desirons connaitre leurs habitudes de composition. [Illustration: Fig. 158] [Illustration: Fig. 159] Les conventions de leur dessin different sensiblement de celles du notre. Homme ou bete, le sujet n'etait jamais qu'une silhouette a decouper sur le fond environnant. On cherchait donc a demeler, parmi les formes, celles-la seules qui offrent un profil accentue, et que le simple trait pouvait saisir et amener sur une surface plane. Pour les animaux, le probleme n'offrait rien de complique: l'echine et le ventre, la tete et le cou, allonges parallelement au sol, se profilent d'une seule venue, les pattes sont bien detachees du corps. Aussi les animaux sont-ils pris sur le vif, avec l'allure, le geste, la flexion des membres, particuliere a chaque espece. La marche lente et mesuree du boeuf, le pas court, l'oreille meditative, la bouche ironique de l'ane, le trot menu et saccade des chevres, le coup de rein du levrier en chasse, sont rendus avec un bonheur constant de ligne et d'expression. Et si des animaux domestiques on passe aux sauvages, la perfection n'est pas moindre. Jamais on n'a mieux exprime qu'en Egypte la force calme du lion au repos, la demarche sournoise et endormie du leopard, la grimace des singes, la grace un peu grele de la gazelle et de l'antilope. Il n'etait pas aussi facile de projeter l'homme entier sur un meme plan, sans s'ecarter de la nature. L'homme ne se laisse pas reproduire aisement par la ligne seule, et la silhouette supprime une part trop grande de sa personne. La chute du front et du nez, la coupe des levres, le galbe de l'oreille, disparaissent quand la tete est dessinee de face. Il faut, au contraire, que le buste soit pose de face pour que la ligne des epaules se developpe en son entier, et pour que les deux bras soient visibles a droite et a gauche du corps. Les contours du ventre se modelent mieux lorsqu'on les apercoit de trois quarts et ceux des jambes lorsqu'on les prend de cote. Les Egyptiens ne se firent point scrupule de combiner, dans la meme figure, les perspectives contradictoires que produisent l'aspect de face et l'aspect de profil. La tete, presque toujours munie d'un oeil de face, est presque toujours plantee de profil sur un buste de face, le buste surmonte un tronc de trois quarts, et le tronc s'etaye sur des jambes de profil. Ce n'est pas qu'on ne rencontre assez souvent des figures etablies, ou peu s'en faut, selon les regles de notre perspective. La plupart des personnages secondaires que renferme le tombeau de Khnoumhotpou ont essaye de se soustraire a la loi de malformation; ils ont le buste de profil, comme la tete et les jambes, mais ils portent en avant tantot l'une, tantot l'autre des epaules, afin de bien montrer leurs deux bras (Fig.160). L'effet n'est pas des plus heureux, mais examinez le paysan qui gave une oie, et surtout celui qui pese sur le cou d'une gazelle pour l'obliger a s'accroupir (Fig.161): l'action des bras et des reins est rendue exactement, la fuite du dos est reguliere, les epaules, entrainees en arriere par le deplacement des bras, font saillir la poitrine sans en exagerer l'ampleur, le haut du corps tourne bien sur les hanches. Les lutteurs de Beni-Hassan s'attaquent et s'enlacent, les danseuses et les servantes des hypogees thebains se meuvent avec une liberte parfaite (Fig.162). Ce sont la des exceptions; ailleurs, la tradition a ete plus forte que la nature, et les maitres egyptiens continuerent jusqu'a la fin a deformer la figure humaine. Leurs hommes et leurs femmes sont donc de veritables monstres pour l'anatomiste, et cependant ils ne sont ni aussi laids ni aussi risibles qu'on est porte a le croire, en etudiant les copies malencontreuses que nos artistes en ont faites souvent. Les membres defectueux sont allies aux corrects avec tant d'adresse, qu'ils paraissent etre soudes comme naturellement. Les lignes exactes et les fictives se suivent et se completent si ingenieusement qu'elles semblent se deduire necessairement les unes des autres. [Illustration: Fig. 160] [Illustration: Fig. 161] [Illustration: Fig. 162] La convention une fois reconnue et admise, on ne saurait trop admirer l'habilete technique dont temoignent beaucoup de monuments. Le trait est net, ferme, lance resolument et longuement mene. Dix ou douze coups de pinceau suffisent a etablir une figure de grandeur naturelle. Un seul trait enveloppait la tete de la nuque a la naissance du cou, un seul marquait le ressaut des epaules et la tombee des bras. Deux traits ondules a propos cernaient le contour exterieur, du creux de l'aisselle a la pointe des pieds, deux arretaient les jambes, deux les bras. Les details du costume et de la parure, d'abord indiques sommairement, etaient repris un a un et acheves minutieusement: on peut compter presque les tresses de la chevelure, les plis du vetement, les emaux de la ceinture ou des bracelets. Ce melange de science naive et de gaucherie voulue, d'execution rapide et de retouche patiente, n'exclut ni l'elegance des formes, ni la grace et la verite des attitudes, ni la justesse des mouvements. Les personnages sont etranges, mais ils vivent, et, qui veut se donner la peine de les regarder sans prejuge, leur etrangete meme leur prete un charme, que n'ont pas des oeuvres plus recentes et plus conformes a la verite. Les Egyptiens ont donc su dessiner. Ont-ils, comme on le dit souvent, ignore l'art de composer un ensemble? Prenez une scene au hasard dans un des hypogees thebains, celle qui represente le repas funeraire offert au prince Harmhabi par les gens de sa famille (Fig.163). C'est un sujet moitie ideal, moitie reel. Le defunt et ceux des siens qui sont deja de son monde y figurent a cote des vivants, visibles, mais non meles; ils assistent plus qu'ils ne prennent part au banquet. Harmhabi siege donc sur un pliant, a la gauche du spectateur. Il a sur les genoux une petite princesse, une fille d'Amenhotpou III, dont il etait le pere nourricier et qui etait morte avant lui. Sa mere, Sonit, trone a sa droite, en retraite, sur un grand fauteuil, et de la main gauche lui serre le bras, de l'autre lui tend une fleur de lotus; une gazelle mignonne, peut-etre enterree aupres d'elle, comme la gazelle decouverte a cote de la reine Isimkheb dans le puits de Deir-el-Bahari, est attachee a l'un des pieds du fauteuil. Ce groupe surnaturel est de taille heroique. Assis, Harmhabi et sa mere ont le front de niveau avec celui des femmes qui se tiennent debout devant eux; il fallait en effet que les dieux fussent toujours plus grands que les hommes, les rois plus grands que leurs sujets, les maitres du tombeau plus grands que les vivants. Les parents et les amis sont ranges sur une seule ligne, la face aux ancetres, et semblent causer entre eux. Le service est commence. Les jarres de vin et de biere, posees a la file sur leurs selles en bois, sont deja ouvertes. Deux jeunes esclaves, puisant a merci dans un vase d'albatre, frottent les vivants d'essences odorantes. Deux femmes en toilette d'apparat presentent aux morts des coupes en metal remplies de fleurs, de grains et de parfums, qu'elles deposent au fur et a mesure sur une table carree; trois autres accompagnent de leur musique et de leur danse l'hommage des premieres. Comme ici le tombeau est la salle du festin, il n'y a d'autre fond au tableau que la paroi couverte d'hieroglyphes, a laquelle les invites etaient adosses pendant la ceremonie. Ailleurs, le theatre de l'action est indique clairement par des touffes d'herbe ou par des arbres, si elle se passe en rase campagne, par du sable rouge, si elle se passe au desert, par des fourres de joncs et de lotus, si elle se passe dans les marais. Une femme de qualite rentre chez elle (Fig.164). Une de ses filles, pressee par la soif, boit un long trait d'eau a meme une goulleh; deux petits enfants nus, un garcon et une fillette a tete rase, sont accourus vers la mere jusqu'a la porte de la rue, et recoivent, des mains d'une servante, des joujoux qu'on leur a rapportes du dehors. Une treille, habillee de vignes, des arbres charges de fruits poussent au second plan: nous sommes dans un jardin, mais la maitresse et ses deux filles ainees l'ont traverse sans s'y arreter et sont entrees dans la maison. La facade, levee a moitie, laisse voir ce qu'elles font: trois servantes leur servent des rafraichissements. Le tableau n'est pas mal compose et pourrait etre transcrit sur la toile par un moderne sans exiger trop de changements; seulement la meme maladresse, ou le meme parti pris, qui obligeait l'Egyptien a emmancher une tete de profil sur un buste de face, l'a empeche de disposer ses plans en fuite l'un derriere l'autre, et l'a reduit a inventer des procedes plus ou moins ingenieux pour remedier a l'absence presque complete de perspective. [Illustration: Fig. 163] [Illustration: Fig. 164] Et d'abord, la plupart des personnages qui concourent a une meme action etaient rabattus sur un meme plan, isoles autant que possible, pour eviter que la silhouette de l'un recouvrit celle de l'autre; sinon, on les superposait a plat, comme s'ils n'avaient eu que deux dimensions et point d'epaisseur. Un bouvier qui marche au milieu de ses boeufs repose directement sur la ligne de terre aussi bien que la bete qui lui cache le ventre et la cuisse. Le soldat le plus lointain d'une compagnie qui s'avance en bon ordre au son de la trompette a la tete et les pieds au meme niveau que le soldat le plus voisin du spectateur (Fig.165). Lorsque des chars defilent devant Pharaon, on jurerait que leurs roues s'emboitent exactement dans la meme orniere, si la caisse du premier ne masquait en partie l'attelage du second (Fig.166). Dans ces exemples, les personnes et les choses sont, par accident ou par nature, placees assez pres l'une de l'autre pour que le defaut ne paraisse pas trop choquant, et l'artiste egyptien a use du meme procede qu'ont employe plus tard les sculpteurs grecs. Ailleurs, il a cherche a s'approcher davantage de la verite. Les archers de Ramses III a Medinet-Habou font un effort presque heureux pour se tenir en perspective: la file des casques s'abaisse et celle des arcs se releve regulierement, mais tous les pieds s'appuient sur une seule raie de sol, et la ligne qu'ils tracent ne suit pas, comme elle devrait, le mouvement des autres lignes (Fig.167). Ce mode de representation n'est pas rare a l'epoque thebaine. On l'adoptait de preference lorsqu'on voulait figurer des troupes d'hommes ou d'animaux placees sur un rang et entrainees au meme acte d'une meme impulsion; mais il avait l'inconvenient, grave aux yeux des Egyptiens, de supprimer presque entierement le corps des personnages, le premier excepte, et de n'en laisser subsister qu'un contour insuffisant. Lors donc qu'on ne pouvait ramener toutes les figures sur le devant du tableau, sans risquer d'en cacher une partie, on decomposait l'ensemble en plusieurs groupes, dont chacun representait un episode, et qu'on distribuait l'un au-dessus de l'autre dans le meme plan vertical. La hauteur de chacun d'eux ne depend en rien de la place qu'ils occupaient dans la perspective normale, mais du nombre d'etages superposes dont l'artiste pensait avoir besoin pour rendre completement sa pensee. Elle equivaut d'ordinaire a la moitie du registre principal, s'il se contentait de deux etages, au tiers s'il en voulait trois, et ainsi de suite. Cependant, lorsqu'il s'agit de simples accessoires, le registre qui les contient peut etre plus bas que les autres; ainsi, au festin funebre d'Harmhabi, les amphores sont entassees dans un moindre espace que celui ou siegent les convives. Les scenes secondaires etaient separees le plus souvent par une barre horizontale, mais le trait de division n'etait pas indispensable, et, surtout quand on avait a figurer des masses profondes d'individus rangees regulierement, les plans verticaux s'imbriquaient, pour ainsi dire, l'un sur l'autre, dans des proportions variables au caprice du dessinateur. A la bataille de Qodshou, les files de la phalange egyptienne se dominent successivement de toute la hauteur du buste (Fig.168), et celles des bataillons hittites se depassent a peine de la tete (Fig.169). Et les deformations que subissent les groupes d'hommes et d'animaux ne sont point parmi les plus fortes qu'on se soit permises en Egypte: les maisons, les terrains, les arbres, les eaux, ont ete defigures comme a plaisir. Un rectangle, pose de champ sur un des cotes longs et raye de rubans ondules, represente un canal; si vous en doutez, des poissons et des crocodiles sont la comme enseigne, pour bien montrer que vous devez voir de l'eau et non autre chose. Des bateaux sont en equilibre sur le bord superieur, des troupeaux plonges jusqu'au ventre passent a gue, un pecheur a la ligne marque l'endroit ou le Nil cesse et ou la berge commence. Ailleurs, le rectangle est comme suspendu a mi-tronc de cinq ou six palmiers (Fig.170); on comprend aussitot que l'eau coule entre deux rangs d'arbres. Ailleurs encore, au tombeau de Rekhmiri, les arbres sont couches proprement le long des quatre rives, et le profil d'une barque et d'un mort, hales par des profils d'esclaves, se promenent naivement sur l'etang vu de face (Fig.171). Les hypogees thebains de l'epoque des Ramessides fournissent aisement chacun plusieurs exemples d'artifices nouveaux et, quand on les a releves, on finit par ne plus savoir ce qu'on doit admirer le plus, l'obstination des Egyptiens a ne pas trouver les lois naturelles de la perspective, ou la fecondite d'esprit dont ils ont fait preuve pour inventer tant de relations fausses entre les objets. [Illustration: Fig. 165] [Illustration: Fig. 166] [Illustration: Fig. 167] [Illustration: Fig. 168] [Illustration: Fig. 169] [Illustration: Fig. 170] [Illustration: Fig. 171] Appliques a de vastes etendues, leurs procedes de composition choquent moins qu'ils ne font a des sujets de petites dimensions. On sent d'instinct que l'artiste le plus habile n'aurait pu se garder de tricher quelquefois avec la perspective, s'il avait eu a couvrir les surfaces immenses des pylones, et cela rend l'oeil plus indulgent. Aussi bien les motifs qu'on donnait a traiter dans d'aussi grands cadres n'offrent jamais une unite rigoureuse. Assujettis que les gens etaient a perpetuer le souvenir victorieux d'un Pharaon, Pharaon joue necessairement chez eux le premier role; mais, au lieu de choisir parmi ses hauts faits un episode dominant, le plus propre a mettre sa grandeur en lumiere, ils prenaient plaisir a juxtaposer tous les moments successifs de ses campagnes. Attaque de nuit du camp egyptien par une bande d'Asiatiques, envoi par le prince de Khiti d'espions destines a donner le change sur ses intentions, la maison militaire du roi surprise et enfoncee par les chariots hittites, la bataille de Qodshou et ses peripeties, les pylones de Louxor et du Ramesseum portent comme un bulletin illustre de la campagne de Ramses II contre les Syriens en l'an V de son regne: ainsi les peintres des premieres ecoles italiennes deroulaient, dans le meme milieu, d'une suite non interrompue, les episodes d'une meme histoire. Les scenes sont repandues irregulierement sur la muraille, sans separation materielle, et l'on est expose parfois, comme pour les bas-reliefs de la colonne Trajane, a mal couper les groupes et a brouiller les personnages. Cette maniere de proceder est reservee presque exclusivement a l'art officiel. A l'interieur des temples et dans les tombeaux, les parties diverses d'un meme tableau sont distribuees en registres, qui montent et s'etagent du soubassement a la corniche. C'est une difficulte de plus ajoutee a celles qui nous empechent de comprendre les intentions et la maniere des dessinateurs egyptiens; nous nous imaginons souvent voir des sujets isoles, quand nous avons devant les yeux les membres disjoints de ce qui n'etait pour eux qu'une meme composition. Prenez une des parois du tombeau de Phtahhotpou a Saqqarah (Fig.172). Si vous desirez saisir le lien qui en rattache les parties, comparez-la a un monument d'epoque greco-romaine, la mosaique de Palestrine, qui represente a peu pres les memes scenes, mais groupees d'une facon plus conforme a nos habitudes d'oeil et d'esprit (Fig.173). Le Nil baigne le bas du tableau et s'etale jusqu'au pied des montagnes. Des villes sortent de l'eau, des obelisques, des fermes, des tours de style greco-italien, plus semblables aux fabriques des paysages pompeiens qu'aux monuments des Pharaons; seul, le grand temple situe au second plan, sur la droite, et vers lequel se dirigent deux voyageurs, est precede d'un pylone, auquel sont adosses quatre colosses osiriens, et rappelle l'ordonnance generale de l'architecture egyptienne. A gauche, des chasseurs, portes sur une grosse barque, poursuivent l'hippopotame et le crocodile a coups de harpon. A droite, une compagnie de legionnaires, massee devant un temple et precedee d'un pretre, parait saluer au passage une galere qui file a toutes rames le long du rivage. Au centre, des hommes et des femmes a moitie nues chantent et boivent, a l'abri d'un berceau sous lequel coule un bras du Nil. Des canots en papyrus montes d'un seul homme, des bateaux de formes diverses comblent les vides de la composition. Le desert commence derriere la ligne des edifices, et l'eau forme de larges flaques que surplombent des collines abruptes. Des animaux reels ou fantastiques, poursuivis par des bandes d'archers a tete rase, occupent la partie superieure du tableau. De meme que le mosaiste romain, le vieil artiste egyptien s'est place sur le Nil et a reproduit tout ce qui se passait entre lui et l'extreme horizon. Au bas de la paroi, le fleuve coule a pleins bords, les bateaux vont et viennent, les matelots echangent des coups de gaffe. Au-dessus, la berge et les terrains qui avoisinent le fleuve: une bande d'esclaves, caches dans les herbes, chassent a l'oiseau. Au-dessus encore, on fabrique des canots, on tresse la corde, on ouvre et on sale des poissons. Enfin, sous la corniche, les collines nues et les plaines ondulees du desert, ou des levriers forcent la gazelle, ou des chasseurs court-vetus lassent le gibier. Chaque registre repond a un des plans du paysage; seulement l'artiste, au lieu de mettre les plans en perspective, les a separes et superposes. Partout dans les tombeaux on retrouve la meme disposition: des scenes d'inondation et de vie civile au bas des murailles, dans le haut, la montagne et la chasse. Parfois le dessinateur a intercale entre deux des patres, des laboureurs, des gens de metier; parfois il fait succeder brusquement la region des sables a la region des eaux et supprime l'intermediaire. La mosaique de Palestrine et les parois des tombeaux pharaoniques reproduisent donc un meme ensemble de sujets, traites d'apres les conventions et les procedes de deux arts differents. Comme la mosaique, les parois des tombeaux forment, non pas une suite de scenes independantes, mais une composition reglee, dont ceux qui savent lire la langue artistique de l'epoque demelent aisement l'unite. [Illustration: Fig. 172] [Illustration: Fig. 173] 2.--LES PROCEDES TECHNIQUES. La preparation des surfaces a couvrir exigeait beaucoup de temps et beaucoup de soin. Comme l'imperfection des procedes de construction ne permettait pas a l'architecte de planer avec exactitude les parements exterieurs des murs du temple ou des pylones, il fallait bien que le decorateur s'accommodat d'une surface legerement bombee ou deprimee par endroits. Du moins etait-elle formee de blocs a peu pres homogenes: les filons de calcaire ou l'on creusait les hypogees contenaient presque toujours des rognons de silex, des fossiles, des chapelets de coquilles petrifiees. On remediait a ces defauts de facons differentes, selon que la decoration devait etre peinte ou sculptee. Dans le premier cas, apres avoir degrossi la paroi, on appliquait sur la surface encore rugueuse un crepi d'argile noire et de paille hachee menu, semblable au melange avec lequel on fabriquait la brique. Dans le second, on s'arrangeait autant que possible de maniere a eviter les inegalites de la pierre. Quand elles tombaient dans le champ des figures, mais n'offraient point trop de resistance au ciseau, on les laissait subsister, sinon on les enlevait et on bouchait le trou avec du ciment blanchatre ou des morceaux de calcaire ajustes. Ce n'etait point petite affaire, et l'on cite telle salle de tombeau ou chaque paroi est incrustee au quart de dalles rapportees. Ce travail preliminaire acheve, on repandait sur l'ensemble une couche mince de platre fin, gache avec du blanc d'oeuf, qui masquait l'enduit ou le rapiecage, et formait un champ lisse et poli, sur lequel le pinceau du dessinateur pouvait glisser librement. On rencontre un peu partout, et jusque dans les carrieres, des chambres ou parties de chambres inachevees, qui gardent encore l'esquisse a l'encre rouge ou noire des bas-reliefs dont elles devaient etre revetues. Le modele, execute en petit, etait mis au carreau et transporte sur la muraille a grande echelle par les aides et par les eleves. En quelques endroits, le sujet est indique sommairement par deux ou trois coups de calame hatifs: tel est le cas pour certaines scenes des tombeaux thebains que Prisse a relevees avec soin (Fig.174). Ailleurs, le trait est entierement termine et les figures n'attendent plus sur le treillis que l'arrivee du sculpteur. Quelques praticiens se contentaient de determiner la position des epaules et l'aplomb des corps par des lignes horizontales et verticales, sur lesquelles ils notaient la hauteur du genou, des hanches et des membres (Fig.175). D'autres, plus confiants dans leurs propres forces, abordaient le tableau a meme et placaient leurs personnages sans secours d'aucune sorte; ainsi, les artistes qui ont decore la syringe de Seti Ier et les salles meridionales du temple d'Abydos. Leur trait est si net et leur facilite d'execution si surprenante qu'on les a soupconnes d'avoir employe des poncifs decoupes a l'avance. C'est une opinion dont on revient bien vite, quand on examine de pres leurs figures et qu'on se donne la peine de les mesurer au compas. La taille est plus mince chez les unes, les contours de la poitrine sont plus accentues chez les autres ou les jambes moins ecartees. Le maitre n'avait pas grand'chose a corriger dans l'oeuvre de ces gens-la. Il redressait ca et la une tete, accentuait ou attenuait la saillie d'un genou, modifiait un detail d'ajustement. Une fois pourtant, a Kom-Ombo, dans un portique d'epoque greco-romaine, plusieurs des divinites du plafond avaient ete mal orientees et posaient les pieds ou elles auraient du avoir le bras: il les a remises en position sur le meme carreau, sans effacer l'esquisse primitive. La, du moins, il avait apercu l'erreur a temps: a Karnak, sur la paroi septentrionale de la salle hypostyle, et a Medinet-Habou, il ne l'a reconnue qu'apres que le sculpteur avait acheve son travail. Les figures de Seti Ier et de Ramses III penchaient trop en arriere et paraissaient pretes a perdre l'equilibre: il les empata de ciment ou de stuc, puis les fit tailler a nouveau. Aujourd'hui, le ciment est tombe, et les traces du premier ciseau sont redevenues visibles. Seti Ier et Ramses III ont deux profils, l'un a peine marque, l'autre leve franchement sur la surface de la pierre (Fig.176). [Illustration: Fig. 174] [Illustration: Fig. 175] [Illustration: Fig. 176--Double profil de Ramses III.] Les sculpteurs egyptiens n'etaient pas aussi bien equipes que les notres. Un des scribes agenouilles en calcaire du musee de Boulaq a ete taille au ciseau; les sillons lisses qu'avait laisses l'instrument sont visibles sur son epiderme. Une statue en serpentine grisatre du meme musee a garde la trace de deux outils differents: le corps est tout mouchete des coups de pointe, la tete est encore informe, mais le bloc qui les renferme a ete degrossi a petits eclats par la marteline. D'autres constatations du meme genre et l'etude des monuments nous ont appris qu'on employait aussi le violon (Fig.177), la gradine, la gouge; mais de longues discussions se sont elevees sur la question de savoir si ceux de leurs instruments qui etaient en metal etaient en fer ou en bronze. Le fer, a-t-on dit, etait considere comme impur. Personne n'aurait pu l'employer, meme aux usages les plus vils de la vie, sans contracter une souillure prejudiciable a l'ame en ce monde et dans l'autre. Mais l'impurete d'un objet n'a jamais suffi a en empecher l'emploi. Les porcs, eux aussi, etaient impurs. On les elevait pourtant et en nombre assez considerable, au moins dans certains cantons, pour permettre au bon Herodote de raconter qu'on les lachait sur les champs, apres les semailles, afin d'enterrer le grain. D'ailleurs le fer, comme bien des choses en Egypte, etait pur ou impur selon les circonstances. Si certaines traditions l'appelaient _l'os de Typhon_ et le tenaient pour funeste, d'autres aussi anciennes pretendaient qu'il etait la matiere meme du firmament, et elles avaient assez d'autorite pour qu'on l'appelat couramment _Banipit_, le metal celeste. Les quelques outils, dont on a trouve les fragments dans la maconnerie des pyramides, sont en fer, non en bronze, et si les objets antiques en fer sont si rares aujourd'hui, par comparaison aux objets en bronze, cela tient a ce que le fer n'est pas protege contre la destruction par son oxyde, comme le bronze l'est par le sien. La rouille le devore en peu de temps, et c'est seulement par un concours de circonstances assez difficiles a reunir qu'il se conserve intact. Toutefois, s'il est bien certain que les Egyptiens ont connu et employe le fer, il est non moins certain qu'ils n'ont jamais possede l'acier, et alors on se demande comment ils s'y prenaient pour faconner a leur gre les roches les plus dures, celles memes qu'on redoute presque d'attaquer aujourd'hui, le diorite, le basalte, le granit de Syene. Les quelques fabricants d'antiquites qui sculptent encore le granit a l'intention des voyageurs ont resolu le probleme tres simplement. Ils ont toujours a cote d'eux une vingtaine de ciseaux ou de pointes en mauvais fer, qu'un petit nombre de coups met hors de service. La premiere emoussee; ils passent a une autre, et ainsi de suite jusqu'a ce que la provision soit epuisee, apres quoi ils vont a la forge et font tout remettre en etat. Le procede n'est ni aussi long ni aussi penible qu'on pourrait croire. Un des meilleurs faussaires de Louxor a tire, en moins de quinze jours, d'un fragment de granit noir raye de rouge, une tete humaine de grandeur naturelle qui est au musee de Boulaq. Je ne doute pas que les anciens n'aient opere de meme: ils triomphaient des pierres dures a force d'user du fer sur elles. Le moyen une fois decouvert, l'habitude leur avait enseigne les tours de main les plus favorables a rendre la besogne aisee et a obtenir de leurs outils une execution aussi fine et aussi reguliere que celle que nous tirons des notres. Des que l'apprenti savait manier la pointe et le maillet, le maitre le placait devant des modeles gradues qui representaient les etats successifs d'un animal, d'une portion de corps humain, du corps humain entier, depuis l'ebauche jusqu'au parfait achevement (Fig.178). On les recueille chaque annee en assez grand nombre pour etablir des series progressives: quinze de ceux qui sont a Boulaq viennent de Saqqarah, quarante et un de Tanis, une douzaine de Thebes et de Medinet-el-Fayoum, sans parler des pieces isolees qu'on ramasse un peu partout. Ils etaient destines partie a l'etude du bas-relief, partie a celle de la statuaire proprement dite, et nous en font connaitre les procedes. [Illustration: Fig. 177--Violon conserve a Berlin.] [Illustration: Fig. 178--Dalle ayant servi de modele.] Les Egyptiens traitaient le bas-relief de trois facons principales: ou bien c'etait une simple gravure a la pointe, ou bien ils abattaient le fond autour de la figure et la modelaient en saillie sur la muraille, ou bien ils reservaient le champ et levaient le motif en relief dans le creux. Le premier procede a l'avantage d'aller vite et l'inconvenient d'etre peu decoratif. Ramses III s'en est servi dans quelques endroits, a Medinet-Habou; mais on l'appliquait de preference aux steles et aux petits monuments. Le dernier diminuait les chances de destruction de l'oeuvre et la peine de l'ouvrier: il supprimait en effet le dressage des fonds, ce qui etait une reelle economie de temps, et ne laissait subsister aucune saillie a la face du parement, ce qui mettait l'image a l'abri des chocs accidentels. Le procede intermediaire etait le plus usite, et on parait l'avoir enseigne dans les ecoles de preference aux autres. Les modeles etaient de petites dalles carrees ou rectangulaires, quadrillees pour permettre a l'eleve d'augmenter ou de reduire son sujet sans rien changer aux proportions traditionnelles. Quelques-unes sont ouvrees sur les deux plats; la plupart n'ont de sculpture que d'un cote. C'est alors un boeuf, une tete de cynocephale, un belier, un lion, une divinite; de temps en temps, le meme motif y est repete deux fois, a peine degrossi sur la gauche, fini a droite jusque dans ses moindres details. Dans aucun cas, la figure n'est tres elevee au-dessus du fond: elle ne depasse jamais les cinq millimetres et se maintient ordinairement plus bas. Ce n'est pas que les Egyptiens n'aient su fouiller profondement la pierre a l'occasion. La decoration atteint jusqu'a seize centimetres de saillie, a Medinet-Habou et a Karnak, sur le granit et sur le gres, dans les parties hautes du temple, et dans celles qui sont exposees directement au plein jour; si elle etait moindre, les tableaux seraient comme absorbes par la lumiere repandue sur eux et offriraient une masse de lignes confuses au spectateur. Les modeles consacres a l'etude de la ronde bosse sont plus instructifs encore que les precedents. Plusieurs de ceux que nous possedons sont des moulages en platre d'oeuvres connues dans l'ecole. La tete, les bras, les jambes, le tronc, chaque partie du corps etait coulee separement. Voulait-on une figure complete? on assemblait les morceaux et on avait, selon le cas, une statue d'homme ou de femme, agenouillee ou debout, assise sur un siege ou accroupie sur les talons, le bras tendu en avant ou au repos le long du buste. Cette collection curieuse a ete decouverte a Tanis et date probablement du temps des Ptolemees. Les modeles d'epoque pharaonique sont en calcaire tendre et representent presque tous le portrait du souverain regnant. Ce sont de vrais des a base rectangulaire, hauts de vingt-cinq centimetres en moyenne. On commencait par etablir sur une des faces un reseau de lignes croisees a angle droit, et qui reglaient la position relative des traits du visage, puis on attaquait la face opposee, en se guidant d'apres l'echelle inscrite au revers. L'ovale seul est dessine nettement sur le premier bloc: un saillant au milieu, deux rentrants a droite et a gauche indiquent vaguement la position du nez et des yeux. La forme s'accuse a mesure qu'on passe d'un bloc a l'autre, et le visage sort peu a peu de la masse ou il etait enferme. L'artiste en limite les contours, au moyen de tailles menees parallelement de haut en bas, puis abat les angles des tailles et les tond de maniere a preciser le modele: les lineaments se degagent, l'oeil se creuse, le nez s'affine, la bouche s'epanouit. Au dernier bloc, il ne reste plus rien d'inacheve que l'uraeus et le detail de la coiffure. Nous n'avons aucun morceau d'ecole en granit ou en basalte; mais les Egyptiens, comme nos marbriers de cimetiere, gardaient toujours en magasin des statues de pierre dure, a moitie pretes, et qu'ils pouvaient terminer aisement en quelques heures. Les mains, les pieds, le buste n'attendent plus que la touche finale, mais la tete est a peine degrossie et l'habit n'est qu'ebauche; une demi-journee aurait suffi pour transformer le masque en un portrait de l'acheteur et pour mettre le jupon a la mode nouvelle. Deux ou trois statues de ce genre nous revelent le procede aussi clairement que les modeles theoriques auraient pu le faire. La taille reguliere et continue du calcaire ne convenait pas aux roches volcaniques, la pointe seule parvenait a les assouplir et a triompher de leur resistance. Lorsqu'a force de patience et de temps, elle avait amene l'oeuvre au point voulu, s'il y avait encore ca et la quelques asperites, quelques noyaux de substances heterogenes, qu'on n'osait attaquer resolument de peur d'enlever avec elles les parties environnantes, on avait recours a un instrument nouveau. L'artiste appuyait sur la parcelle superflue le tranchant d'un galet en forme de hache, et d'un second galet arrondi, qui remplacait le maillet, frappait a coups mesures sur cet engin grossier: le point ainsi traite s'ecrasait sous le choc et s'en allait en poussiere. Les menus defauts corriges, le monument avait encore l'aspect fruste et terne. Il fallait le polir pour faire disparaitre les cicatrices de la pointe et du marteau. L'operation etait des plus delicates, un tour de main malheureux, une distraction d'un moment, et l'oeuvre de longues semaines etait gatee sans retour. La dexterite des praticiens rendait un accident assez rare. Examinez le Sovkoumsaouf de Boulaq, examinez le Ramses II colossal de Louxor. Les jeux de lumiere empechent d'abord l'oeil d'en bien saisir les delicatesses; mais si vous vous placez dans un jour favorable, le detail du genou et de la poitrine, de l'epaule et du visage, n'est pas moins finement exprime sur le granit qu'il ne l'est sur le calcaire. Le poli a outrance n'a pas plus gate les statues egyptiennes qu'il n'a fait celles des sculpteurs italiens de la Renaissance. Au sortir des mains du sculpteur, l'oeuvre tombait entre celles du peintre. Elle aurait ete juge imparfaite si on lui avait laisse la teinte de la pierre dans laquelle elle etait taillee. Les statues etaient peintes des pieds a la tete. Dans les bas-reliefs, le fond restait nu, les figures etaient enluminees. Les Egyptiens avaient a leur disposition plus de couleurs qu'on n'est dispose a leur en preter d'ordinaire. Les plus anciennes de leurs palettes--et on en connait qui sont de la Ve dynastie--ont des compartiments separes pour le jaune, le rouge, le bleu, le brun, le blanc, le noir et le vert. D'autres, a la XVIIIe dynastie, comptent trois varietes de jaune, trois de brun, deux de rouge et de bleu, deux de vert, en tout quatorze ou seize tons differents. On obtenait le noir en calcinant les os d'animaux. Les autres matieres employees a la peinture existent naturellement dans le pays. Le blanc est du platre mele d'albumine ou de miel, les jaunes sont de l'ocre ou du sulfure d'arsenic, l'orpiment de nos peintres, les rouges de l'ocre, du cinabre ou du vermillon, les bleus du lapis-lazuli ou du sulfate de cuivre broyes. Si la substance etait rare ou couteuse, on lui substituait des produits de l'industrie locale. On remplacait le lapis-lazuli par du verre colore en bleu au sulfate de cuivre et qu'on reduisait en poussiere impalpable. La couleur, conservee dans des sachets, etait delayee, au fur et a mesure des besoins, avec de l'eau additionnee legerement de gomme adragante. On l'etalait au moyen d'un calame ou d'une brosse en crin plus ou moins grosse. Bien preparee, elle etait d'une solidite remarquable et s'est a peine modifiee au cours des siecles. Les rouges ont fonce, le vert s'est terni, les bleus ont verdi ou grise, mais ce n'est qu'a la surface; des qu'on enleve la couche exterieure, les dessous apparaissent brillants et inalteres. Jusqu'a l'epoque thebaine, on ne prit aucune precaution pour defendre la peinture contre l'action de l'air et de la lumiere. Vers la XXe dynastie, l'usage se repandit de la recouvrir d'un vernis transparent, soluble dans l'eau, probablement la gomme d'une sorte d'acacia. L'emploi n'en etait point le meme partout: certains peintres l'etendaient egalement sur le tableau entier, d'autres se contentaient d'en glacer les ornements et les accessoires, sans toucher aux nus ni aux vetements. Il s'est craquele sous l'influence du temps, ou a noirci au point de gater ce qu'il aurait du proteger. Les Egyptiens reconnurent sans doute les mauvais effets qu'il produisait, car on ne le rencontre plus a partir de la XXe dynastie. De grandes teintes plates, uniformes, juxtaposees, mais non fondues: on enluminait, on ne peignait pas au sens ou nous prenons le mot. De meme qu'en dessinant, on resumait les lignes et on supprimait presque le modele interne, en mettant la couleur, on la simplifiait et on ramenait a une seule teinte, non rompue, toutes les varietes de tons qui existent naturellement sur un objet ou qu'y produisent les jeux de l'ombre et de la lumiere. Elle n'est jamais ni entierement vraie ni entierement fausse. Elle se rapproche de la nature autant que possible, mais sans pretendre a l'imiter fidelement, l'attenue tantot, tantot l'exagere et substitue un ideal, une convention a la realite visible. L'eau est toujours d'un bleu uni ou raye de zigzags noirs. Les reflets fauves et bleuatres du vautour sont rendus par du rouge vif et du bleu franc. Tous les hommes ont le nu brun, toutes les femmes l'ont jaune clair. On enseignait dans les ateliers la couleur qui convenait a chaque etre ou a chaque objet, et la recette, une fois composee, se transmettait sans changement de generation en generation. De temps a autre quelques peintres plus hardis que le commun se risquaient a rompre avec la tradition. Vous trouverez des hommes au teint jaune comme celui des femmes, a Saqqarah sous la Ve dynastie, a Ibsamboul sous la XIXe, et des personnages aux chairs roses, dans les tombeaux de Thebes et d'Abydos, vers l'epoque de Thoutmos IV et d'Harmhabi. Ces nouveautes ne duraient guere, un siecle au plus, et l'ecole retombait dans ses anciens errements. N'allez pas imaginer cependant que l'ensemble produit par ce coloris factice soit criard ou discordant. Meme dans des ouvrages de petite dimension, manuscrits du _Livre des Morts_, ornements des cercueils ou des coffrets funeraires, il a de l'agrement et de la douceur. Les tons les plus vifs y sont juxtaposes avec une hardiesse extreme, mais avec la pleine connaissance des relations qui s'etablissent entre eux et des phenomenes qui resultent necessairement de ces relations. Ils ne se heurtent, ne s'exasperent, ni ne s'eteignent; ils se font valoir naturellement et donnent naissance, par le rapprochement, a des demi-tons qui les accordent. Passez du petit au grand, du feuillet de papyrus ou du panneau en bois de sycomore a la paroi des tombeaux et des temples, l'emploi habile des teintes plates, loin d'y blesser l'oeil, le flatte et le caresse. Chaque mur est traite comme un tout, et l'harmonie des couleurs s'y poursuit a travers les registres superposes: tantot elles sont reparties avec rythme ou symetrie, d'etage en etage, et s'equilibrent l'une par l'autre, tantot l'une d'elles predomine et determine une tonalite generale, a laquelle le reste est subordonne. L'intensite de l'ensemble est toujours proportionnee a la qualite et a la quantite de lumiere que le tableau devait recevoir. Dans les salles entierement sombres, le coloris est pousse aussi loin que possible; moins fort, on l'aurait a peine apercu a la lueur vacillante des lampes et des torches. Aux murs d'enceinte et sur la face des pylones, il atteignait la meme puissance qu'au fond des hypogees; si brutal qu'on le fit, le soleil en attenuait l'eclat. Il est doux et discret dans les pieces ou ne penetre qu'un demi-jour voile, sous le portique des temples et dans l'antichambre des tombeaux. La peinture en Egypte n'etait que l'humble servante de l'architecture et de la sculpture. La comparer a la notre ou meme a celle des Grecs, il n'y faut point songer; mais si on la prend pour ce qu'elle est dans le role secondaire qui lui etait assigne, on ne pourra s'empecher de lui reconnaitre des merites peu communs. Elle a excelle au decor monumental, et si jamais on en revient a colorer les facades de nos maisons et de nos edifices publics, on ne perdra rien a etudier ses formules ou a rechercher ses procedes. 3.--LES OEUVRES. La statue la plus ancienne qu'on ait trouvee jusqu'a ce jour est un colosse, le Sphinx de Gizeh. Il existait deja du temps de Kheops, et peut-etre ne se trompera-t-on pas beaucoup si l'on se hasarde a reconnaitre en lui l'oeuvre des generations anterieures a Mini, celles que les chroniques sacerdotales appelaient les Serviteurs d'Hor. Taille en plein roc, au rebord extreme du plateau libyque, il semble hausser la tete pour etre le premier a decouvrir par-dessus la vallee le lever de son pere le soleil (Fig.179). Les sables l'ont tenu enterre jusqu'au menton pendant des siecles, sans le sauver de la ruine. Son corps effrite n'a plus du lion que la forme generale. Les pattes et la poitrine, reparees sous les Ptolemees et sous les Cesars, ne retiennent qu'une partie du dallage dont elles avaient ete revetues a cette epoque pour dissimuler les ravages du temps. Le bas de la coiffure est tombe, et le cou aminci semble trop faible pour soutenir le poids de la tete. Le nez et la barbe ont ete brises par des fanatiques, la teinte rouge qui avivait les traits est effacee presque partout. Et pourtant l'ensemble garde jusque dans sa detresse une expression souveraine de force et de grandeur. Les yeux regardent au loin devant eux, avec une intensite de pensee profonde, la bouche sourit encore, la face entiere respire le calme et la puissance. L'art qui a concu et taille cette statue prodigieuse en pleine montagne etait un art complet, maitre de lui-meme, sur de ses effets. Combien de siecles ne lui avait-il pas fallu pour arriver a ce degre de maturite et de perfection? C'est par erreur qu'on a cru voir dans quelques morceaux appartenant a nos musees, les statues de Sapi et de sa femme au Louvre, les bas-reliefs du tombeau de Khabiousokari a Boulaq, la rudesse et les tatonnements d'un peuple qui s'essaye. La raideur du geste et de la pose, la carrure exageree des epaules, la bande de fard vert barbouillee sous les yeux, les caracteres qu'ils offrent et qu'on donne comme des marques d'antiquite, apparaissent sur des monuments certains de la Ve et de la VIe dynastie. Les sculpteurs d'un meme siecle n'etant pas tous egalement habiles, si beaucoup etaient capables de bien faire, la plupart n'etaient que des manoeuvres, et l'on doit bien se garder de prendre pour gaucherie archaique ce qui est chez eux maladresse ou insuffisance d'apprentissage. Les oeuvres des dynasties primitives dorment encore ignorees sous vingt metres de sable au pied du Sphinx; celles des dynasties historiques sortent chaque jour du fond des tombeaux. Elles ne nous ont pas rendu l'art egyptien entier, mais une de ses ecoles, la memphite. [Illustration: Fig. 179] Le Delta, Hermopolis, Abydos, les environs de Thebes, Assouan, ne commencent a se reveler que vers la VIe dynastie; encore est-ce par un petit nombre d'hypogees violes et depouilles depuis longtemps. Le dommage n'est peut-etre pas tres grand. Memphis etait alors la capitale, et la presence des Pharaons devait y attirer tout ce qui avait du talent dans les principautes vassales. Rien qu'avec le produit des fouilles pratiquees dans ses necropoles, nous pouvons determiner les caracteres de la sculpture et de la peinture au temps de Snofrou et de ses successeurs, aussi exactement que si nous avions deja entre les mains tous les monuments que la vallee entiere tient en reserve pour ceux qui l'exploreront apres nous. Le menu peuple des artistes excellait au maniement de la brosse et du ciseau, et les tableaux qu'il a traces par milliers temoignent d'une habilete peu commune. Le relief en est leger, la couleur sobre, la composition bien entendue. Les architectures, les arbres, la vegetation, les accidents de terrain sont indiques sommairement, et la seulement ou ils sont necessaires a l'intelligence de la scene representee. En revanche, l'homme et les animaux sont traites avec une abondance de detail, une verite d'allures, et parfois une energie de rendu, que les ecoles posterieures ont rarement au meme degre. Les six panneaux en bois du tombeau d'Hosi, au musee de Boulaq, sont peut-etre ce que nous avons de mieux en ce genre. Mariette les attribuait a la IIIe dynastie, et peut-etre a-t-il raison de le faire: je pencherai pourtant a en placer l'execution sous la Ve. La donnee du tableau n'est rien: Hosi, debout (Fig.180) ou assis, et, au-dessus de sa tete, quatre ou cinq colonnes d'hieroglyphes. Mais, quelle fermete de trait, quelle entente du modele, quelle souplesse d'execution! Jamais on n'a taille le bois d'une main plus ferme et d'un ciseau plus delicat. [Illustration: Fig. 180] Les statues ne presentent point la variete de gestes et d'attitudes qu'on admire dans les tableaux. Un pleureur, une femme qui ecrase le grain du menage, le boulanger qui brasse la pate sont aussi rares en ronde bosse qu'ils sont frequents en bas-reliefs. La plupart des personnages sont tantot debout et marchant, la jambe en avant, tantot debout, mais immobiles et les deux pieds reunis, tantot assis sur un siege ou sur un de de pierre, quelquefois agenouilles, plus souvent accroupis le buste droit et les jambes a plat sur le sol, comme les fellahs d'aujourd'hui. Cette monotonie voulue s'expliquerait peu si l'on ne connaissait l'usage auquel ces images etaient destinees. Elles representaient le mort pour qui le tombeau avait ete creuse, ses parents, ses employes, ses esclaves, les gens de sa famille. Le maitre est toujours assis ou debout, et il ne pouvait guere avoir d'autre position. Le tombeau en effet est la maison ou il repose de la vie, comme il faisait jadis dans sa maison terrestre, et les scenes tracees sur les parois nous montrent les actes qu'il y accomplissait officiellement. Ici, il assiste aux travaux preliminaires de l'offrande qui le nourrit, la semaille et la recolte, l'eleve des bestiaux, la peche, la chasse, les manipulations des metiers, et _surveille toutes les oeuvres qu'on accomplit pour la demeure eternelle_: il est alors debout, la tete haute, les mains pendantes ou armees de batons de commandement. Ailleurs, on lui apporte l'une apres l'autre les diverses parties de l'offrande, et alors il est assis sur un fauteuil. Ces deux poses qu'il a dans les tableaux, il les garde dans les statues. Debout, il est cense recevoir l'hommage des vassaux; assis, il prend sa part du repas de famille. Les gens de la maison ont comme lui l'attitude qui convient a leur rang et a leur metier. L'epouse est debout, assise sur le meme siege ou sur un siege isole, accroupie aux pieds de l'epoux, comme pendant la vie. Le fils a le costume de l'enfance, si la statue a ete commandee tandis qu'il etait encore enfant, le geste et l'attribut de sa charge, s'il est a l'age d'homme. Les esclaves broient le grain, les celleriers poissent l'amphore, les pleureurs se lamentent et s'arrachent les cheveux. La hierarchie sociale suivait l'Egyptien dans la tombe et reglait la pose apres, comme elle l'avait reglee avant la mort. Et la ne s'arretait point l'influence que la conception religieuse de l'ame exercait sur l'art du sculpteur. Du moment que la statue est le support du double, la premiere condition a remplir pour que celui-ci puisse s'adapter aisement a son corps de pierre, c'est qu'elle reproduise, au moins sommairement, les proportions et les particularites du corps de chair. La tete est donc un portrait fidele. Le corps, au contraire, est pour ainsi dire un corps moyen, qui montre le personnage au meilleur de son developpement, et lui permet d'exercer parmi les dieux la plenitude de ses fonctions physiques: les hommes sont toujours dans la force de l'age, les femmes ont toujours le sein ferme et les hanches minces de la jeune fille. C'est seulement dans le cas d'une difformite par trop forte qu'on se departait de cet ideal. On donnait a la statue d'un nain toutes les laideurs du corps du nain, et il fallait bien qu'il en fut ainsi. Si l'on avait mis dans la tombe une statue reguliere, le double, habitue pendant la vie terrestre a la difformite de ses membres, n'aurait pu s'appuyer sur ce corps redresse et n'aurait pas ete dans les conditions necessaires pour bien vivre desormais. L'artiste n'etait libre que de varier le detail et de disposer les accessoires a son gre; il n'aurait pu rien changer a l'attitude et a la ressemblance generales sans manquer a la destination de son oeuvre. La repetition obstinee des memes motifs produit sur le spectateur une veritable monotonie, et l'impression qu'il ressent est encore augmentee par l'aspect particulier que les tenons prennent sous la main du sculpteur. Les statues sont appuyees pour la plupart a une sorte de dossier rectangulaire qui monte droit derriere elles, et, tantot se termine carrement au niveau du cervelet, tantot s'acheve en un pyramidion dont la pointe se perd parmi les cheveux, tantot s'arrondit au sommet et parait au-dessus de la tete du personnage. Les bras sont rarement separes du corps; dans bien des cas, ils adherent aux cotes et a la hanche. Celle des jambes qui porte en avant est reliee souvent au dossier, sur toute sa longueur, par une tranche de pierre. La raison en serait, dit-on, l'imperfection des outils: le sculpteur n'aurait pas detache les epaisseurs de matiere superflue, de peur de briser par contre-coup le membre qu'il modelait. L'explication a du etre valable au debut; elle ne l'etait plus des la IVe dynastie, car nous avons plus d'un morceau, meme en granit, ou tous les membres sont libres, soit qu'on les ait affranchis au ciseau, soit qu'on les ait degages au violon. Si l'usage des tenons persista jusqu'au bout, ce ne fut pas impuissance, mais routine ou respect exagere pour les enseignements du passe. La plupart des musees sont pauvres en statues de l'ecole memphite. La France et l'Egypte en possedent, parmi beaucoup de mediocres, une vingtaine qui suffisent a lui assurer un rang honorable dans l'histoire de l'art, le _Scribe accroupi_, Skhemka, Pahournofri, au Louvre, le _Sheikh-el-beled_ et sa femme, Khafri, Ranofir, le _Scribe agenouille_, a Boulaq. L'original du scribe accroupi n'etait point beau (Fig.181), mais son portrait est d'une verite et d'une vigueur qui compensent Largement ce qui manque en beaute ideale. Les jambes repliees sous lui et posees a plat, dans une de ces positions familieres aux Orientaux, mais presque impossibles a garder pour un Europeen, le buste droit et bien d'aplomb sur les hanches, la tete levee, la main armee du calame et deja en place sur la feuille de papyrus etalee, il attend encore, a six mille ans de distance, que le maitre veuille bien reprendre la dictee interrompue. La figure est presque carree, les traits fortement accentues indiquent l'homme dans la force de l'age. La bouche, longue et garnie de levres minces, se releve un peu vers les coins et disparait presque dans la saillie des muscles qui l'encadrent; les joues sont plutot osseuses et dures, les oreilles detachees de la tete sont epaisses et lourdes, le front bas est couronne d'une chevelure drue et coupee ras. L'oeil, grand et bien ouvert, doit une vivacite particuliere a une fraude ingenieuse de l'artisan antique. [Illustration: Fig. 181] L'orbite de pierre qui l'enchasse a ete evide, et le creux rempli par un assemblage d'email blanc et noir; une monture en bronze accuse le rebord des paupieres, tandis qu'un petit clou d'argent, place au fond de la prunelle, recoit la lumiere, et, la renvoyant, simule l'eclair d'un regard veritable. Les chairs sont un peu molles et pendantes, comme il convient a un homme d'un certain age, que ses occupations privent de tout exercice violent. Les bras et le dos sont d'un bon relief; les mains, osseuses et seches, ont des doigts de longueur plus qu'ordinaire, le genou est fouille avec minutie. Le corps entier est entraine, pour ainsi dire, par le mouvement de la figure et sous l'influence du meme sentiment d'attente qui domine dans la physionomie; les muscles du bras, du buste et de l'epaule sont dans un demi-repos seulement, prets a se remettre au travail. Le souci de l'attitude professionnelle et du geste caracteristique se retrouve avec la meme evidence sur toutes les statues que j'ai eu l'occasion d'etudier. Khafri est roi (Fig.182). Il est assis carrement sur le siege de sa dignite, les mains aux genoux, le buste ferme, le chef haut, le regard assure. L'inscription qui nous apprend son nom aurait ete detruite et les marques de son rang enlevees, que nous aurions devine le Pharaon a sa mine: tout en lui trahit l'homme habitue des l'enfance a se sentir investi de l'autorite souveraine. Ranofir appartient a une des grandes familles feodales de l'epoque. Il est debout, les bras colles au corps, la jambe gauche portee en avant, dans la pose du prince qui regarde ses vassaux defiler devant lui. Le masque est hautain, la demarche hardie; mais on n'y sent deja plus le calme et l'assurance surhumaine comme dans les statues de Khafri. Avec le _Sheikh-el-beled_ (Fig.183) on descend de plusieurs degres dans l'echelle sociale. Ramke etait _surintendant des travaux_, probablement un des chefs de corvee qui batirent les grandes pyramides, et appartenait a la classe moyenne. Il est tout empreint de contentement et de suffisance bourgeoise. On le voit surveillant ses manoeuvres, debout et le baton d'acacia a la main. Les pieds etaient pourris, mais on lui en a fourni de nouveaux. Le corps est lourd et charnu, l'encolure epaisse, la tete (Fig.184) ne manque pas d'energie dans sa vulgarite, les yeux sont rapportes comme ceux du _Scribe accroupi_. Par un hasard singulier, il ressemblait au Sheikh-el-beled ou maire de Saqqarah au moment de la decouverte. Les fellahs, toujours prompts a saisir le cote plaisant des choses, l'appelerent aussitot _Sheikh-el-beled_, et le nom lui en est demeure. L'image de sa femme, qu'il avait enterree a cote de la sienne, est malheureusement tres mutilee: ce n'est plus qu'un tronc sans bras ni jambes (Fig.185). On ne laisse pas que d'y reconnaitre un bon type des dames egyptiennes de condition mediocre, aux traits communs, a l'humeur acariatre. Le _Scribe agenouille_ de Boulaq (Fig.186) appartenait aux rangs les moins eleves de la petite bourgeoisie, telle qu'elle existe aujourd'hui encore; s'il n'etait pas mort depuis six mille ans, je jurerais l'avoir devisage, il y a six mois, dans une des petites villes du Said. Il vient d'apporter a l'examen de son chef un rouleau de papyrus ou une tablette chargee d'ecritures. Agenouille selon l'ordonnance, les mains croisees, le dos arrondi, la tete inflechie legerement, il attend qu'on ait fini de lire. Pense-t-il? Les scribes n'etaient pas sans eprouver des apprehensions secretes lorsqu'ils comparaissaient devant leurs superieurs. Le baton jouait un grand role dans les relations administratives: une erreur d'addition, une faute d'orthographe, une instruction mal comprise, un ordre execute gauchement, et les coups allaient leur train. Le sculpteur a saisi on ne peut mieux l'expression d'incertitude resignee et de douceur moutonne, que l'habitude d'une vie entiere passee au service avait donnee a son modele. La bouche sourit, car ainsi le veut l'etiquette, mais le sourire n'a rien de joyeux. Le nez et les joues grimacent a l'unisson de la bouche. Les deux gros yeux en email ont le regard fixe de l'homme qui attend sans vouloir arreter sa vue et concentrer sa pensee sur un objet determine. La face manque d'intelligence et de vivacite; apres tout, le metier n'exigeait pas une grande agilite d'esprit. Khafri est en diorite, Ramke et sa femme sont en bois, les autres en calcaire; quelle que soit la matiere employee, le jeu du ciseau a ete partout aussi libre, aussi fin, aussi delicat. La tete de scribe et le bas-relief du Louvre qui represente le Pharaon Menkoouhor, le nain Khnoumhotpou et les esclaves preparant l'offrande du musee de Boulaq ne le cedent en rien au _Scribe accroupi_ ou au _Sheikh-el-beled_. Le boulanger brassant la pate (Fig.187) est tout entier a son travail; rien n'est plus naturel que la demi-flexion de ses jarrets et l'effort avec lequel il se penche sur le petrin. Le nain a la tete grosse, allongee, cantonnee de deux vastes oreilles (Fig.188). La figure est niaise, l'oeil ouvert etroitement et retrousse vers les tempes, la bouche mal fendue. La poitrine est robuste et bien developpee, mais le torse n'est pas en proportion avec le reste du corps. L'artiste a eu beau s'ingenier a en voiler la partie inferieure sous une belle jupe blanche, on sent qu'il est trop long pour les bras et pour les jambes. Le ventre se projette en pointe et les hanches se retirent pour faire contrepoids au ventre. Les cuisses n'existent guere qu'a l'etat rudimentaire, et l'individu entier, porte qu'il est sur de petits pieds contrefaits, semble etre hors d'aplomb et pret a tomber face contre terre. On trouverait difficilement ailleurs une oeuvre qui reproduise plus spirituellement, sans les exagerer, les caracteres propres au nain. [Illustration: Fig. 182] [Illustration: Fig. 183] [Illustration: Fig. 184] [Illustration: Fig. 185] [Illustration: Fig. 186] [Illustration: Fig. 187] [Illustration: Fig. 188] La sculpture du premier empire thebain se rattache directement a celle de l'empire memphite. Procedes materiels, dessin, composition, elle lui a tout emprunte, sauf les proportions qu'elle donne au corps humain; a partir de la XIe dynastie, les jambes sont plus longues et plus greles, les hanches plus minces, la taille et le cou plus elances. La plupart des oeuvres qu'elle nous a leguees ne sont pas comparables a ce que les siecles precedents avaient produit de meilleur. Les peintures de Siout, de Bersheh, de Beni-Hassan, de Meidoum, d'Assouan, ne valent point celles des Mastabas de Saqqarah et de Gizeh; les statues les plus soignees sont inferieures au _Sheikh-el-beled_ et au _Scribe accroupi_. Deux pourtant ont tres bonne facon, le general Rahotpou et sa femme Nofrit. Rahotpou (Fig.189), malgre son haut titre, etait de petite extraction; solide et bien decouple, il a quelque chose d'humble dans la physionomie. Nofrit, au contraire (Fig.190), etait princesse du sang; je ne sais quoi d'imperieux et de resolu est repandu sur toute sa personne, que le sculpteur a tres habilement rendue. Elle est serree dans une robe ouverte en pointe sur la poitrine; les epaules, les seins, le ventre, les cuisses se modelent sous l'etoffe avec une grace et une chastete qu'on ne saurait trop louer. La figure, ronde et grassouillette, est encadree entre des masses de tresses fines, retenues par un bandeau richement decore. Les deux epoux sont en calcaire et peints, le mari en rouge brun, la femme en jaune bistre. Les autres statues de particuliers que j'ai vues, celles surtout qui proviennent de Thebes, sont decidement mauvaises, rudes de travail et vulgaires d'expression. Les royales, presque toutes en granit noir ou gris, ont ete usurpees en partie par des rois d'epoque posterieure, l'Ousirtasen III, dont la tete et les pieds sont au Louvre, par Amenhotpou III, les sphinx du Louvre, les colosses de Boulaq par Ramses II, et plus d'un musee possede de pretendues images des Pharaons Ramessides qu'un examen attentif nous contraint de restituer a la XIIIe ou a la XIVe dynastie. Ceux dont l'origine n'est l'objet d'aucun doute, le Sovkhotpou III du Louvre, le Mermashaou de Tanis, le Sovkoumsaouf de Boulaq, les colosses de l'ile d'Argo sont d'un art tres habile, mais sans vigueur et sans originalite; on dirait que les sculpteurs se sont efforces de les ramener tous a un meme type banal et souriant. Le contraste n'en est que plus grand lorsqu'on passe de ces poupees gigantesques aux sphinx en granit noir, que Mariette decouvrit a Tanis, en 1861, et dont il attribua l'erection aux Hyksos. La, ce n'est plus l'energie qui fait defaut. Le corps de lion nerveux, ramasse sur lui-meme, est plus court qu'il n'est dans les sphinx ordinaires. La tete, au lieu d'etre coiffee du linge flottant, est revetue d'une puissante criniere qui encadre le visage. Petits yeux, nez aquilin, ecrase par le bout, pommettes saillantes, levre inferieure avancee legerement, l'ensemble de la physionomie est si peu en accord avec ce que nous sommes accoutumes a rencontrer en Egypte, qu'on y a reconnu la preuve d'une origine asiatique (Fig.191). Nos sphinx sont certainement anterieurs a la XVIIIe dynastie, car un des rois d'Avaris, Apopi, a grave son nom sur leur epaule; mais on a conclu trop vite de cette circonstance qu'ils etaient du temps de ce prince. En les examinant de plus pres, on voit qu'ils ont ete dedies a un Pharaon d'une des dynasties precedentes, et qu'Apopi se les est seulement appropries. Rien ne prouve que ce Pharaon ait ete posterieur a l'invasion asiatique: ses monuments sont peut-etre l'oeuvre d'une ecole locale, dont l'origine etait independante et dont les traditions differaient de celles des ateliers memphites. L'art provincial de l'Egypte nous est si peu connu en dehors d'Abydos, d'El-Kab, d'Assouan et de deux ou trois autres sites, que je n'ose trop insister sur cette hypothese. Quelle que soit l'origine de l'ecole tanite, elle continua d'exister longtemps encore apres l'expulsion des Pasteurs, car une de ses meilleures oeuvres, un groupe qui represente les deux Nils, celui du Nord et celui du Sud, apportant leurs tablettes chargees de fleurs et de poissons, a ete consacre par Psousennes de la XXIe dynastie. [Illustration: Fig. 189] [Illustration: Fig. 190] [Illustration: Fig. 191] Les trois premieres dynasties du nouvel empire fournissent a elles seules plus de monuments que toutes les autres reunies: bas-reliefs peints, tableaux, statues de rois et de particuliers, colosses, sphinx, c'est par centaines qu'on les compte de la quatrieme cataracte aux bouches du Nil. Les vieilles cites sacerdotales, Memphis, Thebes, Abydos, sont naturellement les plus riches; mais l'activite est si grande que des bourgades perdues, Ibsamboul, Radesieh, Mesheikh, ont leurs chefs-d'oeuvre comme les grandes villes. Les portraits officiels d'Amenhotpou Ier a Turin, de Thoutmos Ier et de Thoutmos III au British Museum, a Karnak, a Turin, a Boulaq, sont encore concus dans l'esprit de la XIIe et de la XIIIe dynastie et n'ont point beaucoup d'originalite; mais les bas-reliefs des tombeaux et des temples marquent un progres sensible sur ceux des siecles anterieurs. La saillie en est plus accentuee, le modele mieux ressenti, les personnages sont en plus grand nombre et mieux groupes, la perspective recherchee avec plus de soin et de curiosite; les tableaux du temple de Deir-el-Bahari, ceux du tombeau de Houi, de Rekhmiri, d'Anna, de Khamha, de vingt autres a Thebes, sont d'une richesse, d'un eclat, d'une variete inattendus. L'instinct du pittoresque s'eveille, et les dessinateurs introduisent dans la composition les details d'architecture, les reliefs du sol, les plantes exotiques, tous les details qu'on negligeait autrefois ou qu'on se contentait d'indiquer sommairement. Le gout du colossal, un peu emousse depuis le temps du grand sphinx, renait et se developpe de nouveau. Amenhotpou III ne se contente plus des statues de cinq ou six metres de haut qui suffisaient a ses ancetres. Celles qu'il eleve devant sa chapelle funeraire, sur la rive gauche du Nil, a Thebes, et dont l'une est le Memnon des Grecs, ont seize metres; elles sont en granit, d'un seul bloc et faconnees avec autant de soin que si elles etaient de taille ordinaire. Les avenues de sphinx qu'il lance en avant des temples, a Louxor et a Karnak, ne s'arretent pas a quelques toises de la porte, elles se prolongent a distance; ici c'est le lion a tete humaine, la c'est le belier agenouille. Son successeur, le revolutionnaire Khouniaton, loin d'enrayer ce mouvement, fit ce qu'il put pour l'accelerer. Nulle part, peut-etre, les sculpteurs n'eurent plus de liberte qu'aupres de lui, a Tell-Amarna. Defiles de troupes, promenades en char, fetes populaires, receptions solennelles et distributions de recompenses par le souverain, des palais, des villas, des jardins, les sujets qu'il leur permettait d'aborder se distinguaient par tant de points des motifs traditionnels, qu'ils pouvaient s'abandonner sans contrainte a leur fantaisie et a leur genie naturel. Ils ne se priverent point de le faire avec une verve et un entrain qu'on ne saurait soupconner avant d'avoir vu leurs oeuvres a Tell-Amarna. Certains de leurs bas-reliefs ont une perspective presque reguliere; tous rendent la vie et le mouvement des masses populaires avec une justesse irreprochable. La reaction politique et religieuse qui suivit ce regne singulier arreta l'evolution et ramena les artistes a l'observance des regies antiques; mais leur influence personnelle et leur enseignement prolongerent quelque chose de leur maniere sous Harmhabi, sous Seti Ier, sous Ramses II. Si l'art egyptien fut, pendant plus d'un siecle encore, doux, libre et fin, c'est a eux qu'il le doit. Peut-etre n'a-t-il produit rien de plus parfait que les bas-reliefs du temple d'Abydos ou du tombeau de Seti Ier: la tete du conquerant (Fig.192), toujours dessinee avec amour, est une merveille de grace emue et discrete. Le Ramses II combattant d'Ibsamboul est presque aussi beau dans un autre genre que le portrait de Seti Ier; le mouvement par lequel il leve la lance a quelque chose d'anguleux, mais le sentiment de triomphe et de force qui anime le corps entier, l'attitude desesperee a la fois et resignee du vaincu rachetent amplement ce defaut. Le groupe d'Harmhabi et du dieu Amon (Fig.193) qu'on voit au musee de Turin est un peu sec de facture. La figure du dieu et celle du roi manquent d'expression, le corps est lourd et mal equilibre. Les beaux colosses en granit rose, qu'Harmhabi avait adosses aux jambages de la porte interieure de son premier pylone a Karnak, les bas-reliefs de son speos a Silsilis, son portrait et celui d'une des femmes de sa famille que possede le musee de Boulaq, sont pour ainsi dire sans tache et sans reproche. La reine (Fig.194) a une physionomie spirituelle et animee, de grands yeux presque a fleur de tete, une bouche large, mais bien proportionnee; elle est taillee dans un calcaire compact, dont la teinte laiteuse adoucit la malignite de son regard et de son sourire. Le roi (Fig.195) est en un granit noir dont le ton lugubre inquiete et trouble le spectateur au premier abord. Sa face, jeune, est empreinte d'une melancolie assez rare chez les Pharaons de la grande epoque. Le nez est droit, mince, bien attache au front, l'oeil long. Les levres larges, charnues, un peu contractees aux commissures, se decoupent a aretes vives. Le menton est a peine alourdi par la barbe postiche. Chaque detail est traite avec autant d'adresse que si le sculpteur avait eu sous la main une pierre tendre et non pas une matiere rebelle au ciseau; la surete de l'execution est poussee si loin qu'on oublie la difficulte du travail pour ne plus songer qu'a la valeur de l'oeuvre. Il est facheux que les artistes egyptiens n'aient jamais signe leur nom, car celui qui a fait le portrait d'Harmhabi meritait d'etre connu. De meme que la XVIIIe dynastie, la XIXe voulut avoir ses colosses: le Ramses II de Louxor mesurait entre cinq ou six metres (Fig.196), celui du Ramesseum seize, celui de Tanis dix-huit environ; ceux d'Ibsamboul, sans atteindre a cette taille formidable, presentent a la riviere un front de bataille imposant. C'est presque un lieu commun aujourd'hui de dire que la decadence de l'art egyptien commenca sous Ramses II. Rien n'est pourtant moins vrai que cette sorte d'axiome. Sans doute, beaucoup des statues et des bas-reliefs qui furent executes de son temps sont d'une laideur et d'une rudesse qu'on a peine a concevoir; mais on les trouve surtout dans les villes de province, ou les ecoles n'etaient pas florissantes, et ou les artistes n'avaient rien qui put les guider dans leurs travaux. A Thebes, a Memphis, a Abydos, a Tanis et dans les localites du Delta, ou la cour residait habituellement, meme a Ibsamboul et a Beit-el-Oualli, les sculpteurs de Ramses II ne le cedent en rien a ceux de Seti Ier et d'Harmhabi. La decadence ne commenca qu'apres Minephtah. Lorsque les guerres civiles et les invasions etrangeres mirent l'Egypte a deux doigts de sa perte, l'art souffrit comme le reste et baissa rapidement. La peinture et la sculpture sur pierre faiblirent en premier: rien n'est plus triste que de suivre les progres de leur decadence sous les Ramessides, dans les tableaux des tombes royales, sur les reliefs du temple de Khonsou, sur les colonnes de la salle hypostyle a Karnak. La sculpture sur bois se maintint quelque temps encore; les admirables statuettes de pretres et d'enfants du musee de Turin datent de la XXe dynastie. L'avenement de Sheshonq et les querelles des nomes entre eux acheverent de ruiner Thebes, et l'ecole qui avait produit tant de chefs-d'oeuvre s'eteignit miserablement. [Illustration: Fig. 192] [Illustration: Fig. 193] [Illustration: Fig. 194] [Illustration: Fig. 195] [Illustration: Fig. 196] La renaissance ne s'annonca que trois siecles plus tard, vers la fin de la dynastie ethiopienne. La statue trop vantee de la reine Ameniritis (Fig.197) presente deja des qualites remarquables. Les formes, un peu longues et greles, sont chastes et delicates; mais la tete, surchargee de la perruque des deesses, est morne d'apparence. Psamitik Ier, consolide sur le trone par ses victoires, s'occupa activement de relever les temples. La vallee du Nil devint, sous sa direction, comme un vaste atelier de sculpture et de peinture. La gravure des hieroglyphes atteignit une finesse admirable, les belles statues et les bas-reliefs se multiplierent, une ecole nouvelle se forma. Elle est caracterisee par une elegance un peu seche, par l'entente du detail, par une habilete merveilleuse dans la facon d'assouplir la pierre. Les Memphites avaient prefere le calcaire, les Thebaines le granit rose ou gris, les Saites s'attaquerent de preference au basalte, aux breches, a la serpentine, et tirerent un parti merveilleux de ces matieres a grain fin et a pate presque partout homogene. Le plaisir de triompher de la difficulte les entraina souvent a la rechercher, et l'on vit des artistes de merite passer des annees et des annees a ciseler des couvercles de sarcophage, et a decouper des statuettes dans les blocs les plus durs. La Toueris et les quatre monuments du tombeau de Psamitik, au musee de Boulaq, sont jusqu'a present les pieces les plus remarquables que nous possedions de ce genre de travail. La Toueris (Fig.198) avait le privilege de proteger les femmes enceintes et de presider aux accouchements. Son portrait a ete decouvert a Thebes, au milieu de la ville antique, par des fellahs en quete d'engrais pour leurs terres. Elle etait debout dans une petite chapelle en calcaire blanc que le pretre Pibisi lui avait dediee, au nom de la reine Nitocris, fille de Psamitik Ier. Ce charmant hippopotame, au ventre arrondi et aux flasques mamelles de femme, est un bel exemple de difficulte vaincue; mais je ne lui connais point d'autre merite. Le groupe de Psamitik a du moins quelque valeur artistique. Il se compose de quatre pieces en basalte vert, une table d'offrandes, une statue d'Osiris, une autre de Nephthys et une vache Hathor, a laquelle le mort est adosse (Fig.199); le tout un peu flou, un peu artificiel, mais la physionomie des divinites et du mort ne manque pas de douceur, la vache est d'un bon mouvement, le petit personnage qu'elle abrite se groupe bien avec elle. D'autres morceaux moins connus sont pourtant tres superieurs a ceux-la. Le style s'en reconnait aisement. Ce n'est plus le faire large et savant de la premiere ecole memphite, ni la maniere grandiose et souvent rude de la grande ecole thebaine; les proportions du corps s'amincissent et s'elongent, les membres perdent en vigueur ce qu'ils gagnent en elegance. On remarque en meme temps un changement notable dans le choix des attitudes. Les Orientaux ont, a se delasser, des postures qui seraient des plus fatigantes pour nous. Ils passent des heures entieres agenouilles ou assis comme les tailleurs, les jambes croisees et a plat contre sol; ou bien ils se mettent a croupetons, les genoux reunis et plies, le gras du mollet applique au revers de la cuisse, sans toucher le sol autrement que de la plante des pieds; ou bien, ils s'assoient a terre, les jambes accolees, les bras croises sur les genoux. Ces quatre poses etaient en usage, dans le peuple, des l'ancien empire: les bas-reliefs le prouvent suffisamment. Mais les sculpteurs memphites avaient ecarte de la statuaire les deux dernieres, qu'ils jugeaient disgracieuses, et ne s'en servaient presque jamais. A voir le scribe accroupi du Louvre et le scribe agenouille, on comprend le parti qu'ils savaient tirer des deux premieres. La troisieme fut negligee, pour les memes raisons sans doute, par les sculpteurs thebains. On commenca a pratiquer la quatrieme d'une maniere courante, vers la XVIIIe dynastie. Peut-etre n'etait-elle pas auparavant de mode parmi les classes aisees qui, seules, etaient assez riches pour commander des statues; peut-etre aussi, les artistes n'aimaient-ils pas une position qui faisait ressembler leurs modeles a des paquets cubiques surmontes d'une tete humaine. Les sculpteurs de l'epoque saite n'eurent pas la meme repugnance a en user que leurs predecesseurs. Du moins ont-ils combine l'action des membres de telle facon, qu'elle ne choque pas trop nos yeux et cesse presque d'etre disgracieuse. Les tetes sont d'ailleurs d'une perfection qui rachete bien des defauts. Quelques-unes sont evidemment idealisees: celle de Pedishashi (Fig.200) a une expression de jeunesse et de douceur spirituelle qu'on n'est pas habitue a rencontrer sous le ciseau d'un Egyptien. D'autres, au contraire, sont d'une sincerite brutale. Les rides du front, la patte d'oie, les plis de la bouche, les bosses du crane, sont accuses avec une complaisance scrupuleuse sur la petite tete de scribe que le Louvre a recemment achetee (Fig.201), et sur celle que possede le prince Ibrahim au Caire. L'ecole saite etait, en effet, partagee entre deux partis differents. L'un cherchait ses modeles dans le passe et s'efforcait de renouveler l'art amolli de son temps par un retour aux procedes des plus anciennes ecoles memphites: elle y reussit, et si bien, qu'on a confondu parfois ses oeuvres avec les oeuvres les plus fines de la IVe et de la Ve dynastie. L'autre, sans s'ecarter trop ouvertement de la tradition, etudiait de preference le vif et se rapprochait de la nature plus qu'on ne l'avait fait jusqu'alors. Peut-etre l'aurait-il emporte, si la conquete macedonienne et le contact prolonge des Grecs n'avaient detourne l'art egyptien vers des voies nouvelles. Le mouvement fut lent d'abord a se produire. Les sculpteurs habillerent les successeurs d'Alexandre a l'egyptienne et les transformerent en Pharaons, comme ils avaient fait avant eux les Hyksos et les Perses. Les pieces qu'on peut attribuer au regne des premiers Ptolemees ne different presque pas de celles de la bonne epoque saite, et c'est a peine si on remarque ca et la des traces d'influence grecque: ainsi le colosse d'Alexandre II, a Boulaq (Fig.202), est coiffe d'une etoffe flottante d'ou s'echappent des boucles frisees. Bientot pourtant, la vue des chefs-d'oeuvre de la Grece determina les Egyptiens d'Alexandrie, de Memphis et des grandes villes du Delta a modifier leur maniere de proceder. Une ecole mixte s'etablit, qui combina certains elements de l'art indigene avec d'autres elements empruntes a l'art hellenique. L'Isis alexandrine du musee de Boulaq a encore le costume de l'Isis pharaonique: elle n'en a plus la sveltesse et le maintien guinde. Une effigie mutilee d'un prince de Siout, qui est egalement a Boulaq, pourrait presque passer pour une mauvaise statue grecque. Un certain Hor, dont le portrait a ete decouvert en 1881, au pied du Komed-damas, non loin de l'emplacement du tombeau d'Alexandre, nous a laisse l'oeuvre la plus forte qu'on ait de ce genre hybride (Fig.203). La tete est un bon morceau, d'un travail un peu sec. Le nez mince et long, les yeux rapproches, la bouche petite et pincee aux coins, le menton carre, tous les traits concourent a preter a la figure un caractere de durete et d'obstination. La chevelure est coupee ras, pas assez cependant pour qu'elle ne se separe naturellement en petites meches epaisses. Le corps, revetu de la chlamyde, est assez gauchement taille et trop etroit pour la tete. L'un des bras pend, l'autre est ramene sur le ventre; les pieds manquent. Tous ces monuments sont sortis des fouilles recentes. Je ne doute pas que le sol d'Alexandrie ne nous en rendit beaucoup de pareils, si on pouvait l'explorer methodiquement. L'ecole qui les produisit se rapprocha de plus en plus du style des ecoles grecques, et la raideur, dont elle ne se depouilla jamais entierement, ne lui fut pas sans doute comptee comme un defaut, a une epoque ou certains sculpteurs au service de Rome se piquaient d'archaisme. Je ne serais pas etonne si l'on venait a lui attribuer les statues de pretres et de pretresses revetues d'insignes divins, dont Hadrien decora les parties egyptiennes de sa villa de Tibur. Hors du Delta, les ecoles indigenes, livrees a leurs propres ressources, languirent et deperirent peu a peu. Ce n'est pas que les modeles, ni meme les artistes grecs, fissent entierement defaut. J'ai decouvert ou achete dans la Thebaide, au Fayoum, a Syene, des statuettes et des statues de style hellenique, d'un travail correct et soigne. Une d'elles, qui provient de Coptos, parait etre une replique en petit, d'une Venus, analogue a la Venus de Milo. Mais les sculpteurs du pays, trop inintelligents ou trop ignorants, ne surent pas tirer de ces modeles le parti que les Alexandrins avaient tire des leurs. Quand ils voulurent preter a leurs figures la souplesse et la plenitude des formes grecques, ils ne reussirent qu'a leur faire perdre la precision seche, mais savante que leurs maitres avaient acquise. Au lieu du relief fin, delicat, peu eleve, ils adopterent un relief tres saillant au-dessus du fond, mais d'une rondeur molle et d'un modele sans vigueur. Les yeux sourient niaisement, l'aile du nez se releve; la commissure des levres, le menton, tous les traits du visage sont tires et semblent vouloir converger vers un meme point central, qui est place au milieu de l'oreille. Deux ecoles, independantes l'une de l'autre, nous ont legue leurs oeuvres. La moins connue florissait en Ethiopie, a la cour des rois a demi civilises qui residaient a Meroe. Un groupe, venu de Naga en 1882 et conserve a Boulaq, nous montre ou elle en etait arrivee au 1er siecle de notre ere (Fig.204). Un dieu et une reine, debout cote a cote, sont ebauches tant bien que mal dans un bloc de granit gris. L'oeuvre est fruste, lourde, mais ne manque pas de fierte et d'energie. L'ecole qui l'avait produite, isolee et comme perdue au milieu de peuplades sauvages, tomba rapidement dans la barbarie et succomba probablement vers la fin du siecle des Antonins. L'Egyptienne se soutint quelque temps encore a l'abri de la domination romaine. Les Cesars, non moins avises que les Ptolemees, savaient qu'en flattant les sentiments religieux de leurs sujets egyptiens, ils assuraient leur domination sur la vallee du Nil. Ils firent restaurer ou rebatir a grands frais les temples des dieux nationaux, sur les plans et dans l'esprit d'autrefois. Thebes avait ete detruite par le tremblement de terre de l'an 22 avant J.-C. et n'etait plus pour eux qu'un lieu de pelerinage ou les devots venaient ecouter la voix de Memnon, au lever de l'aurore. Mais Tibere et Claude acheverent la decoration de Denderah et d'Ombos, Caligula travailla a Coptos, les Antonins a Philae et a Esneh. Les escouades de manoeuvres qu'on employait en leur nom en savaient encore assez pour tracer des milliers de bas-reliefs selon les regles d'autrefois. Ce qu'ils faisaient est mou, disgracieux, ridicule; la routine seule guidait leur ciseau: c'etait la tradition antique, affaiblie et degeneree si l'on veut, mais vivante encore et capable de ce renouvellement. Les troubles qui eclaterent au milieu du IIIe siecle, les incursions des Barbares, les progres et le triomphe du christianisme amenerent la suspension des derniers travaux et la dispersion des derniers ouvriers: ce qui restait de l'art national mourut avec eux. [Illustration: Fig. 197] [Illustration: Fig. 198] [Illustration: Fig. 199] [Illustration: Fig. 200] [Illustration: Fig. 201] [Illustration: Fig. 202] [Illustration: Fig. 203] [Illustration: Fig. 204] CHAPITRE V LES ARTS INDUSTRIELS J'ai dit brievement ce que furent les arts nobles; il me reste a parler des arts industriels. Le gout du beau et l'amour du luxe avaient penetre de bonne heure toutes les classes de la societe. Vivant ou mort, l'Egyptien aimait avoir autour de lui et sur lui des bijoux et des amulettes de prix, des meubles soignes, des ustensiles elegants. Il voulait que tous les objets a son usage eussent, sinon la richesse de la matiere, au moins la purete de la forme, et la terre, la pierre, les metaux, le bois, les produits des pays ou des contrees lointaines, furent mis a contribution pour contenter ses exigences. 1.--LA PIERRE, LA TERRE ET LE VERRE. On ne saurait parcourir une galerie egyptienne sans etre surpris du nombre prodigieux de menues figures en pierre fine qui sont parvenues jusqu'a nous. On n'y voit pas encore le diamant, le rubis ni le saphir; mais, a cela pres, le domaine du lapidaire etait aussi etendu qu'il l'est aujourd'hui et comprenait l'amethyste, l'emeraude, le grenat, l'aigue-marine, le cristal de roche, la prase, les mille varietes de l'agate et du jaspe, le lapis-lazuli, le feldspath, l'obsidienne, des roches comme le granit, la serpentine, le porphyre, des fossiles comme l'ambre jaune et certaines especes de turquoises, des residus de secretions animales comme le corail, la nacre, la perle, des oxydes metalliques comme l'hematite, la turquoise orientale et la malachite. Le plus grand nombre de ces substances etaient taillees en perles rondes, carrees, ovales, allongees en fuseau, en poire, en losange. Enfilees et disposees sur plusieurs rangs, on en fabriquait des colliers, et c'est par myriades qu'on les ramasse dans le sable des necropoles, a Memphis, a Erment, pres d'Akhmim et d'Abydos. La perfection avec laquelle beaucoup d'entre elles sont calibrees, la nettete de la perce, la beaute du poli, font honneur aux ouvriers; mais la ne s'arretait pas leur science. Sans autre instrument que la pointe, ils les faconnaient en mille formes diverses, coeurs, doigts humains, serpents, animaux, images de divinites. C'etaient autant d'amulettes, et on les estimait moins peut-etre pour l'agrement du travail que pour les vertus surnaturelles qu'on leur attribuait. La boucle de ceinture en cornaline etait le sang d'Isis et lavait les peches de son maitre (Fig.205). La grenouille rappelait l'idee de la renaissance (Fig.206); la colonnette en feldspath vert (Fig.207), celle du rajeunissement divin. L'oeil mystique, l'ouza (Fig.208), lie au poignet ou au bras par une cordelette, protegeait contre le mauvais oeil, contre les paroles d'envie ou de colere, contre la morsure des serpents. Le commerce repandait ces objets dans les regions du monde antique, et plusieurs d'entre eux, ceux surtout qui representaient le scarabee sacre, furent imites au dehors par les Pheniciens, par les Syriens, en Grece, en Asie Mineure, en Etrurie, en Sardaigne. L'insecte s'appelait en egyptien _khopirrou_, et son nom derivait, croyait-on, de la racine _khopiri_, devenir. On fit de lui, par un jeu de mots facile a comprendre, l'embleme de l'existence terrestre et des devenirs successifs de l'homme dans l'autre monde. L'amulette en forme de scarabee (Fig.209) est donc un symbole de duree presente ou future; le garder sur soi etait une garantie contre la mort. Mille significations mystiques decoulerent de ce premier sens. Chacune d'elles fut rattachee subtilement a l'un des actes ou des usages de la vie journaliere, et les scarabees se multiplierent a l'infini. Il y en a de toute matiere et de toute grandeur, a tete d'epervier, de belier, d'homme, de taureau, les uns fouilles aussi curieusement sur le ventre que sur le dos, les autres plats et unis par-dessous, d'autres enfin qui retiennent a peine le vague contour de l'insecte et qu'on appelle scarabeoides. Ils sont perces, dans le sens de la longueur, d'un trou par lequel on passait une mince tige de bois, un fil de bronze ou d'argent, une cordelette pour les suspendre. Les plus gros etaient comme l'image du coeur. On les collait sur la poitrine des momies, ailes deployees, et une priere, tracee sur le plat, adjurait le coeur de ne point porter temoignage contre le mort au jour du jugement. Pour plus d'efficacite, on joignait a la formule quelques scenes d'adoration: le disque de la lune acclame par deux cynocephales sur le corselet, deux Ammon accroupis sur les elytres, sur le plat la barque solaire, et, sous la barque, Osiris-momie, accroupi entre Isis et Nephthys qui l'enveloppent de leurs ailes. Les petits scarabees, apres avoir servi de phylactere, finirent par n'etre plus que des bijoux sans valeur religieuse, comme les croix que nos femmes portent au cou en complement de leur toilette. On en faisait des chatons de bague, les pendeloques d'un collier ou d'une boucle d'oreille, les perles d'un bracelet. Le plat est souvent nu, plus souvent orne de dessins creuses dans la masse, sans modele d'aucune sorte; le relief proprement dit, celui du camee, etait inconnu des lapidaires egyptiens avant l'epoque grecque. Les sujets n'ont pas ete encore classes, ni meme recueillis entierement. Ce sont de simples combinaisons de lignes, des enroulements, des entrelacs sans signification precise, des symboles auxquels le proprietaire attachait un sens mysterieux, et que personne, sauf lui, ne pouvait comprendre, le nom et les titres d'un individu, des cartouches royaux ayant un interet historique, des souhaits de bonheur, des ejaculations pieuses, des conjurations magiques. Plusieurs scarabees d'obsidienne et de cristal remontent a la VIe dynastie. D'autres, assez grossiers et sans ecriture, sont en amethyste, en emeraude et meme en grenat; ils appartiennent aux commencements du premier empire thebain. A partir de la XVIIIe dynastie, on les compte par milliers, et le travail en est d'un fini proportionne au plus ou moins de durete de la pierre. C'est, du reste, le cas pour toutes les sortes d'amulettes. Les tetes d'hippopotame, les ames a visage humain, les coeurs qu'on ramasse a Taoud, au sud de Thebes, sont a peine ebauches; l'amethyste et le feldspath vert d'ou on les degageait presentaient a la pointe une resistance, presque invincible. Au contraire, les boucles de ceinture, les equerres, les chevets en jaspe rouge, en cornaline et en hematite, sont ciseles jusque dans les moindres details; les pierres etaient de celles qu'un instrument mediocre attaque sans difficulte. Le lapis-lazuli est tendre, cassant; il tient mal ses aretes et semble ne se plier a aucune finesse. Les Egyptiens y ont faconne pourtant des portraits de deesses, des Isis, des Nephthys, des Nit, des Sokhit, qui sont de veritables merveilles de delicatesse. Les reliefs du corps y sont pousses avec autant d'assurance que s'ils etaient menages dans une matiere moins capricieuse, et les traits du visage, ne perdent rien a etre etudies a la loupe. La plupart du temps on a procede d'une autre methode. Au lieu de detailler le relief, on l'a abrege autant que possible, et on l'a procure par larges plans contraries, sacrifiant le rendu de chaque partie a l'effet de l'ensemble. Les saillants et les creux du visage sont accentues fortement. L'epaisseur du cou, la coupe de la gorge et de l'epaule, l'etroitesse de la taille, l'evasement des hanches, la rondeur du ventre sont exageres. Une arete presque tranchante dessine la ligne de la cuisse et du tibia. Les pieds et les mains sont legerement agrandis. Tout cela est le produit d'un calcul a la fois hardi et judicieux. Une reduction mathematiquement exacte du modele n'est pas aussi heureuse qu'on pourrait croire, lorsqu'il s'agit de sculpter en miniature. La tete perd son caractere, le cou parait trop faible, le buste n'est plus qu'un cylindre inegalement bossele, les extremites ne semblent plus assez solides pour soutenir le poids du corps, les lignes principales ne se demelent plus du chaos des secondaires. En supprimant le plus des formes accessoires, et en developpant celles qui contribuent a l'expression, les Egyptiens ont echappe au danger de ne faire que des figurines insignifiantes. L'oeil rabat de lui-meme ce qu'il y a de trop dans ce qu'il voit et suppose le reste. Grace a cette tricherie habile, telle statuette de divinite, qui mesure a peine trois centimetres, a presque l'ampleur et la gravite d'un colosse. [Illustration: Fig. 205] [Illustration: Fig. 206] [Illustration: Fig. 207] [Illustration: Fig. 208] [Illustration: Fig. 209] Le mobilier des dieux et celui des morts etaient pour une bonne part en pierre solide et durable. J'ai signale ailleurs les petits obelisques funeraires qui proviennent des tombes de l'ancien empire, les bases d'autel, les steles, les tables d'offrandes. La mode etait de fabriquer les tables en albatre ou en calcaire au temps des pyramides, en granit ou en gres rouge sous les rois thebains, en basalte ou en serpentine, a partir de la XXVIe dynastie; mais la mode n'avait rien d'obligatoire, et l'on en trouve de toute pierre a toutes les epoques. Quelques-unes ne sont que des disques plats ou creuses legerement en cuvette. D'autres sont rectangulaires et etalent, a la partie superieure, des pains, des vases, des quartiers de boeuf et de gazelle, des fruits sculptes en relief. Dans celle de Sitou, la libation, au lieu de s'ecouler au dehors, etait recueillie dans un bassin carre, divise en etages pour montrer la hauteur de l'eau du Nil dans les reservoirs de Memphis, aux differentes saisons, vingt-cinq coudees en ete pendant l'inondation, vingt-trois en automne et au commencement de l'hiver, vingt-deux a la fin de l'hiver et au printemps. Ces formes diverses pretent peu au beau; une des tables de Saqqarah est pourtant une oeuvre veritable d'art. Elle est en albatre. Deux lions debout, accotes, soutiennent une tablette rectangulaire, inclinee en pente douce; une rigole conduit la libation dans un vase place entre la queue des deux betes. Les oies en albatre de Lisht ne manquent pas non plus de merite; elles sont coupees en long par le milieu et dument evidees en maniere de boite. Celles que j'ai vues ailleurs, et en general toutes les figures d'offrandes, pains, gateaux, tetes de boeuf ou de gazelle, grappes de raisin noir en calcaire peint, sont d'un gout douteux et d'une main maladroite. Elles ne sont pas d'ailleurs tres frequentes, et je n'en ai guere rencontre en dehors des tombes de la Ve et de la XIIe dynastie. Les canopes, au contraire, etaient toujours d'un travail tres soigne. On n'employait que deux sortes de pierre a les fabriquer, le calcaire et l'albatre; mais les tetes qui les surmontent etaient souvent en bois peint. Les canopes de Pepi Ier sont en albatre; en albatre aussi les tetes humaines des canopes qui appartenaient au roi enterre dans la pyramide meridionale de Lisht. L'une d'elles est meme d'une finesse d'execution qu'on ne saurait comparer qu'a celle de la statue de Khafri. Les statuettes funeraires les plus vieilles que nous ayons jusqu'a present, celles de la XIe dynastie, sont en albatre, comme les canopes; mais, a partir de la XIIIe, on en taillait en calcaire fin. Le travail en est de valeur tres inegale. Quelques-unes sont de veritables chefs-d'oeuvre et nous rendent la physionomie du mort aussi fidelement qu'une statue pourrait le faire. Les vases a parfums completaient le mobilier des temples et des tombes. La nomenclature est loin d'en etre fixee, et la plupart des termes speciaux, que les textes nous fournissent, restent encore sans equivalent pour nous. Le grand nombre etait en albatre, tourne et poli: les uns, disgracieux et lourds (Fig.210); les autres d'une elegance et d'une diversite de galbe, qui fait honneur a l'esprit inventif des ouvriers. Ils sont fuseles et pointus par en bas (Fig.211), ou arrondis de la panse, etroits a la gorge, plats a la base (Fig.212). Ils n'ont point d'ornements, si ce n'est parfois deux boutons de lotus, en guise d'anse, deux mufles de lion, une petite tete de femme, qui fait saillie a la naissance du goulot (Fig.213). Les plus petits n'etaient pas destines a contenir des liquides, mais des pommades, des onguents medicinaux, des pates miellees. Une des series les plus importantes comprend des flacons au ventre rebondi, garnis au cou d'un leger rebord cylindrique et d'un couvercle plat (Fig.214). Les Egyptiens y mettaient la poudre d'antimoine avec laquelle ils se noircissaient les sourcils et les yeux. Cet etui a kohol etait un des objets de toilette le plus repandu, le seul peut-etre dont l'usage fut commun a toutes les classes de la societe. La fantaisie s'en melant, on lui donna toute sorte de formes empruntees a l'homme, aux plantes, aux animaux. C'est un lotus ouvert, un herisson, un epervier, un singe serrant une colonne contre sa poitrine ou grimpant le long d'une jarre, une figure grotesque du dieu Bisou, une femme agenouillee dont le corps evide contenait la poudre, une jeune fille qui porte une amphore. L'imagination des artistes une fois lancee dans cette voie ne connut plus de limites, et tout leur fut bon, le granit, le diorite, la breche et le jade rose, l'albatre, puis le calcaire tendre, dont le grain se pretait mieux a rendre leurs caprices, puis une substance plus complaisante et plus souple encore, la terre peinte et emaillee. [Illustration: Fig. 210] [Illustration: Fig. 211] [Illustration: Fig. 212] [Illustration: Fig. 213] [Illustration: Fig. 214] Si l'art de modeler et de cuire la terre ne s'est pas developpe aussi pleinement en Egypte qu'il a fait en Grece, ce n'est pas faute de matiere premiere. La vallee du Nil fournit en abondance une argile fine et ductile, dont on aurait pu tirer le plus heureux parti si on s'etait donne la peine de la preparer avec soin; mais on lui prefera toujours les metaux et la pierre dure pour les objets de luxe, et le potier se contenta de fournir aux besoins les plus communs du menage ou de la vie courante. La terre etait prise sans choix, a l'endroit meme ou l'ouvrier se trouvait pour le moment, mal lavee, mal petrie, puis faconnee au doigt, sur un tour en bois des plus primitifs, qu'on manoeuvrait avec la main. La cuisson etait fort inegale. Certaines pieces ont ete a peine exposees a la flamme et fondent au contact de l'eau; d'autres ont la durete de la tuile. Les tombes de l'ancien empire renferment chacune quelques vases d'une pate jaune ou rouge, melee souvent, comme celle des briques, de paille ou d'herbe finement hachee. Ce sont des jarres de forte taille, sans pied, ni anse, a la panse ovoide, au col bas, a l'orifice largement ouvert et borde d'un bourrelet, des marmites et des pots de menage ou l'on emmagasinait les provisions du mort, des coupes plus ou moins profondes, des assiettes a fond plat, semblables a celles que les fellahs emploient aujourd'hui encore, parfois meme des services de table ou de cuisine en miniature, destines a remplacer les services de grandeur naturelle, trop couteux pour les pauvres gens. La surface est rarement vernie, rarement polie et lustree, le plus souvent recouverte d'une couche uniforme de peinture blanchatre, qui n'a point recu le coup de feu et se detache au moindre choc. Aucun dessin a la pointe, aucun ornement en creux ou en relief, aucune inscription, mais, autour du col, les traces de quatre ou cinq filets paralleles noirs, rouges ou jaunes. Les poteries des premieres dynasties thebaines que j'ai recueillies a El-Khozam et a Gebelein sont plus soignees d'execution que celles des dynasties memphites. Elles se repartissent en deux classes. La premiere comprend des vases a panse lisse et nue, noire par en bas, rouge sombre par en haut. L'examen des cassures montre que la couleur etait melee a la pate pendant le brassage: les deux zones, preparees separement, etaient soudees ensuite de facon assez irreguliere, puis glacees uniformement. La seconde classe contient des vases de formes tres variees, souvent bizarres, d'une terre rouge ou jaune terne, grands cylindres fermes par un bout, plats, oblongs, rappelant la coupe d'un bateau, burettes conjuguees, deux a deux, mais ne communiquant pas ensemble (Fig.215). L'ornementation est repandue sur toute la surface et consiste d'ordinaire en raies droites, tirees parallelement l'une a l'autre ou entre-croisees, en lignes ondees, en rangees de points ou de petites croix combinees avec les lignes, le tout en blanc quand le fond est rouge, en rouge brun quand il est jaune ou blanchatre. De temps en temps, des figures d'hommes ou d'animaux s'intercalent au milieu des combinaisons geometriques. Le dessin en est rude, presque enfantin, et c'est a peine si l'on y reconnait des troupeaux d'antilopes ou des scenes de chasse a la gazelle. Les manoeuvres qui produisaient ces esquisses grossieres etaient pourtant contemporains des artistes qui decoraient les grottes de Beni-Hassan. Pour la periode des grandes conquetes, les tombeaux thebains nous ont fourni de pleins musees de poteries, malheureusement assez peu interessantes. D'abord des figurines funeraires, rapidement modelees a la main dans des galettes d'argile allongees. Un peu de terre pince entre les doigts, et le nez sort de la masse; deux pastilles et deux moignons ajoutes apres coup representent les yeux et les bras. Les plus soignees ont ete faconnees dans des moules en terre cuite dont nous possedons de nombreux specimens. Elles etaient generalement coulees d'une seule piece, puis retouchees legerement, cuites, peintes, au sortir du four, en rouge, en jaune et en blanc, chargees enfin d'hieroglyphes a la pointe ou au pinceau. Plusieurs sont d'un style tres fin et egalent presque les figurines en calcaire: celles du scribe Hori, conservees au musee de Boulaq, ont environ quarante centimetres de haut et montrent ce que les Egyptiens auraient pu faire en ce genre s'ils avaient voulu s'y adonner. Les cones funeraires etaient des objets de pure devotion, que l'art le plus consomme n'aurait pas reussi a rendre elegants. Figurez-vous une masse de terre conique, etiree de long, timbree a la base d'un cachet sur lequel etaient imprimes le nom, la filiation, les titres du possesseur, et enduite jusqu'a la pointe d'une couche de couleur blanchatre: c'etaient des simulacres de pains d'offrandes, destines a nourrir le mort eternellement. Beaucoup des vases qu'on deposait dans la tombe sont peints en imitation d'albatre, de granit, de basalte, de bronze ou meme d'or, et sont la contrefacon a bon marche des vases en matieres precieuses que les riches donnaient aux momies. Parmi ceux qui ont servi a contenir de l'eau et des fleurs, quelques-uns sont revetus de dessins au trait rouge et noir (Fig.216), cercles et rubans concentriques (Fig.217), meandres, emblemes religieux (Fig.218), lignes croisees simulant des filets a mailles etroites, cordons de fleurs ou de boutons, tiges chargees de feuilles qui descendent du goulot sur la panse ou remontent de la panse au goulot: ceux du tombeau de Sennotmou avaient, sur l'une des faces, un large collier, analogue au collier des momies, et peint des plus vives couleurs pour imiter les fleurs naturelles ou les emaux. Les canopes en terre cuite, rares a la XVIIe dynastie, deviennent de plus en plus frequents a mesure que Thebes s'appauvrit. Les tetes qui les recouvrent sont ordinairement jolies de coupe et d'expression, surtout la tete humaine. Modelees a la main, evidees pour diminuer le poids, puis cuites longuement, on les revetait chacune des couleurs particulieres au genie qu'elles representaient. Vers la XXe dynastie, l'usage s'etablit d'y enfermer le corps des animaux sacres. Ceux qu'on trouve pres d'Akhmim contenaient des chacals et des eperviers; ceux de Saqqarah, des serpents, des rats embaumes, des oeufs; ceux d'Abydos, des ibis. Les derniers sont de beaucoup les plus beaux. La deesse protectrice Khouit etend ses ailes sur la panse, tandis qu'Hor et Thot presentent la bandelette et le vase a onguent: le tout est en bleu et rouge sur fond blanc. A partir de l'epoque grecque, la pauvrete augmentant toujours, la fabrication s'etendit des canopes aux cercueils. L'isthme de Suez, Ahnas-el-Medineh, le Fayoum, Assouan, la Nubie, possedent des necropoles entieres ou l'on ne rencontre que des sarcophages en terre cuite. Plusieurs ont l'apparence des caisses oblongues, arrondies aux deux bouts, au couvercle en dos d'ane. Celles qui ont encore la forme humaine sont de style barbare. La tete est surmontee d'une sorte de boudin qui simule l'ancienne coiffure egyptienne, les traits du visage sont indiques en deux ou trois coups de pouce ou d'ebauchoir: deux petites pelotes, appliquees gauchement sur la poitrine, marquent un cercueil de femme. Meme en ces derniers temps de la civilisation egyptienne, les pieces les plus grossieres sont les seules qui gardent la teinte naturelle de la terre. La, comme ailleurs, on la cachait presque toujours sous une couche de couleur ou d'email richement colore. [Illustration: Fig. 215] [Illustration: Fig. 216] [Illustration: Fig. 217] [Illustration: Fig. 218] Le verre a ete connu en Egypte de toute antiquite. La fabrication en est representee dans quelques tombeaux, plusieurs milliers d'annees avant notre ere (Fig.219). L'ouvrier, assis devant le foyer, recueillait au bout de sa canne une petite quantite de matiere en fusion, et la soufflait prudemment, en ayant soin de la maintenir a la flamme pour l'empecher de durcir pendant l'operation. L'analyse chimique montre que le verre egyptien avait a peu pres la meme composition que le notre; mais il renferme, outre la silice, la chaux, l'alumine, la soude, des quantites relativement considerables de substances etrangeres, cuivre, oxyde de fer et de manganese, dont on ne savait pas le debarrasser. [Illustration: Fig. 219] Aussi n'est-il presque jamais d'une teinte tres pure; il a une nuance incertaine qui tire sur le jaune ou sur le vert. Certaines pieces, de mauvaise fabrication, se sont decomposees dans toute leur epaisseur, et tombent, a la moindre pression, en lamelles ou en poussiere irisee. D'autres n'ont pas trop souffert du temps ou de l'humidite, mais elles sont striees et pleines de bulles. D'autres enfin, mais peu, sont d'une homogeneite et d'une limpidite parfaites. La vogue ne s'attachait pas, comme chez nous, aux verres incolores; elle etait aux verres de couleur, opaques ou transparents. On les teignait en melant des oxydes metalliques aux ingredients ordinaires, du cuivre et du cobalt pour les bleus, du cuivre pour les verts, du manganese pour les violets et pour les bruns, du fer pour les jaunes, du plomb ou de l'etain pour les blancs. Une variete de rouge haricot renferme trente pour cent de bronze et s'enveloppe d'une couche de vert-de-gris sous l'influence de l'humidite. Toute cette chimie etait empirique et de pur instinct. Les ouvriers trouvaient autour d'eux les elements necessaires, ou les recevaient du dehors, et s'en servaient tels quels, sans etre toujours assures d'obtenir l'effet qu'ils recherchaient: beaucoup de leurs combinaisons les plus harmonieuses etaient dues au hasard, et ils ne pouvaient pas les reproduire a volonte. Les masses qu'ils obtenaient de la sorte atteignaient parfois des dimensions considerables: les auteurs classiques nous parlent de steles, de cercueils, de colonnes d'une seule piece. A l'ordinaire, on n'employait le verre qu'a la fabrication des petits objets, surtout a la contrefacon des pierres fines. Si peu couteuses qu'elles fussent sur les marches de l'Egypte, elles n'etaient pas accessibles a tout le monde. Les verriers imiterent l'emeraude, le jaspe, le lapis-lazuli, la cornaline, et cela avec une telle perfection que nous sommes souvent embarrasses aujourd'hui pour distinguer les pierres vraies des fausses. On les coulait dans des moules en pierre ou en calcaire a la forme qu'on voulait, perles, disques, anneaux, pendeloques de colliers, rubans et baguettes etroites, plaques chargees d'hommes ou d'animaux, images de dieux et de deesses. On en faisait des yeux et des sourcils pour le visage des statues en pierre ou en bronze, des bracelets pour leurs poignets, on les sertissait dans le creux des hieroglyphes, on les decoupait en hieroglyphes, on en composait des inscriptions entieres qu'on encadrait dans le bois, dans la pierre ou dans le metal. Les deux caisses ou reposait la momie de Notemit, mere du pharaon Hrihor-Siamon, sont decorees de cette maniere. Une feuille d'or les recouvre en entier, a l'exception de la coiffure et de quelques Details: les textes et les parties principales de l'ornementation sont formes d'emaux, dont les teintes vives se detachent sur le ton mat de l'or. Les momies du Fayoum etaient enduites de platre ou de stuc, ou L'on incrustait les scenes et les legendes qu'on se contentait de peindre partout ailleurs. Les plus grandes etaient composees de plusieurs morceaux de verre, rapportes et retouches au ciseau a l'imitation d'un bas-relief. Ainsi, la deesse Mait a les nus, la face, les mains, les pieds, en bleu turquoise, la coiffure en bleu tres sombre, la plume en filets alternativement bleus et jaunes, la robe en rouge haricot. Sur le naos en bols, recemment decouvert dans le voisinage de Daphne, et sur un fragment de cercueil du musee de Turin, les hieroglyphes en verre multicolore ressortent directement sur le fond sombre du bois. Le tout forme un ensemble d'un eclat et d'une richesse a peine concevables. Verres filigranes, verres graves et tailles, verres soudes, verres simulant le bois, la paille, la corde, les Egyptiens n'ont rien ignore. J'ai eu entre les mains une regle carree, formee de baguettes multicolores agglutinees, et dont la tranche laissait lire le cartouche d'un des Amenemhat: le motif se prolongeait dans la masse, et, a quelque endroit de la hauteur qu'on le coupat, le cartouche reparaissait. Les verres a miniatures remplissent presque a eux seuls une vitrine entiere du musee de Boulaq. Ici, c'est un singe a quatre pattes, qui flaire un gros fruit pose a terre. La, un portrait de femme, dessine de face, sur fond blanc ou vert d'eau encadre de rouge. La plupart des plaques ne representent que des rosaces, des etoiles, des fleurs isolees ou mariees en bouquet. Une des plus petites porte un boeuf Apis, a la robe blanche et noire, debout, marchant: le travail en est si delicat qu'il ne perd rien a etre examine a la loupe. La plupart des objets de ce genre ne sont pas anterieurs a la premiere dynastie saite; mais les fouilles executees a Thebes ont prouve que, des le Xe siecle avant notre ere, le gout et, par suite, la fabrication des verres multicolores etaient chose commune en Egypte. On a recueilli, a Gournet-Murrai et a Sheikh-Abd-el-Gournah, non seulement les amulettes a l'usage des morts, colonnettes, coeurs, yeux mystiques, hippopotames debout sur leurs pattes de derriere, canards accouples, en pates bleues, rouges, jaunes, melangees, mais des vases du type de ceux qu'on est accoutume a considerer comme etant de travail phenicien et cypriote. Voici, par exemple, une petite oenochoe en verre bleu clair semi-opaque (Fig.220): l'inscription au nom de Thoutmos III, les oves du goulot et les palmes de la panse sont traces en jaune. Voici encore une ampoule lenticulaire, haute de huit centimetres (Fig.221), a fond bleu marin d'une intensite et d'une purete admirables, sur lequel un semis de feuilles de fougere s'enleve en jaune, d'un trait fin et hardi; deux petites anses vert clair s'attachent au col et un filet jaune court sur le rebord du goulot. Une amphore de meme taille est d'un vert olive profond et demi-transparent (Fig.222). Une ceinture de chevrons bleus et jaunes, saisis entre quatre lignes jaunes, lui serre la panse a l'endroit le plus large; les anses sont vert clair et le filet est bleu tendre. La princesse Nsikhonsou avait a cote d'elle, dans la cachette de Deir-el-Bahari, des gobelets de travail analogue, sept en pate unie vert clair, jaune, bleue, quatre en une pate noire mouchetee de blanc, un seul enveloppe de feuilles de fougere multicolores, disposees sur deux rangs (Fig.223). Les manufactures etaient donc en pleine activite des le temps des grandes dynasties thebaines. Des monceaux de scories, melees a des rebuts de cuisson, marquent encore, au Ramesseum, a El-Kab, sur le tell d'Ashmounein, la place ou leurs fourneaux s'allumaient. [Illustration: Fig. 220] [Illustration: Fig. 221] [Illustration: Fig. 222] [Illustration: Fig. 223] Les Egyptiens emaillaient la pierre. La moitie au moins des scarabees, des cylindres et des amulettes que renferment nos musees, sont en calcaire, en schiste, en lignite, revetus d'une glacure coloree. L'argile ordinaire ne leur paraissait pas sans doute appropriee a ce genre de decoration. Ils la remplacaient par plusieurs sortes de terre, l'une blanche et sableuse, l'autre bise et fine, produite par la Pulverisation d'un calcaire special, qu'on trouve en abondance aux environs de Qeneh, de Louxor et d'Assouan, une troisieme rougeatre et melee de gres en poudre et de brique pilee. Ces substances diverses sont bien connues sous les noms egalement inexacts de _porcelaines_ ou _faiences egyptiennes_. Les plus anciennes, a peine lustrees, sont couvertes d'un enduit excessivement mince, sauf dans le creux des hieroglyphes et des figures, ou la matiere vitreuse accumulee tranche, par son aspect luisant, sur le ton mat des parties environnantes. Le vert est de beaucoup la couleur la plus frequente sous les anciennes dynasties; mais le jaune, le rouge, le brun, le violet, le bleu, n'etaient point dedaignes. Le bleu l'emporta dans les manufactures thebaines, des les premieres annees du moyen empire. C'est, d'ordinaire, un bleu brillant et doux, imitant la turquoise ou le lapis-lazuli. Le musee de Boulaq possedait jadis trois hippopotames de cette nuance, decouverts a Drah-aboul-Neggah, dans la tombe d'un Entouf. Un etait couche, les deux autres sont debout dans un marais, et le potier a dessine sur leur corps, a l'encre noire, des fourres de roseaux et de lotus au milieu desquels volent des oiseaux et des papillons (Fig.224). C'etait une maniere de montrer la bete dans son milieu naturel. Le bleu en est profond, eclatant, et il faut descendre vingt siecles d'un coup pour en retrouver d'aussi pur, parmi les statuettes funeraires qui proviennent de Deir-el-Bahari. Le vert reparait avec les dynasties saites, plus pale qu'aux anciennes epoques. Il domine dans le nord de l'Egypte, a Memphis, a Bubaste, a Sais, mais sans eliminer entierement le bleu. Les autres nuances n'ont ete d'usage courant que pendant quatre ou cinq siecles, d'Ahmos Ier aux Ramessides. C'est alors, mais alors seulement, qu'on voit se multiplier les _Repondants_ a vernis blanc ou rouge, les fleurs de lotus et les rosaces jaunes, rouges et violettes, les boites a kohol bariolees. Les potiers du temps d'Amenhotpou III avaient un gout particulier pour les tons gris et violets. Les olives au nom de ce pharaon et des princesses de sa famille portent des hieroglyphes en bleu leger sur un fond mauve des plus delicats. Le vase de la reine Tii, au musee de Boulaq, est d'un gris mele de bleu; il a, autour du goulot, des ornements et des legendes en deux couleurs. La fabrication des emaux multicolores parait avoir atteint son plus grand developpement sous Khouniaton: du moins est-ce a Tell-Amarna que j'en ai trouve les modeles les plus fins et les plus legers, des bagues jaunes, vertes, violettes, des fleurettes blanches ou bleues, des poissons, des luths, des grenades, des grappes de raisin. Telle figurine d'Hor a le corps bleu et la face rouge; tel chaton de bague porte, sur une surface bleu clair, le nom du roi reserve en violet. Si restreint que soit l'espace, les tons divers ont ete poses avec une telle surete de main qu'ils ne se confondent jamais, mais tranchent vivement l'un sur l'autre. Un vase a poudre d'antimoine, cisele et monte sur un pied a jour, est glace de rouge brun (Fig.225). Un autre, qui a la forme d'un epervier mitre, est bleu, rehausse de taches noires; il appartenait jadis au roi Ahmos Ier. Un troisieme, creuse dans un herisson de bonne volonte, est d'un vert chatoyant (Fig.226). Une tete de pharaon, d'un bleu mat, porte une coiffure rayee de bleu sombre. Si belles que soient ces pieces, le chef-d'oeuvre de la serie est la statuette du premier prophete d'Amon Ptahmos, a Boulaq. Les hieroglyphes et les details du maillot funeraire ont ete graves en relief, sur un fond blanc d'une egalite admirable, puis remplis d'emaux. Le visage et les mains sont bleu turquoise, la coiffure est jaune a raies violettes, violets egalement sont les caracteres de l'inscription et le vautour qui deploie ses ailes sur la poitrine. Le tout est harmonieux, brillant, leger: aucune bavure n'emousse la purete des contours ou la nettete des traits. [Illustration: Fig. 224] [Illustration: Fig. 225] [Illustration: Fig. 226] La poterie emaillee fut commune en tous temps. Les tasses a pied (Fig.227), les bols bleus, arrondis du fond et ornes d'yeux mystiques, de lotus, de poissons (Fig.228), de palmes a l'encre noire, sont en general de la XVIIIe, de la XIXe ou de la XXe dynastie. Les ampoules lenticulaires, a vernis verdatre, garnies de rangs de perles ou d'oves sur la tranche, de colliers sur la panse, et flanquees de deux singes accroupis en guise d'anses, appartiennent toutes, ou peu s'en faut, au regne d'Apries et d'Amasis (Fig.229). Manches de sistre, coupes, vases a boire en forme de lotus a demi epanoui, plats, ecuelles de table, les Egyptiens aimaient cette vaisselle fraiche au toucher, agreable a l'oeil et facile a tenir propre. Poussaient-ils le gout de l'email jusqu'a en recouvrir les murs memes de leurs maisons? Rien ne permet de l'affirmer ou de le nier avec certitude, et les quelques exemples que nous avons de ce mode de decoration proviennent tous d'edifices royaux. On lit le prenom et la banniere de Pepi Ier sur une brique jaune, les noms de Ramses III sur une verte, ceux de Seti Ier et de Sheshonq sur des fragments rouges et blancs. Une des chambres de la pyramide a degres de Saqqarah avait garde jusqu'au commencement du siecle sa parure de faience (Fig.230). Elle etait revetue aux trois quarts de plaques vertes, oblongues, legerement convexes au dehors, mais plates a la face interne (Fig.231); une saillie carree, percee d'un trou, servait a les assembler par derriere, sur une seule ligne horizontale, au moyen d'une baguette de bois. Les trois bandes qui encadraient la porte du fond sont historiees aux titres d'un pharaon mal classe des premieres dynasties memphites. Les hieroglyphes s'enlevent en bleu, en rouge, en vert, en jaune, sur un ton chamoise. Vingt siecles plus tard, Ramses III essaya d'un genre nouveau a Tell-el-Yahoudi. Cette fois ce n'est plus d'une seule chambre, c'est d'un temple entier qu'il s'agit. Le noyau de la batisse etait en calcaire et en albatre; mais les tableaux, au lieu d'etre sculptes comme a l'ordinaire, etaient en une sorte de mosaique, ou la pierre decoupee et la terre vernissee se combinaient a parties presque egales. L'element le plus frequemment repete est une rondelle en frite sableuse, revetue d'un enduit bleu ou gris, sur lequel se detachent en nuance creme des rosaces simples, (Fig.232) ou encadrees de dessins geometriques (Fig.233), des toiles d'araignees, des fleurs ouvertes. Le bouton central est en relief, les feuilles et les reseaux sont incrustes dans la masse. Ces rondelles, dont le diametre varie d'un a dix centimetres, etaient fixees a la paroi au moyen d'un ciment tres fin. On les employait a dessiner des ornements tres divers, enroulements, rinceaux, filets paralleles, tels qu'on les voit sur un pied d'autel et sur une base de colonne conserves a Boulaq. Les cartouches etaient en general d'une seule piece, ainsi que les figures: les details, creuses ou modeles sur la terre avant la cuisson, etaient ensuite recouverts chacun du ton qui lui appartenait. Les lotus et les feuillages qui couraient sur le soubassement ou le long des corniches etaient au contraire formes de morceaux independants: chaque couleur est une piece decoupee de maniere a s'ajuster exactement aux pieces voisines (Fig.234). Le temple avait ete exploite au commencement du siecle, et le Louvre possedait, depuis Champollion, des figures de prisonniers qui en proviennent. Ce qui en restait a ete demoli, il y a quelques annees, par les marchands d'antiquites, et les debris en sont disperses un peu partout. Mariette en recueillit a grand'peine les fragments les plus importants, le nom de Ramses III, qui nous donne la date de la construction, des bordures de lotus et d'oiseaux a mains humaines (Fig.235), des tetes d'esclaves negres (Fig.236) ou asiatiques. La destruction de ce monument est d'autant plus facheuse que les Egyptiens n'ont pas du en edifier beaucoup du meme type. La brique emaillee, le carreau, la mosaique d'email se gatent aisement: c'etait la un vice redhibitoire pour un peuple epris de force et d'eternite. [Illustration: Fig. 227] [Illustration: Fig. 228] [Illustration: Fig. 229] [Illustration: Fig. 230] [Illustration: Fig. 231] [Illustration: Fig. 232] [Illustration: Fig. 233] [Illustration: Fig. 234] [Illustration: Fig. 235] [Illustration: Fig. 236] 2.--LE BOIS, L'IVOIRE, LE CUIR ET LES MATIERES TEXTILES. L'ivoire, l'os, la corne sont assez rares dans les musees: ce n'est pas une raison pour croire que les Egyptiens n'en aient pas tire bon parti. La corne ne dure guere: certains insectes en sont tres friands et la detruisent en fort peu de temps. L'os et l'ivoire perdent aisement leur consistance et deviennent friables. Les Egyptiens connaissaient les elephants de toute antiquite; peut-etre meme les ont-ils rencontres dans la Thebaide, au moment ou ils s'y installerent, car le nom de l'ile d'Elephantine est ecrit avec l'image d'un de ces animaux, des la Ve dynastie. L'ivoire leur arrivait des regions du haut Nil par dents et par demi-dents. Ils le teignaient a volonte en vert ou en rouge, mais lui laissaient le plus souvent sa teinte naturelle et l'employaient beaucoup en menuiserie, pour incruster des chaises, des lits et des coffrets; ils en fabriquaient aussi des des a jouer, des peignes, des epingles a cheveux, des ustensiles de toilette, des cuillers d'un travail delicat (Fig.237), des etuis a collyre creuses dans une colonne surmontee d'un chapiteau, des encensoirs formes d'une main qui supporte un godet en bronze ou bruler des parfums, des boumerangs couverts au trait de divinites et d'animaux fantastiques. Quelques-uns de ces objets sont de veritables oeuvres d'art: ainsi, a Boulaq, un manche de poignard qui represente un lion, les reliefs plaques sur la boite a jeu de Touai, qui vivait a la fin de la XVIIe dynastie, une figurine de la Ve dynastie malheureusement mutilee, mais qui garde encore des traces de couleur rose, et la statue en miniature d'Abi, qui mourut sous la XIIIe. Elle est juchee majestueusement sur une colonne en campane. Le personnage regarde droit devant lui, d'un air majestueux que ses oreilles tres ecartees de la tete rendent tant soit peu comique. La touche est large et spirituelle. Le morceau pourrait etre compare sans trop de desavantage aux bons ivoires italiens de la Renaissance. [Illustration: Fig. 237] L'Egypte ne nourrit pas beaucoup d'arbres, encore la plupart de ceux qu'elle produit sont-ils impropres a la sculpture. Les deux especes les plus repandues, le palmier et le doum, sont d'une fibre grossiere et par trop inegale. Quelques varietes de sycomore et d'acacia ont seules un corps dont le grain souple et fin se prete au travail du ciseau. Le bois n'en etait pas moins la matiere favorite des sculpteurs qui voulaient faire vite et a bon marche. Ils le choisissaient parfois pour des oeuvres d'importance, telles que les supports du double, et nous jugeons par le Sheikh-el-beled de quelle hardiesse et de quelle ampleur ils savaient le traiter. Mais les billots ou les poutres dont ils disposaient avaient rarement la longueur et la largeur suffisante pour qu'on en tirat une statue d'une seule piece. Le Sheikh-el-beled lui-meme, qui cependant n'est pas de grandeur naturelle, est un assemblage de morceaux tenus par des chevilles carrees. On s'accoutuma donc a ramener les sujets qu'on voulait executer en bois a des proportions telles qu'on put les tailler tout entiers dans un meme bloc; sous les dynasties thebaines, les statues d'autrefois sont devenues des statuettes. L'art ne perdit rien a cette decroissance, et plus d'une parmi ces figurines est comparable aux plus beaux ouvrages de l'ancien empire. La meilleure peut-etre est au musee de Turin, et appartient a la XXe dynastie. Elle represente une fillette sans vetement qu'une ceinture etroite passee sur les reins. Elle est encore a cet age indecis ou le sexe n'est pas developpe et ou les formes tiennent a la fois du garcon et de la femme. La tete est d'une expression douce et mutine: c'est, a trente siecles de distance, le portrait de ces gracieuses filles d'Elephantine qui se promenent nues sous le regard des etrangers, sans gene et sans impudeur. Trois petits hommes du musee de Boulaq sont probablement contemporains de la figurine de Turin. Ceux-la sont revetus du costume d'apparat et ce n'est que justice, car l'un d'eux etait le favori du roi, Hori, surnomme Ra. Ils marchent droit, d'un mouvement calme et mesure, le buste bien efface, la tete haute: l'expression de leur physionomie est maligne et rusee. Un officier (Fig.238), qui a pris sa retraite au Louvre, est en demi-costume militaire du temps d'Amenhotpou III et de ses successeurs: perruque legere, sarrau collant a manches courtes, pagne bridant sur la hanche, descendant a peine jusqu'a mi-cuisse et garni sur le devant d'une piece d'etoffe bouffante, gaufree dans le sens de la longueur. Il a pour voisin un pretre (Fig.239) coiffe de petites meches etagees, vetu de la jupe longue tombant a mi-jambe et s'etalant en une sorte de tablier plisse. Il supporte a deux mains un insigne divin, consistant en une tete de belier surmontee du disque solaire, le tout emmanche au bout d'une hampe solide. Officier et pretre sont peints en brun rouge, a l'exception des cheveux qui sont noirs, de la cornee des yeux qui est blanche et de l'insigne divin qui est jaune. Chose curieuse, leur camarades de vitrine, la petite dame Nai, est peinte comme eux en rouge et non en jaune, qui est la couleur reglementaire des femmes en Egypte (Fig.240). Elle est prise dans un peignoir collant, garni de haut en bas d'une broderie en fil blanc. Elle porte au cou un collier d'or a trois rangs, et aux poignets des bracelets d'or, sur la tete une perruque dont les tresses descendent jusqu'a la naissance de la gorge. Le bras droit pend le long du corps, et la main tenait un objet, probablement un miroir en metal, qui a disparu: le bras gauche est replie sur la poitrine, et la main serre une tige de lotus dont le bouton pointe entre les seins. Le corps est souple et bien fait, la gorge jeune, droite et peu developpee, la face large et souriante avec une expression de douceur et de vulgarite. L'artiste n'a pas su eviter la lourdeur dans l'agencement de la coiffure, mais le buste est modele avec une elegance chaste, la robe dessine les formes sans les exposer trop indiscretement, le geste par lequel la jeune femme ramene la fleur sur sa poitrine est rendu avec finesse et naturel. Ce sont la des portraits, et, comme les modeles n'etaient pas d'ordre tres releve, on peut supposer qu'ils ne s'etaient pas adresses pour les avoir aux faiseurs en renom: ils avaient eu recours a des ouvriers sans pretention, mais la science de la forme et la surete de l'execution sont bien propres a prouver jusqu'a quel point l'influence de la grande ecole de sculpture qui florissait alors a Thebes s'exercait fortement, meme sur les gens de metier. [Illustration: Fig. 238] [Illustration: Fig. 239] [Illustration: Fig. 240] Elle est plus sensible encore quand on etudie l'attirail de la toilette et le mobilier proprement dit. Ce ne serait pas petite affaire que de passer en revue tous les menus ustensiles de parure feminine, auxquels la fantaisie des artistes donnait une forme ingenieuse et spirituelle. Les manches de miroir representent le plus souvent une tige de lotus ou de papyrus, surmontee d'une fleur epanouie d'ou sort le disque de metal poli; quelquefois une jeune fille nue ou vetue d'une chemise etroite le tient en equilibre sur sa tete. Les epingles a cheveux se terminent en serpent love, en museau de chacal, de chien, en bec d'epervier. La pelote dans laquelle elles sont plantees est un herisson ou une tortue, dont la carapace est percee de trous selon un dessin regulier. Les chevets, sur lesquels on appuyait la tete pour dormir, etaient decores de reliefs empruntes aux mythes de Bisou et de Sokhit: la tete grimacante du dieu s'etale sur les bas cotes ou sur la base. Mais c'est surtout dans l'execution des cuillers a parfum ou des etuis a collyre que brille le genie inventif des ouvriers. On se servait des cuillers pour manier, sans trop se salir, soit des essences, soit des pommades, soit les fards de differentes couleurs dont hommes et femmes se teignaient les joues, les levres, le bord et le dessous des yeux, les ongles, la paume des mains. Les motifs sont empruntes generalement a la faune ou a la flore du Nil. Un des etuis de Boulaq a la figure d'un veau couche, creuse pour servir de boite: la tete et le dos de l'animal s'enlevent et font couvercle. Une cuiller du meme musee represente un chien qui se sauve, emportant un enorme poisson dans sa gueule: le corps du poisson est le bol de la cuiller (Fig.241). L'autre est un cartouche qui jaillit d'un lotus epanoui, un fruit de lotus pose sur un bouquet de fleurs (Fig.242) ou un simple recipient triangulaire (Fig.243) flanque de deux boutons. Les plus soignees combinent avec ces donnees la figure humaine. Une jeune fille nue, sauf une ceinture qui lui serre les hanches, nage, tenant la tete bien hors de l'eau (Fig.244); ses deux bras allonges poussent un canard creuse en boite, et dont les deux ailes, s'ecartant a volonte, tiennent lieu de couvercle. Au Louvre, c'est encore une jeune fille (Fig.245), mais perdue dans les lotus et qui cueille un bouton. Une botte de tiges, d'ou s'echappent deux fleurs epanouies, reunit le manche au bol de la cuiller, dont l'ovale tourne sa partie ronde au dehors, sa pointe a l'interieur. Ailleurs, la jeune fille (Fig.246) est encadree entre deux tiges fleuries et marche en jouant de la guitare a long manche. Ailleurs encore, la musicienne est debout sur une barque (Fig.247) ou est remplacee par une porteuse d'offrandes. Parfois enfin, c'est un esclave qui s'avance, courbe sous le poids d'un enorme sac. Tous ces personnages ont chacun leur physionomie et leur age caracterises nettement. [Illustration: Fig. 241] [Illustration: Fig. 242] [Illustration: Fig. 243] [Illustration: Fig. 244] [Illustration: Fig. 245] [Illustration: Fig. 246] [Illustration: Fig. 247] La cueilleuse de lotus est bien nee, comme l'indique sa chevelure nattee avec soin et la jupe plissee dont elle est habillee. Les dames thebaines etaient vetues de long, et celle-la ne s'est troussee haut qu'afin de pouvoir marcher par les roseaux sans mouiller ses vetements. Au contraire, les deux musiciennes et la nageuse sont de condition inferieure ou servile. Deux d'entre elles n'ont qu'une ceinture, la troisieme a un jupon court lie negligemment. La porteuse d'offrandes dont on affublait les enfants. C'est une de ces adolescentes minces et fluettes, comme on en voit beaucoup encore chez les fellahs des bords du Nil, et sa nudite ne l'empeche pas d'etre de naissance ingenue; les enfants nobles ne commencaient a prendre le costume de leur sexe que vers l'age de puberte. Enfin l'esclave (Fig.249), avec ses levres epaisses, son nez plat, sa machoire lourde et bestiale, son front deprime, sa tete glabre en pain de sucre, est evidemment la caricature d'un prisonnier etranger. La mine abrutie avec laquelle il s'en va pliant sous le faix a ete fort bien saisie, et les saillies anguleuses du corps, le type de la tete, l'agencement des diverses parties, rappellent l'aspect general des terres cuites grotesques de l'Asie Mineure. Tous les details de nature groupes autour du sujet principal et qui l'encadrent, la forme des fleurs et des feuilles, l'espece des oiseaux, sont rendus avec un grand amour de l'exactitude et avec un certain esprit. Des trois canards que la porteuse d'offrandes a lies par les pattes et laisse pendre a son bras, deux se sont resignes a leur sort et sont la ballants, le cou tendu, l'oeil ouvert; le troisieme releve la tete et bat de l'aile pour protester. Les deux oiseaux d'eau perches sur les lotus ecoutent, au repos et le bec sur le jabot, la joueuse de luth. L'experience leur a appris qu'il ne faut pas se deranger pour des chansons et qu'une jeune fille n'est a craindre qu'a la condition d'etre armee. La vue d'un arc et d'une fleche les met en fuite dans les bas-reliefs, comme de nos jours la vue d'un fusil fait s'envoler une bande de pies. Les Egyptiens connaissaient a merveille les habitudes des animaux et se sont plu a les reproduire exactement. L'observation de tous les menus faits etait devenue instinctive chez eux, et donnait aux moindres productions de leurs mains ce caractere de realite dont nous sommes frappes aujourd'hui. [Illustration: Fig. 248] [Illustration: Fig. 249] Les meubles n'etaient pas plus nombreux dans l'Egypte ancienne qu'ils ne sont dans l'Egypte actuelle. Chez les pauvres, quelques nattes et des huches en terre battue. Chez les gens de la classe moyenne, des coffrets a linge et des escabeaux. Chez les riches seuls, des lits, des fauteuils, des divans, des tables: armoires, buffets, dressoirs, commodes, la plupart des pieces qui composent notre mobilier etaient inconnus. L'art du menuisier n'en etait pas moins porte a un haut degre de perfection des les anciennes dynasties. Les ais, dresses a l'herminette, emmortaises, colles, reunis par des chevilles en bois dur ou des epines d'acacia, jamais par des clous metalliques, etaient polis, puis revetus de peintures. Les coffres sont generalement juches sur quatre pieds droits, parfois assez eleves. Le couvercle est plat ou arrondi selon une courbe speciale (Fig.250), que les Egyptiens ont aimee de tout temps, rarement taille en pointe comme le toit de nos maisons (Fig.25l). Il s'enleve le plus souvent tout entier, souvent il tourne autour d'une cheville enfoncee dans l'epaisseur de l'un des montants, parfois enfin il roule sur des pivots en bois, analogues a ceux de nos armoires (Fig.252). Les panneaux, dont la grande surface se pretait etonnamment a la decoration artistique, sont rehausses de peintures, incrustes d'ivoire, d'argent, de plaques d'email, de bois precieux. Peut-etre sommes-nous mal places aujourd'hui pour juger de l'habilete que les Egyptiens deployaient a l'occasion, et de la variete des formes qu'ils inventaient a chaque epoque. Presque tous les meubles qui nous restent proviennent des tombeaux et sont, ou bien des imitations a bon marche de meubles precieux destinees a etre enfermees dans le caveau avec les morts, ou bien des meubles de nature particuliere, dont l'usage etait exclusivement reserve aux momies. [Illustration: Fig. 250] [Illustration: Fig. 251] [Illustration: Fig. 252] Les momies etaient, en effet, les clients les plus certains des menuisiers. Partout ailleurs, l'homme n'emportait au dela de la vie qu'un petit nombre d'objets: en Egypte, il ne se contentait pas a moins d'un mobilier complet. Le cercueil etait a lui seul un veritable monument, dont la construction mettait en branle une escouade d'ouvriers (Fig.253). La mode en variait selon les epoques. Aux temps de l'empire memphite et du premier empire thebain, on ne rencontre guere que de grandes caisses rectangulaires, en bois de sycomore, a couvercle et a fonds plats, composees de plusieurs pieces assemblees au moyen de chevilles egalement en bois. Le modele n'en est pas elegant, mais la decoration en est des plus curieuses. Le couvercle n'a pas de corniche. Une longue bande d'hieroglyphes en occupe le milieu a l'exterieur; tantot simplement tracee a l'encre ou a la couleur, tantot sculptee a meme le bois, puis remplie de pate bleuatre, elle ne contient que le nom et le titre du defunt, parfois une courte formule de priere en sa faveur. La surface interieure est enduite d'une couche epaisse de stuc, ou blanchie au lait de chaux: on y inscrivait d'ordinaire le chapitre XVII du _Livre des Morts_, aux encres rouge et noire et en beaux hieroglyphes cursifs. La cuve consiste en huit planches verticales, disposees deux a deux, pour les parois, et en trois planches horizontales pour le fond. Elle est decoree quelquefois, a l'exterieur, de grandes rainures prismatiques terminees en feuilles de lotus entre-croisees, comme celles qu'on rencontre sur les sarcophages en pierre. Le plus souvent elle est ornee, sur la gauche, de deux yeux grands ouverts et de deux portes monumentales, sur la droite, de trois portes, en tout semblables a celles qu'on voit dans les hypogees contemporains. Le cercueil est en effet la maison propre du mort, et, comme tel, il doit presenter sur ses faces un resume des prieres et des tableaux qui s'espacaient sur les murs de la tombe entiere. Les formules et les representations necessaires sont ecrites et illustrees a l'interieur, presque dans le meme ordre ou nous les trouvons au fond des mastabas. Chaque paroi est divisee en trois registres, et chaque registre contient ou bien une dedicace au nom du mort, ou bien la figure des objets qui lui appartiennent, ou bien les textes du Rituel qu'on recitait a son intention. Le tout agence habilement, sur un fond imitant assez exactement le bois precieux, forme un tableau d'un trait hardi et d'une couleur harmonieuse. Le menuisier n'avait que la moindre part au travail, et les longues boites ou l'on enfermait les morts les plus anciens n'exigeaient pas de lui une grande habilete. Il n'en fut pas de meme des qu'on s'avisa de donner au cercueil l'aspect general du corps humain. Deux types sont alors en presence. Dans le plus ancien, la momie sert de modele a son enveloppe. Les pieds et les jambes sont reunis tout du long. Les saillies du genou, les rondeurs du mollet, de la cuisse et du ventre, sont indiquees de facon sommaire et se modelent vaguement sous le bois. La tete, seule vivante sur ce corps inerte, est degagee entierement. Le mort est emprisonne dans une sorte de statue de lui-meme, assez bien equilibree pour qu'on put, a l'occasion, la dresser sur ses pieds comme sur une base. Ailleurs, il est etendu sur sa tombe, et sa figure, sculptee en ronde bosse, sert de couvercle a sa momie. La tete est chargee de la perruque a marteaux, la casaque de batiste blanche presque transparente voile le buste a demi, le jupon couvre les jambes de ses plis serres. Les pieds sont chausses de sandales elegantes, les bras s'allongent ou se replient sur la poitrine, les mains tiennent des emblemes divers, la croix ansee, la boucle de ceinture, le tat, ou, comme la femme de Sennotmou a Boulaq, une guirlande de lierre. Ce genre de gaine momiforme est rare sous les dynasties menaphites; Menkaouri, le Mykerinos des Grecs, nous en a donne pourtant un exemple memorable. Tres frequente a la XIe dynastie, elle n'est souvent, alors, qu'un tronc d'arbre evide, ou l'on a sculpte grossierement une tete et des pieds humains. Le masque est bariole de couleurs eclatantes, jaune, rouge, vert; les cheveux et la coiffure sont rayes de noir ou de bleu. Un collier s'etale pompeusement sur la poitrine. Le reste du cercueil est, ou bien enveloppe des longues ailes dorees d'Isis et de Nephthys, ou bien revetu d'un ton uniforme, jaune ou blanc, et illustre parcimonieusement de figures ou de bandes d'hieroglyphes bleues et noires. Les plus soignes parmi les cercueils des rois de la XVIIIe dynastie, que j'ai deterres a Deir-el-Bahari, appartiennent a ce type et ne se signalent que par le fini du travail et par la perfection vraiment extraordinaire avec laquelle l'ouvrier a reproduit les traits du souverain. Le masque d'Ahmos Ier, celui d'Amenhotpou Ier, celui de Thoutmos II, sont de veritables chefs-d'oeuvre en leur genre. Celui de Ramses II ne porte d'autre trace De peinture qu'une raie noire, afin d'accentuer la coupe de l'oeil; modele sans doute a l'image du Pharaon Hrihor, qui restaura l'appareil funebre de son puissant predecesseur; il est presque comparable aux meilleures oeuvres des statuaires contemporains (Fig.254). Deux des cercueils, ceux de la reine Nofritari et de sa fille Ahhotpou II, sont de taille gigantesque et mesurent plus de 3 metres de haut. On dirait, a les voir debout (Fig.255), une des cariatides qui ornent la cour de Medinet-Habou, mais en plus petit. Le corps est emmaillote et n'a plus que l'apparence indecise d'un corps humain. Les epaules et le buste sont revetus d'un reseau en relief, dont chaque maille se detache en bleu sur le fond jaune de l'ensemble. Les mains s'echappent de cette espece de mantelet et se croisent sur la poitrine en serrant la croix ansee, symbole de la vie. La tete est un portrait: face large et ronde, grands yeux, expression douce et insignifiante, lourde perruque surmontee de la coiffure et des longues plumes d'Amon ou de Mout. On se demande quel motif a pousse les Egyptiens a fabriquer ces pieces extraordinaires. Les deux reines etaient de petite taille et leur momie etait comme perdue dans la cavite; il fallut les caler a grand renfort de chiffons pour les empecher de ballotter et de se deteriorer. Grandeur a part, la simplicite est le caractere de ces deux cercueils comme elle l'est des autres cercueils royaux ou prives de cette epoque qui sont parvenus jusqu'a nous. Vers le milieu de la XIXe dynastie, la mode changea. On ne se contenta plus d'une seule caisse sobrement ornee: on voulut en avoir deux, trois, meme quatre, emboitees l'une dans l'autre et couvertes de peintures ou d'inscriptions. Souvent alors l'enveloppe exterieure est un sarcophage a oreillettes carrees, a couvercle en dos d'ane, dont les fonds, peints en blanc, sont charges de figures du mort, en adoration devant les dieux du groupe Osirien. Lorsqu'elle a la forme humaine, elle garde encore quelque chose de la nudite primitive: la face est coloriee, un collier recouvre la poitrine, une bande d'hieroglyphes descend jusqu'aux pieds; le reste est d'un ton uniforme, noir, brun ou jaune sombre. Les caisses interieures etaient d'un luxe presque extravagant, faces et mains rouges, roses, dorees, bijoux peints et parfois simules au moyen de morceaux d'email incrustes dans le bois, scenes et legendes multicolores, le tout englue de ce vernis jaune dont j'ai parle plus haut. Le contraste est frappant entre l'abondance d'ornements qu'on remarque a ces epoques et la sobriete des epoques anterieures: il faut se rendre a Thebes meme, au lieu de la sepulture, pour en comprendre la raison. Les particuliers et les rois des dynasties conquerantes employaient ce qu'ils avaient de ressources et d'energie a se creuser des hypogees. Les parois en etaient sculptees ou peintes, le sarcophage etait taille dans un bloc immense de granit ou d'albatre ouvrage finement; peu importait que le bois ou dormait la momie fut simplement decore. Les Egyptiens de la decadence et leurs maitres n'avaient plus, comme les generations qui les avaient precedes, la faculte de puiser indefiniment dans les tresors de l'Egypte et des pays voisins. Ils etaient pauvres, et la mediocrite de leur budget ne leur permettait pas d'entreprendre de longs travaux: ils renoncerent, ou du moins presque tous, a se preparer des tombes monumentales, et depenserent ce qui leur restait d'argent a se fabriquer de belles caisses en bois de sycomores. Le luxe de leurs cercueils n'est, en resume, qu'une preuve de plus a joindre aux preuves deja nombreuses que nous avons de leur faiblesse et de leur pauvrete. Lorsque les princes Saites eurent retabli, pour quelques siecles, les affaires du pays, les sarcophages en pierre reparurent et l'enveloppe en bois reprit quelque chose de la simplicite des beaux temps; mais ce renouveau ne dura pas, et la conquete macedonienne amena dans les modes funeraires la meme revolution qu'autrefois la chute des Ramessides. On en revint a l'usage des caisses doubles et triples, aux exces de peinture, aux dorures criardes; l'habilete des manoeuvres d'epoque greco-romaine qui ont habille les morts d'Akhmim pour leur derniere demeure est moindre, leur mauvais gout ne le cede en rien a celui des fabricants de cercueils thebains qui vivaient sous les derniers Ramses. [Illustration: Fig. 253] [Illustration: Fig. 254] [Illustration: Fig. 255] Le reste du mobilier funebre ne donnait pas aux menuisiers moins d'ouvrage que les momies. On voulait des coffres de differente taille pour le trousseau du mort, pour ses intestins, pour ses figurines funeraires, des tables pour ses repas, des chaises, des tabourets, des lits ou etendre le cadavre, des traineaux pour l'amener au tombeau, meme des chars de guerre ou de promenade. Les coffrets ou l'on enfermait les canopes, les statuettes funeraires, les vases a libations, sont divises en plusieurs compartiments: un chacal accroupi est pose quelquefois par-dessus et sert comme de poignee pour soulever le couvercle. Ils etaient munis chacun d'un petit traineau, pour qu'on put les trainer sur le sol pendant les ceremonies de l'enterrement. Les lits ne sont pas rares. Beaucoup sont identiques aux _angarebs_ des Nubiens actuels, de simples cadres en bois, sur lesquels on tendait de grosses etoffes ou des lanieres en cuir entre-croisees. La plupart n'ont guere plus d'un metre et demi en longueur; le dormeur ne pouvait pas s'y etendre, mais y reposait pelotonne sur lui-meme. Les lits ornes etaient de la meme longueur que les notres, ou a peu pres. Le chassis en etait le plus souvent horizontal, quelquefois incline legerement de la tete aux pieds. Il etait souvent assez eleve au-dessus du sol, et on y montait au moyen d'un banc ou meme d'un petit escalier portatif. Le detail ne nous en serait guere connu que par les monuments figures, si, en 1884 et 1885, je n'en avais decouvert deux complets, l'un a Thebes, dans une tombe de la XIIIe dynastie, l'autre a Akhmim, dans la necropole greco-romaine. Deux lions de bonne volonte ont etire leur corps en guise de chassis, la tete au chevet, la queue recourbee sur les pieds du dormeur. Au-dessus s'eleve une sorte de baldaquin, qui servait lors de l'exposition des momies. Rhind en avait deja rapporte un qui orne aujourd'hui le musee d'Edimbourg (Fig.256). C'est un temple, dont le toit arrondi est soutenu par d'elegantes colonnettes en bois peint. Une porte gardee par deux serpents familiers etait censee donner acces a l'interieur. Trois disques ailes, de plus en plus grands, garnissaient les corniches superposees au-dessus de la porte, et une rangee d'uraeus loves se dressait au couronnement de l'edifice. Le baldaquin du lit de la XIIIe dynastie est beaucoup plus simple, une sorte de balustrade en bois decoupe et enlumine, a l'imitation des paquets de roseaux qui decorent le haut des parois de temple, le tout surmonte de la corniche ordinaire. Dans le lit de l'epoque grecque (Fig.257), les balustres sont remplaces sur les cotes par des figures de la deesse Mait, sculptees et peintes, accroupies et la plume aux genoux. A la tete et au pied, Isis et Nephthys se tiennent debout et etendent leurs bras franges d'ailes. La voute est a jour: des vautours y planent au-dessus de la momie, et deux statuettes d'Isis et de Nephthys agenouillees pleurent sur elle. Les traineaux qui menaient les morts au tombeau etaient, eux aussi, decores d'une sorte de baldaquin, mais d'aspect tres different. C'est encore un naos, mais a panneaux pleins, comme ceux que j'ai decouverts, en 1886, dans la chambre de Sennotmou a Gournet-Mourrai. Quand on y pratiquait quelques jours, c'etaient des lucarnes carrees par lesquelles on apercevait la tete de la momie: Wilkinson en a decrit un de ce genre, d'apres les peintures d'une tombe thebaine (Fig.258). Dans tous les cas, les panneaux etaient mobiles. Le mort une fois depose sur la planche du traineau, on les dressait chacun en sa place; le toit recourbe et garni de sa corniche posait sur le tout et formait couvercle. Plusieurs des fauteuils du Louvre et du British Museum ont ete fabriques vers la XIe dynastie. Ce ne sont pas les moins beaux, et l'un d'eux (Fig.259) a conserve une vivacite de couleurs extraordinaires. Le cadre, jadis garni d'un treillis de cordelettes, repose sur quatre pieds de lion. Le dossier est orne de deux fleurs et d'une ligne de losanges en marqueterie d'ebene et d'ivoire, qui se detache sur un champ rouge. Des tabourets de travail semblable (Fig.260), et des pliants, dont les pieds sont formes par des tetes d'oies aplaties, se trouvent dans tous les musees. Les Pharaons et les hauts fonctionnaires recherchaient des modeles plus compliques. Leurs sieges etaient parfois fort hauts. Ils avaient pour bras deux lions courants, ou pour supports des prisonniers de guerre lies dos a dos (Fig.261). Un escabeau, place sur le devant, servait de marchepied pour y monter, ou de point d'appui au personnage assis. Nous ne possedons jusqu'a present aucun meuble de ce genre. [Illustration: Fig. 256] [Illustration: Fig. 257] [Illustration: Fig. 258] [Illustration: Fig. 259] [Illustration: Fig. 260] [Illustration: Fig. 261] Les peintures nous montrent qu'on corrigeait la durete des fonds cannes ou treillisses en les recouvrant de matelas et de coussins richement ouvres. Les coussins et les matelas ont disparu, et l'on a suppose qu'ils etaient recouverts en tapisserie. Sans doute la tapisserie etait connue en Egypte, et un bas-relief de Beni-Hassan (Fig.262) nous apprend comment on la fabriquait. Le metier, quoique tres simple, rappelle celui dont se servent aujourd'hui encore les tisserands d'Akhmim. Il est horizontal et se compose de deux cylindres minces, ou plutot de deux batons, separes par un espace d'un metre cinquante, et engages chacun dans deux grosses chevilles plantees dans le sol a quatre-vingts centimetres l'une de l'autre ou environ. Les lisses de la chaine etaient attachees solidement, puis roulees autour du cylindre de tete jusqu'a tension convenable. Des batons de croisure, disposes d'espace en espace, facilitent l'introduction des broches chargees de fils. Le travail commencait par en bas, ainsi qu'on fait encore aux Gobelins. Le tissu etait tasse et egalise au moyen d'un peigne grossier, puis enroule au fur et a mesure sur le cylindre inferieur. On fabriquait ainsi des tentures et des tapis decores les uns de figures, les autres de dessins geometriques, zigzags ou damiers (Fig.263); toutefois, un examen attentif des monuments m'a demontre que la plupart des sujets ou l'on a cru reconnaitre des exemples de tapisserie sont en cuir peint et decoupe. L'industrie du cuir etait tres florissante. Il y a peu de musees qui ne possedent une paire au moins de sandales ou de ces bretelles de momie, dont les bouts sont en peau estampee, et portent une figure de dieu ou de Pharaon, une legende hieroglyphique, une rosace, parfois le tout reuni. Ces petits monuments ne remontent guere plus haut que le temps des grands-pretres d'Ammon ou des premiers Bubastites. C'est a la meme epoque qu'on doit attribuer l'immense dais du musee de Boulaq. Le catafalque sur lequel la momie reposait, pendant le transport de la maison mortuaire au tombeau, etait garni souvent d'une couverture d'etoffe ou de cuir souple. Parfois les cotes retombaient droit, parfois ils etaient releves en guise de rideaux par des embrasses et laissaient apercevoir le cercueil. Le dais de Deir-el-Bahari fut prepare pour la princesse Isimkheb, fille du grand-pretre Masahirti, femme du grand-pretre Menkhopirri, mere du grand-pretre Pinotmou III. La piece centrale, plus longue que large, se divise en trois bandes d'un cuir bleu celeste qui a passe au gris perle. Les deux laterales sont semees d'etoiles jaunes: sur celle du milieu s'etagent des vautours, dont les ailes etendues protegent le mort. Quatre pieces, formees de carres verts et rouges, disposes en damier, se rattachent aux quatre cotes. Celles qui pendent sur les cotes longs sont reliees a la centrale par une bordure d'ornements. A droite, des scarabees aux ailes deployees alternent avec les cartouches du roi Pinotmou II, sous une frise de fers de lance. A gauche, (Fig.264), le motif est plus complique. Une touffe de lotus, flanquee des cartouches royaux, occupe le centre; viennent ensuite deux antilopes agenouillees chacune sur une corbeille, puis deux bouquets de papyrus, enfin deux scarabees, semblables a ceux de l'autre bordure. La frise en fers de lance court au-dessus. La technique de cet objet est tres curieuse. Les hieroglyphes et les figures etaient decoupes dans de larges feuilles de cuir, comme nous faisons nos chiffres et nos lettres dans des plaques en cuivre. On cousait ensuite, sous les vides ainsi menages, des lanieres de cuir de la couleur qu'on voulait donner aux ornements ou aux caracteres, et, pour dissimuler le rapiecage, on etalait par derriere de longs morceaux de cuir blanc ou jaune clair. Malgre les difficultes d'agencement que presente ce travail, le resultat obtenu est des plus remarquables. La silhouette des gazelles, des scarabees et des fleurs est aussi nette et aussi elegante que si elle etait tracee au pinceau sur une muraille ou sur une feuille de papyrus. Le choix des motifs est heureux, la couleur harmonieuse et vive a la fois. Les ouvriers qui ont concu et execute le dais d'Isimkheb avaient une longue pratique de ce systeme de decoration et du genre de dessin qu'il comportait. Je ne doute pas, quant a moi, que les coussins des fauteuils et des divans royaux, les voiles des barques funeraires ou divines sur lesquelles on embarquait les momies et les statues des dieux, ne fussent le plus souvent en cuir. La voile en damier d'une des barques peintes au tombeau de Ramses III (Fig.265) rappelle a s'y meprendre les pans en damier du dais. Les vautours et les oiseaux fantastiques d'une autre barque (Fig.266) ne sont ni plus etranges ni plus difficiles a obtenir en cuir que les vautours et les gazelles d'Isimkheb. [Illustration: Fig. 262] [Illustration: Fig. 263] [Illustration: Fig. 264] [Illustration: Fig. 265] [Illustration: Fig. 266] Les temoignages anciens nous permettent d'affirmer que les Egyptiens d'autrefois brodaient aussi bien que ceux du moyen age. Les deux cuirasses qu'Amasis donna, l'une aux Lacedemoniens, l'autre au temple d'Athena a Lindos, etaient en lin, mais ornees de figures d'animaux en fil d'or et de pourpre: chaque fil se composait de trois cent soixante-cinq brins tous distincts. Si nous remontons plus haut, nous voyons, par les monuments figures, que les Pharaons avaient des vetements charges de bordures en tapisserie ou en broderie, appliquees ou executees a meme l'etoffe. Les plus simples consistent en une ou plusieurs bandes de nuance foncee courant parallelement au lisere. Ailleurs, on apercoit des palmettes ou des series de disques et de points, des feuillages, des meandres, et meme, ca et la, des figures d'hommes, de divinites ou d'animaux, dessinees probablement a l'aiguille. Aucune des etoffes qu'on a trouvees jusqu'a present sur les momies royales n'est decoree de la sorte et ne nous permet de juger la qualite et la technique de ce travail. Une fois, seulement, j'ai decouvert, sur le corps d'une des princesses de Deir-el-Bahari, un cartouche brode en fil rose pale. Les Egyptiens de la bonne epoque paraissent avoir estime particulierement les etoffes unies, surtout les blanches. Ils les fabriquaient avec une habilete merveilleuse, sur un metier identique de tous points a celui qu'ils avaient invente pour la tapisserie. Les portions de linceul qui enveloppent les mains et les bras de Thoutmos III sont aussi tenues que la plus fine mousseline de l'Inde, et meriteraient le nom d'_air tisse_, aussi bien au moins que les gazes de Cos. C'est la toutefois pure question de metier ou l'art n'a rien a reclamer. L'usage de la broderie et de la tapisserie ne se repandit communement en Egypte que vers la fin de la domination persane et le commencement de la domination grecque, sous l'influence des premiers Lagides. Alexandrie fut peuplee en partie de colons pheniciens, syriens, juifs qui y apporterent avec eux les procedes de fabrication usites dans leur pays et y fonderent des manufactures bientot florissantes. Pline attribue aux Alexandrins l'invention de tisser a plusieurs lisses les etoffes qu'on appelle brocarts (polymita); et, au temps des premiers Cesars, c'etait un fait reconnu que "l'aiguille de Babylone etait desormais vaincue par le peigne du Nil". Les tapisseries alexandrines n'etaient pas decorees presque exclusivement de dessins geometriques, comme les vieilles tapisseries egyptiennes: on y voyait, au temoignage des anciens, des figures d'animaux et meme d'hommes. Rien ne nous est reste des chefs-d'oeuvre qui remplissaient le palais des Ptolemees, mais des fragments ont ete decouverts en Egypte, qu'on peut attribuer a la basse epoque imperiale, l'enfant a l'oie, decrit par Wilkinson, les divinites marines d'une piece que j'ai achetee a Coptos. Les nombreux linceuls brodes et garnis de bandes en tapisserie, qu'on a decouverts recemment au Fayoum et pres d'Akhmim, proviennent presque tous de tombes coptes et relevent, par consequent, de l'art byzantin plus que de l'art egyptien. 3.--LES METAUX. On partageait les metaux en deux groupes, separes par la mention de quelques especes de pierres precieuses, comme le lapis-lazuli et la malachite: celui des metaux nobles, l'or, l'electrum, l'argent; celui des metaux vils, le cuivre, le fer, le plomb, auquel on joignit plus tard l'etain. Le fer etait reserve aux armes et aux outils de fatigue, ciseaux de sculpteur et de macon, tranchants de hache ou d'herminette, lames de couteaux ou de scies. Le plomb ne servait guere. On en incrustait parfois les battants de portes des temples, des coffrets, des meubles, et on en fabriquait de petites statues de divinites, surtout des Osiris ou des Anubis. Le cuivre pur etait trop mou pour resister a l'usage courant: le bronze etait le metal favori des Egyptiens. Il n'est pas vrai qu'ils aient reussi, comme on l'a dit souvent, a lui procurer par la trempe la durete du fer ou de l'acier, mais ils ont su en obtenir des qualites tres differentes, en variant les elements et les proportions de l'alliage. La plupart des objets examines jusqu'a present ont donne les quantites de cuivre et d'etain employees aujourd'hui encore a la fabrication du bronze commun. Ceux que Vauquelin etudia, en 1825, renfermaient 84 pour 100 de cuivre, 14 d'etain, 1 de fer et d'autres matieres. Un ciseau, rapporte d'Egypte par Wilkinson, ne contenait que 5,9 pour 100 d'etain, 0,1 de fer et 94 de cuivre. Des debris de statuettes et de miroirs, analyses plus recemment, ont rendu une quantite notable d'or ou d'argent, et correspondent aux airains de Corinthe. D'autres ont la teinte et la composition du laiton. Beaucoup des plus soignes resistent d'une maniere etonnante a l'humidite, et s'oxydent tres difficilement; on les frottait encore chauds d'un vernis resineux, qui en remplissait les pores et laissait a la surface une patine inalterable. Chaque espece avait son emploi: le bronze ordinaire pour les armes et pour les amulettes communs, les alliages analogues au laiton pour les ustensiles de menage, les bronzes d'or et d'argent pour les miroirs, les armes de prix, les statuettes de luxe. Aucun des tableaux que j'ai vus dans les tombes ne represente la fonte et le travail du bronze, mais l'examen des objets eux-memes supplee a ce defaut des monuments figures. Les outils, les armes, les anneaux, les vases a bon marche etaient partie forges, partie coules d'un seul coup dans des moules en terre refractaire ou en pierre. Tout ce qui etait oeuvre d'art etait coule en un ou plusieurs morceaux, selon les cas, puis les pieces ajustees, soudees et retouchees au burin. Le procede le plus frequemment employe etait celui de la fonte au carton: un noyau de sable ou de terre melee de charbon pile etait introduit dans le moule, et le modele du dehors se repetait grossierement au dedans. La couche de metal etait souvent si mince qu'elle aurait cede a une pression un peu forte si on n'avait pris la precaution de la consolider en laissant le noyau en place pour lui servir de soutien. La plupart des ustensiles domestiques et des petits instruments du menage etaient en bronze. On les rencontre par milliers en original dans nos musees, en figure sur les peintures et les bas-reliefs. L'art et le metier n'etaient pas incompatibles en Egypte, et le chaudronnier lui-meme s'efforcait de preter a ses oeuvres les plus humbles une forme elegante et des ornements de bon gout. La marmite ou le cuisinier de Ramses III composait ses chefs-d'oeuvre est supportee par des pieds de lion. Telle bouilloire semble ne differer en rien de la bouilloire moderne (Fig.267), mais examinez-la de pres: l'anse est une fleur de papyrus epanouie, dont les petales, inclines sur la tige, s'appuient au rebord du goulot (Fig.268). Le manche des couteaux ou des cuillers est presque toujours un cou de canard ou d'oie recourbe; le bol est parfois un animal, une gazelle liee comme les betes offertes en sacrifice (Fig.269). Un petit chacal est accroupi sur la poignee d'un sabre. Une paire de ciseaux du musee de Boulaq a, pour branche principale, un captif asiatique, les bras lies derriere le dos. Tel miroir est une feuille de lotus decoupee: la queue sert de manche. Telle boite a parfums est un poisson, telle autre un oiseau, telle autre un dieu grotesque. Les vases a eau lustrale, que les pretres et les pretresses portaient a la main pour asperger les fideles ou le terrain sur lequel defilaient les processions, meritent une place particuliere dans l'estime des connaisseurs. Ils sont pointus ou ovoides par le bout, et decores de tableaux au trait ou en relief. Tantot ce sont des images de dieux, chacune dans un cadre; tantot c'est une scene d'adoration. Le travail en est ordinairement tres fin. [Illustration: Fig. 267] [Illustration: Fig. 268] [Illustration: Fig. 269--(D'apres Wilkinson.)] La statuaire s'etait de bonne heure emparee du bronze: malheureusement, aucune ne nous a ete conservee de ces idoles qui remplissaient les temples de l'ancien empire. Quoi qu'on en ait dit, nous ne possedons point de statuettes en bronze qui soient anterieures a l'expulsion des Hyksos. Quelques-unes des figures qui proviennent de Thebes sont bien certainement de la XVIIIe et de la XIXe dynastie: la tete de lion ciselee qui etait avec les bijoux de la reine Ahhotpou, l'Harpocrate de Boulaq, qui porte le prenom de Kamos et le nom d'Ahmos Ier, plusieurs Ammon du meme musee, qu'on dit avoir ete decouverts a Medinet-Habou et a Sheikh Abd-el-Gournah. Les pieces les plus importantes appartiennent a la XXIIe dynastie, ou lui sont posterieures et contemporaines des Pharaons saites; beaucoup ne remontent pas plus haut que les premiers Ptolemees. Un fragment qui est en la possession du comte Stroganoff, et qui a ete recueilli dans les ruines de Tanis, faisait partie d'une statue votive du roi Petoukhanou. Elle etait executee aux deux tiers au moins de la grandeur naturelle, et c'est le morceau le plus considerable que nous ayons jusqu'a present. Le portrait de la dame Takoushit, donne par M. Demetrio au musee d'Athenes, les quatre figures de la collection Posno, aujourd'hui au Louvre, le genie agenouille de Boulaq, sont originaires de Bubastis et datent probablement des annees qui precederent l'avenement de Psamitik Ier. La dame Takoushit est debout, le pied en avant, le bras droit pendant, le bras gauche replie et ramene contre la poitrine (Fig.270). Elle est vetue d'une robe courte, brodee de scenes religieuses, et a des bracelets aux bras et aux mains. La perruque a meches carrees, regulierement etagees, lui emboite la tete. Le detail des etoffes et des bijoux est dessine en creux, au trait, a la surface du bronze, et releve d'un fil d'argent. La face est un portrait et semble indiquer une femme d'age mur. Le corps est, selon la tradition des ecoles egyptiennes, un corps de jeune fille, elance, ferme et souple. Le cuivre est mele fortement d'or et a des reflets doux, qui se marient de la maniere la plus heureuse avec le riche decor de la broderie. Autant l'aspect en est fin et harmonieux, autant celui du genie agenouille de Boulaq est rude et heurte. Il a la tete d'epervier et adore le soleil levant, comme c'est le devoir des genies d'Heliopolis; son bras droit est leve en l'air, son bras gauche se serre contre la poitrine. Le style de l'ensemble est sec, et le grenu de l'epiderme augmente encore l'impression de durete; mais le mouvement est juste, energique, et le masque d'oiseau s'ajuste au buste d'homme avec une surete surprenante. Les memes qualites et les memes defauts se retrouvent sur l'Hor de la collection Posno (Fig.271). Debout, les bras lances en avant, a hauteur de la tete, il souleve le vase a libations et en verse le contenu sur un roi jadis place devant lui. La rudesse est moins sensible dans les trois autres figures, surtout dans celle qui porte le nom de Mosou grave a la pointe sur la poitrine, a l'endroit du coeur (Fig.272). Elle est debout, comme Hor, le pied gauche en avant, le bras gauche tombant pres de la cuisse. La main droite, relevee a la hauteur du sein, tenait le baton de commandement. Le torse est nu, les reins sont ceints du pagne raye, dont la pointe retombe carrement entre les deux cuisses. La tete est coiffee de la perruque courte, a petites meches fines, imbriquees l'une sur l'autre. L'oreille est ronde et grande. Les yeux, bien ouverts, etaient sertis d'argent et ont ete voles par quelque fellah. Les traits ont une expression remarquable de hauteur et de fermete. Que dire, apres cela, des milliers d'Osiris, d'Isis, de Nephthys, d'Hor, de Nofirtoum, qu'on a retires du sable et des decombres a Saqqarah, a Bubaste et dans toutes les villes du Delta? Beaucoup, sans doute, sont de charmants morceaux de vitrine et se recommandent par la perfection de la fonte ou par la delicatesse du travail; mais la plupart sont des objets de commerce, fabriques pendant des siecles sur les memes modeles, et peut-etre dans les memes moules, pour l'edification des devots et des pelerins. Ils sont mous, vulgaires, sans originalite, et ne se distinguent non plus les uns des autres que les milliers de figurines coloriees, dont nos marchands d'objets de saintete encombrent leurs etalages. Seules, les images d'animaux, les beliers, les sphinx, les lions surtout, garderent jusqu'a la fin un cachet d'individualite des plus prononces. Les Egyptiens avaient pour les felins une predilection particuliere: ils ont represente le lion dans toutes les attitudes, chassant l'antilope, se ruant sur les chasseurs, blesse et se retournant pour mordre sa blessure, au repos et couche d'un calme dedaigneux, et nul peuple ne l'a rendu avec pareille connaissance de ses Habitudes ni avec pareille intensite de vie. Plusieurs dieux et plusieurs deesses, Shou, Anhouri, Bastit, Sokhit, Tafnout, avaient forme de lion ou de chat, et comme le culte en etait plus populaire dans le delta que partout ailleurs, il ne se passe guere d'annees ou l'on ne deterre, au milieu des ruines de Bubastis, de Tanis, de Mendes ou de quelque ville moins celebre, de veritables depots ou les figurines de lion ou de lionne, de femmes ou d'hommes a tetes de lion et de chat, se comptent par milliers. Les chats de Bubaste et les lions de Tell-es-seba remplissent nos musees. Les lions d'Horbait peuvent compter parmi les chefs-d'oeuvre de la statuaire egyptienne. Le nom d'Apries est inscrit sur le plus grand d'entre eux (Fig.273), mais ce temoignage precis nous manquerait, que les caracteres du morceau nous rameneraient invinciblement a l'epoque saite. Il faisait partie des pieces qui composaient l'ornementation d'une porte de temple ou de naos, et la face posterieure en etait engagee dans un mur ou dans une piece de bois. Il est pris au piege, ou couche dans une cage oblongue, d'ou ne sortent que la tete et les pattes de devant. Les lignes du corps sont simples et puissantes, l'expression de la face calme et forte. Il egale presque par l'ampleur et la majeste les beaux lions en calcaire d'Amenhotpou III. [Illustration: Fig. 270] [Illustration: Fig. 271] [Illustration: Fig. 272] [Illustration: Fig. 273] L'idee d'appliquer l'or et les metaux nobles sur le bronze, sur la pierre ou sur le bois, etait deja ancienne en Egypte, au temps de Kheops. L'or est tres souvent mele d'argent a l'etat naturel; quand il en renfermait 20 pour 100, il changeait de nom et s'appelait electrum (_asimou_). L'electrum a une belle teinte jaune clair. Il palit a mesure que la proportion augmente: a 60 pour 100, il est presque blanc. L'argent venait surtout d'Asie en anneaux, en plaques ou en briquettes d'un poids determine. L'or et l'electrum arrivaient partie de Syrie, en briques et en anneaux, partie du Soudan, en pepites ou en poudre. L'affinage et la fonte sont figures sur les monuments des anciennes dynasties. Un bas-relief de Saqqarah nous montre la pesee de l'or confie a l'ouvrier qui doit le travailler; un autre, de Beni-Hassan, le lavage et la mise au feu du minerai; un autre, de Thebes, l'orfevre assis Devant son creuset, le chalumeau a la bouche pour attiser la flamme, et la pince a la main droite, pret a saisir le lingot (Fig.274). Les Egyptiens ne frappaient ni monnaies ni medailles. A cela pres, ils tiraient le meme parti que nous des metaux precieux. Comme nous dorons les croix et les coupoles des eglises, ils recouvraient d'or les portes des temples, le soubassement des murs, les bas-reliefs, les pyramidions d'obelisque, les obelisques entiers. Ceux de la reine Hatshepsitou a Karnak etaient bardes d'electrum. "On les apercevait des deux rives du Nil, et ils inondaient les deux Egyptes de leurs reflets eblouissants, quand le soleil se levait entre eux, comme il se leve a l'horizon du ciel." C'etaient des lames forgees a grands coups de marteau sur l'enclume. Pour les objets de petite dimension, on se servait de pellicules, battues entre deux morceaux de parchemin. Le musee du Louvre possede un veritable livret de doreur, et les feuilles qu'il renferme sont aussi fines que celles des orfevres allemands au siecle passe. On les fixait sur le bronze au moyen d'un mordant ammoniacal. S'il s'agissait de quelque statuette en bois, on commencait par coller une toile fine ou par deposer une mince couche de platre, et l'on appliquait l'or ou l'argent par-dessus ce premier enduit. Il est question de statues en bois dore de Thot, d'Hor, de Nofirtoum, des le temps de Kheops. Le seul temple d'Isis, dame de la pyramide, en renfermait une douzaine, et ce n'etait pas l'un des plus grands dans la necropole memphite. Les temples de Thebes paraissent en avoir possede des centaines, au moins sous les dynasties conquerantes du nouvel empire, et les sanctuaires ptolemaiques ne le cedaient pas en cela aux thebains. [Illustration: Fig. 274] Le bronze et le bois dore ne suffisaient pas toujours aux dieux: c'etait de l'or massif qu'il leur fallait et on leur en donnait le plus possible. Les rois de l'ancien et du moyen empire leur dediaient deja des statues taillees en plein dans les metaux precieux. Les pharaons de la XVIIIe et de la XIXe dynastie, qui puisaient presque a volonte dans les tresors de l'Asie, rencherirent sur ce qu'avaient fait leurs predecesseurs. Meme quand la decadence fut venue, on vit de simples seigneurs feodaux continuer la tradition des grands regnes, et, comme Montoumhit, prince de Thebes, remplacer les images en or et en argent, que les generaux d'Ashshourbanipal avaient enlevees a Karnak, pendant les invasions assyriennes. La quantite de metal ainsi consacree au service de la divinite etait considerable. Si on y trouvait beaucoup de figures hautes de quelques centimetres a peine, on en trouvait beaucoup aussi qui mesuraient trois coudees et plus. Il y en avait d'un seul metal, or ou argent; il y en avait qui etaient partie en or, partie en argent; il y en avait enfin qui se rapprochaient de la statuaire chryselephantine des Grecs, et ou l'or se combinait avec l'ivoire sculpte, avec l'ebene, avec les pierres precieuses. Ce qu'elles etaient, on le sait tres exactement, et par les representations qui en existent un peu partout, a Karnak, a Medinet-Habou, a Denderah, dans les tombes, et par les statues de calcaire et de bois: la matiere avait beau changer, le style ne variait pas. Rien n'est plus perissable que de pareilles oeuvres; la valeur meme des materiaux qui les composent les condamne surement a la destruction. Ce que les guerres civiles, les invasions etrangeres, la rapacite des pharaons et des gouverneurs romains avait epargne, devint la proie des chretiens. Quelques statuettes mignonnes, placees sur les momies en guise d'amulettes, quelques figures, adorees comme divinites domestiques et egarees dans les ruines des maisons, quelques ex-voto, oublies dans le coin obscur d'un temple, sont parvenus jusqu'a nous. Le Phtah et l'Ammon de la reine Ahhotpou, un autre Ammon en or de Boulaq et le vautour en argent decouvert a Medinet-Habou vers 1885, sont les seules pieces de ce genre attribuees certainement a la grande epoque. Le reste est saite ou ptolemaique et ne se recommande point par la perfection du travail. La vaisselle que renfermaient les temples et les maisons n'a pas eu meilleure chance que les statues. Le Louvre a acquis, au commencement du siecle, des coupes a fond plat que Thoutmos III donna a l'un de ses generaux, Thoutii, en recompense de sa bravoure. La coupe d'argent est tres mutilee, la coupe d'or est intacte et d'un fort joli dessin (Fig.275). Les parois laterales sont ornees d'une legende hieroglyphique. On a grave au fond une rosace, autour de laquelle circulent six poissons. Une bordure de fleurs de lotus, reliees par une ligne courbe, tourne autour du sujet principal. Les cinq vases de Thmouis, conserves a Boulaq, sont en argent. Ils faisaient partie du mobilier sacre, et avaient ete enfouis dans une cachette, ou ils sont demeures jusqu'a nos jours. Rien n'indique leur age; mais, qu'ils soient de l'epoque grecque ou de l'epoque thebaine, la facture est purement egyptienne. Il ne reste plus de l'un d'eux que le couvercle avec une poignee formee de deux fleurs reunies par la tige. Les autres sont intacts et decores au repousse de boutons de lotus et de lotus epanouis (Fig.276). Le galbe en est elegant et simple, l'ornementation sobre et legere, le relief tres fin; l'un d'eux est pourtant entoure d'une ceinture d'oves assez fortes (Fig.277), dont la saillie altere un peu les contours de la panse. Ce sont la des pieces interessantes; mais le nombre en est si restreint, que nous aurions une idee tres incomplete de l'orfevrerie egyptienne si les representations figurees ne venaient a notre aide. Les pharaons n'avaient pas comme nous la ressource de jeter dans la circulation, sous forme de monnaie, l'or et l'argent qu'ils recevaient des peuples vaincus. La part des dieux prelevee, ils n'avaient d'autre alternative que de fondre en lingots, ou de changer en vaisselle et en bijoux ce qui leur revenait du butin. Ce qui etait vrai des rois l'etait encore plus des particuliers, et, pendant six ou huit siecles au moins, a partir d'Ahmos Ier, le gout de l'argenterie fut pousse jusqu'a l'extravagance. Toutes les maisons possedaient non seulement ce qu'il fallait pour le service de la table, plats, aiguieres a pied, coupes, gobelets, paniers sur lesquels on gravait au trait des figures d'animaux fantastiques (Fig.278), mais de grands vases decoratifs qu'on remplissait de fleurs, ou qu'on etalait sous les yeux des convives les jours de gala. Certains d'entre eux etaient d'une richesse extraordinaire. Ici, c'est une coupe dont les anses sont deux boutons de papyrus, et le pied un papyrus epanoui; deux esclaves asiatiques somptueusement vetus semblent la soulever difficilement a force de bras (Fig.279). La, une sorte d'hydrie allongee a pour couvercle un lotus flanque de deux tetes de gazelle (Fig.280). Deux bustes de chevaux, brides et caparaconnes, sont adosses au pied. La panse est divisee en zones horizontales: celle du milieu figure un marais, qu'une antilope effarouchee parcourt au galop. Deux burettes emaillees ont pour couvercle, la premiere une tete d'aigle huppe (Fig.281), la seconde un masque du dieu Bisou, encadre entre deux viperes (Fig.282). Un surtout en or (Fig.283), offert a Amenhotpou III par un vice-roi d'Ethiopie, represente une des scenes les plus frequentes de la conquete egyptienne. Des singes et des hommes font la cueillette des fruits dans un bois de palmiers-doums. Deux indigenes en pagne raye, pares d'une longue plume, conduisent chacun au licol une girafe apprivoisee. D'autres hommes appartenant a la meme tribu sont agenouilles sur la lisiere et levent les mains pour implorer la pitie des troupes egyptiennes. Des prisonniers negres, etendus a plat ventre sur le sol, relevent peniblement la tete et le buste. Une coupe a pied bas, surmontee d'un cone allonge, se dresse au milieu des arbres. Evidemment les ouvriers qui ont execute ce travail tenaient moins a l'elegance et a la beaute qu'a la richesse et a l'effet. Ils se souciaient peu que l'ensemble fut lourd et de mauvais gout, pourvu qu'on admirat leur habilete, et la quantite de metal qu'ils avaient reussi a employer. D'autres surtout du meme genre, presentees a Ramses II, dans le temple d'Ipsamboul, remplacent les girafes par des buffles courant a travers les palmiers. [Illustration: Fig. 275] [Illustration: Fig. 276] [Illustration: Fig. 277] [Illustration: Fig. 278] [Illustration: Fig. 279] [Illustration: Fig. 280] [Illustration: Fig. 281] [Illustration: Fig. 282] [Illustration: Fig. 283] C'etaient de vrais joujous d'orfevrerie analogues a ceux que les empereurs byzantins du IXe siecle avaient dans leur palais de la Magnaure, et qu'ils etalaient les jours de reception pour donner aux etrangers une haute idee de leur puissance et de leur richesse. On les voyait defiler avec les prisonniers, dans le cortege triomphal de Pharaon, lorsqu'il revenait victorieux de ses guerres lointaines. Les vases d'usage journalier etaient plus legers et moins charges d'ornements incommodes. Les deux leopards qui servent d'anse a un cratere du temps de Thoutmos III (Fig.284) ne sont pas bien proportionnes et se combinent mal avec les rondeurs de la panse, mais les coupes (Fig.285) et l'aiguiere (Fig.286) sont d'une ordonnance heureuse et d'un contour assez pur. Ces vases d'or et d'argent cisele, travailles au repousse, et dont quelques-uns offrent des scenes de chasse ou de guerre disposees par zones, furent imites en Phenicie, et les contrefacons, expediees en Asie Mineure, en Grece, en Italie, y Transporterent plusieurs des formes et des motifs de l'orfevrerie egyptienne. La passion des metaux precieux etait poussee si loin sous les Ramessides, qu'on ne se contenta plus de les employer au service de la table. Ramses II et Ramses III avaient des trones en or, non point plaques sur bois, comme en avaient eu leurs predecesseurs, mais massifs et garnis de pierreries. Tout cela avait trop de prix pour durer et disparut a la premiere occasion; la valeur artistique ne repondait pas d'ailleurs a la valeur venale, et la perte n'est pas de celles dont on ne saurait se consoler. [Illustration: Fig. 284] [Illustration: Fig. 285] [Illustration: Fig. 286] Les Orientaux, hommes et femmes, sont grands amateurs de bijoux. Les Egyptiens ne faisaient pas exception a la regle. Non contents de s'en parer a profusion pendant la vie, ils en chargeaient les bras, les doigts, le cou, les oreilles, le front, les chevilles de leurs morts. La quantite qu'ils enfouissaient ainsi dans les tombeaux etait si considerable, qu'apres trente siecles de fouilles actives, on decouvre encore, de temps en temps, des momies qui sont, pour ainsi dire, cuirassees d'or. Beaucoup de ces bijoux funeraires n'etaient que des ornements de parade, fabriques pour le jour des funerailles, et dont l'execution se ressent de l'usage auquel ils etaient destines. On ne se privait pas pourtant d'enterrer avec les morts les bijoux qu'ils avaient preferes de leur vivant, et ceux-la sont traites avec un soin qui ne laisse rien a desirer. Les bagues et les chaines nous sont arrivees en tres grand nombre, et cela n'a rien que de naturel. En effet, la bague n'etait pas comme chez nous un simple ornement, mais un objet de premiere necessite; on scellait les pieces officielles au lieu de les signer, et le cachet faisait foi en justice. Chaque Egyptien avait donc le sien, qu'il portait constamment sur lui afin d'en user en cas de besoin. C'etait, pour les pauvres, un simple anneau en cuivre ou en argent, pour les riches, un bijou de modele plus ou moins complique, charge de ciselures et d'ornements en relief. Le chaton mobile tournait sur un pivot. Il etait souvent incruste d'une pierre avec la devise ou l'embleme choisi par le proprietaire, un scorpion (Fig.287), un lion, un epervier, un cynocephale. Les chaines etaient pour l'Egyptienne ce que la bague etait pour son mari, l'ornement par excellence. J'en ai vu une en argent qui mesurait plus d'un metre cinquante de long. D'autres, au contraire, ont a peine cinq ou six centimetres. Il y en a de tous les modules, a tresse double ou triple, a gros anneaux, a petits anneaux, les unes massives et pesantes, les autres aussi legeres et aussi flexibles que le plus mince jaseron de Venise. La moindre paysanne pouvait avoir la sienne, comme les dames du plus haut rang; mais il fallait que la femme fut bien pauvre dont l'ecrin ne contenait rien d'autre. Bracelets, diademes, colliers, cornes, insignes de commandement, aucune enumeration n'est assez complete pour donner une idee du nombre et de la variete des bijoux qu'on connait, soit par la representation figuree, soit en original. Berlin a la parure d'une Candace ethiopienne, le Louvre, celle du prince Psar, Boulaq celle de la reine Ahhotpou, la plus complete de toutes. Ahhotpou etait femme de Kamos, roi de la XVIIe dynastie et peut-etre mere d'Ahmos Ier. Sa momie avait ete enlevee par une des bandes de voleurs qui exploitaient la necropole thebaine, vers la fin de la XXe dynastie. Enfouie par eux, en attendant qu'ils eussent le loisir de la depouiller en surete, il est probable qu'ils furent pris et mis a mort, avant d'avoir pu executer ce beau dessein. Le secret de leur cachette perit avec eux et ne fut decouvert qu'en 1860, par les fouilleurs arabes. La plupart des objets que la reine avait emportes dans l'autre monde sont des bijoux de femme, un manche d'eventail lame d'or, un miroir de bronze dore, a poignee en ebene, garnie d'un lotus d'or cisele (Fig.288). Les bracelets appartiennent a plusieurs types divers. Les uns etaient destines a garnir la cheville et le haut du bras, et sont de simples anneaux en or, massifs ou creux, ourles de chainettes en fils d'or tresses, imitant le filigrane. Les autres se portent au poignet, comme les bracelets de nos femmes, et sont formes de perles en or, en lapis-lazuli, en cornaline, en feldspath vert, montees sur des fils d'or et disposees en carre, dont chaque moitie est d'une couleur differente. La fermeture consiste en deux lames d'or, reunies par une aiguillette egalement en or: les cartouches d'Ahmos Ier y sont graves legerement a la pointe. C'est egalement au Pharaon Ahmos Ier qu'appartenait un beau bracelet d'arc (Fig.289), dont la facture rappelle un peu les procedes usites dans la fabrication des emaux cloisonnes. Ahmos est agenouille devant le dieu Sibou et ses acolytes, les genies de Sop et de Khonou. Les figures et les hieroglyphes sont leves en plein sur une plaque d'or; et ciseles delicatement au burin. Le champ est rempli de pieces de pate bleue et de lapis-lazuli taillees artistement. Un bracelet de travail plus complique, mais moins fin, etait passe au poignet de la reine (Fig.290). Il est en or massif et forme de trois bandes paralleles, garnies de turquoises. Sur le devant, un vautour deploie ses ailes, dont les plumes sont composees d'emaux verts, de lapis-lazuli et de cornaline, enchasses dans des cloisons d'or. Les cheveux etaient engages dans un diademe d'or massif, a peine aussi large qu'un bracelet. Le nom d'Ahmos est incruste en pate bleue sur une plaque oblongue, adherente au cercle: deux petits sphinx en relief, poses de chaque cote, ont l'air de veiller sur lui (Fig.291). Une grosse chaine d'or flexible etait enroulee autour du cou: elle est terminee par deux tetes d'oie recourbees, qu'on liait au moyen d'une ficelle, quand on voulait fermer le collier. Le scarabee qui lui sert de pendeloque a le corselet et les elytres en pate de verre bleue, rayee d'or, les pates et le corps en or massif. La parure de la poitrine etait completee par un large collier du genre de ceux qu'on appelait Ouoskh (Fig.292). Il a pour agrafes-deux tetes d'epervier en or, dont les details etaient releves d'email bleu. Les rangs sont composes de cordes, enroulees, de fleurs a quatre petales en croix, d'antilopes poursuivies par des tigres, de chacals accroupis, d'eperviers, de vautours et d'uraeus ailees, le tout en or repousse, et cousu sur le linceul au moyen d'un petit anneau soude derriere chaque figure. Au-dessous, pendait sur la poitrine une de ces pieces carrees qu'on appelle un pectoral (Fig.293). La forme generale est d'un naos. [Illustration: Fig. 287] [Illustration: Fig. 288] [Illustration: Fig. 289] [Illustration: Fig. 290] [Illustration: Fig. 291] [Illustration: Fig. 292] [Illustration: Fig. 293] Ahmos, debout dans une barque entre Ammon et Ra, recoit, sur la tete et sur le corps, l'eau qui doit le purifier. Deux eperviers planent, a droite et a gauche du roi, au-dessus des dieux. La silhouette des figures est dessinee par des cloisons d'or; le corps etait rendu par des plaquettes de pierre et d'email, dont beaucoup sont tombees. Le morceau est un peu lourd, et l'usage ne s'en comprend guere si on l'isole du reste de la parure. Pour juger sainement l'effet qu'il produisait, on doit se rappeler ce qu'etait le vetement des femmes egyptiennes: une sorte de fourreau d'etoffe semi-transparente, qui s'arretait au-dessous des seins et les laissait saillir librement. Le haut de la poitrine et du dos, les epaules, le cou etaient a decouvert, sauf une paire de bretelles etroites qui maintenaient le fourreau et l'empechaient de glisser. Les femmes riches habillaient cette nudite de bijoux. Le collier voilait a moitie les epaules et le haut de la poitrine. Le pectoral masquait le sillon qui se creuse entre les seins. Les seins eux-memes etaient parfois emboites chacun dans une sorte de coupe d'or emaille ou peint, qui en epousait exactement les contours. A cote de ces bijoux, des armes et des amulettes etaient entasses pele-mele: trois grosses mouches d'or massif suspendues a une chainette mince, neuf petites haches, trois en or, six en argent, une tete de lion en or d'un travail minutieux, un sceptre en bois noir enroule d'or, des anneaux de jambes, des poignards. L'un d'eux (Fig.294), enferme dans une gaine d'or, avait un manche en bois, decore de triangles en cornaline, en lapis-lazuli, en feldspath et en or. Pour pommeau, quatre tetes de femme en or repousse; une tete de taureau renversee, en or, dissimule la soudure de la lame au manche. Le pourtour de la lame est en or massif, le corps en bronze noir, damasquine. Sur la face superieure, au-dessous du prenom d'Ahmos, un lion poursuit un taureau, en presence de quatre grosses sauterelles alignees; sur la face inferieure, le nom d'Ahmos et quinze fleurs epanouies, qui sortent l'une de l'autre et vont se perdant vers la pointe. Un poignard, decouvert a Mycenes par M. Schliemann, presente un systeme de decoration analogue; les Pheniciens, qui copiaient assidument les modeles egyptiens, ont probablement transporte celui-la en Grece. Le second poignard de la reine (Fig.295) a une forme qu'il n'est pas rare de rencontrer aujourd'hui encore dans la Perse et dans l'Inde. C'est une lame en bronze jaunatre tres lourd, emmanchee d'un disque en argent. Pour s'en servir, on appuyait le pommeau lenticulaire dans le creux de la main, et l'on passait la lame entre l'index et le medius. On se demandera quel besoin une femme, et une femme morte, avait de tant d'armes. L'autre monde etait peuple d'ennemis contre lesquels on devait lutter sans relache, genies typhoniens, serpents, scorpions gigantesques, tortues, monstres de toute sorte. Les poignards qu'on enfermait au cercueil avec la momie aidaient l'ame a se proteger, et comme ils n'etaient utiles que pour la lutte corps a corps, on avait ajoute quelques armes de jet, des arcs, des boumerangs en bois dur et une hache de guerre. Le manche est en bois de cedre revetu d'une feuille d'or (Fig.296). La legende d'Ahmos y est ecrite en caracteres de lapis-lazuli, de cornaline, de turquoise et de feldspath vert. Le tranchant est saisi dans une entaille du bois et maintenu en place par un treillis de fils d'or. Il est en bronze noir et a ete dore. L'une des deux faces montre des lotus sur fond d'or, l'autre Ahmos frappant un barbare a moitie renverse, qu'il tient aux cheveux. Au-dessous, le dieu de la guerre, Montou Thebain, est represente par un griffon a tete d'aigle. Deux barques en argent et en or simulaient la barque sur laquelle la momie traversait le fleuve, pour se rendre a sa derniere demeure et naviguer a la suite des dieux sur la mer d'Occident. La barque en argent etait posee sur un chariot de bois a quatre roues en bronze; comme elle etait en assez mauvais etat, on l'a demontee et remplacee par la barque en or (Fig.297). La coque est legere et allongee: les facons de l'avant et de l'arriere sont relevees et se terminent par des bouquets de papyrus gracieusement recourbes. Deux estrades, entourees de balustrades a panneaux pleins, se dressent a la proue et a la poupe, en guise de chateaux gaillards. Le pilote d'avant est debout dans la premiere, le timonier se tient devant la seconde et manie la rame a large palette qui remplissait l'office de notre gouvernail. Douze rameurs d'argent massif voguent sous les ordres de ces deux officiers. Au centre, Kamos est assis, la hache et le sceptre a la main. Voila ce qu'il y avait sur une seule momie; encore n'ai-je enumere que les objets les plus remarquables. La technique en est irreprochable, et la surete du gout n'est pas moindre chez l'ouvrier que la dexterite de la main. L'art de l'orfevre, parvenu au degre de perfection dont temoigne l'ecrin d'Ahhotpou, ne s'y maintint pas longtemps. Les modes changerent, la forme des bijoux s'alourdit. La bague de Ramses II au Louvre, avec ses chevaux poses debout sur le chaton (Fig.298), le bracelet du prince Psar (Fig.299), avec ses griffons et ses lotus en email cloisonne, sont d'un dessin moins heureux que les bracelets d'Ahmos. Celui qui les a executes etait, sans contredit, aussi habile que les orfevres de la reine Ahhotpou; mais il avait le gout moins fin et l'esprit moins inventif. Ramses II etait condamne, ou bien a ne jamais porter sa bague, ou bien a voir les petits chevaux qui l'ornaient, s'ecraser et tomber au moindre choc. La decadence, deja sensible sous la XIXe dynastie, s'accentue a mesure que nous nous rapprochons de l'ere chretienne. Les boucles d'oreilles de Ramses IX, au musee de Boulaq, sont un compose disgracieux de disques charges de filigrane, de chainettes, d'uraeus pendants; comme aucune oreille humaine n'aurait pu en porter le poids sans s'allonger outre mesure ou sans se dechirer, on les accrochait a la perruque de chaque cote de la tete. Les bracelets du grand-pretre Pinotmou III, recueillis sur sa momie, sont de simples anneaux en or, ronds, incrustes de verre colore et de cornaline, semblables a ceux qu'on fabrique encore aujourd'hui chez les noirs du Soudan. L'invasion des Grecs modifia d'abord les procedes de l'orfevrerie egyptienne, puis substitua peu a peu ses types aux types indigenes. L'ecrin de la reine ethiopienne que Ferlini vendit au musee de Berlin contenait, a cote de bijoux qu'on aurait pu attribuer sans peine a l'epoque pharaonique, des bijoux de style mixte ou l'influence hellenique est nettement reconnaissable. Les tresors decouverts, en 1878, a Zagazig, en 1881, a Qeneh, en 1882, a Damanhour, etaient composes entierement d'objets dont la facture n'a plus rien d'egyptien, epingles a cheveux surmontees d'une statuette de Venus, boucles de ceinture, agrafes pour peplum, bagues et bracelets ornes de camees, coffrets flanques aux quatre coins de colonnettes ioniques. Les vieux modeles etaient encore recherches dans les campagnes, et les orfevres de village conservaient tant bien que mal la tradition antique: les orfevres de ville ne savaient plus que copier lourdement les modeles grecs et romains. [Illustration: Fig. 294] [Illustration: Fig. 295] [Illustration: Fig. 296] [Illustration: Fig. 297] [Illustration: Fig. 298] [Illustration: Fig. 299] Cette revue rapide de ce qu'ont produit les arts industriels presente bien des lacunes. J'ai du me borner a citer ce que renferment les collections les plus connues; que ne trouverait-on pas si l'on pouvait visiter a loisir nos musees de province et recueillir ce que le hasard des ventes a disperse dans les collections particulieres! La diversite des petits monuments de l'industrie egyptienne est infinie et l'etude methodique en reste encore a faire: elle promet plus d'une surprise a qui voudra la tenter. FIN TABLE CHAPITRE PREMIER. L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE 1. Les maisons 2. Les forteresses 3. Les travaux d'utilite publique CHAPITRE II. L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE 1. Materiaux et elements de la construction 2. Le temple 3. La decoration CHAPITRE III. LES TOMBEAUX 1. Les mastabas 2. Les pyramides 3. Les tombes de l'Empire thebain; les hypogees CHAPITRE IV LA PEINTURE ET LA SCULPTURE 1. Le dessin et la composition 2. Les procedes techniques 3. Les oeuvres CHAPITRE V. LES ARTS INDUSTRIELS 1. La pierre, la terre et le verre 2. Le bois, l'ivoire, le cuir et les matieres textiles 3. Les metaux End of the Project Gutenberg EBook of L'archeologie egyptienne, by G. Maspero *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE *** ***** This file should be named 10841.txt or 10841.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/0/8/4/10841/ Produced by Robert Connal, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by gallica (Bibliotheque nationale de France) at http://gallica.bnf.fr. Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH F3. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit https://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII, compressed (zipped), HTML and others. Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over the old filename and etext number. The replaced older file is renamed. VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving new filenames and etext numbers. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000, are filed in directories based on their release date. If you want to download any of these eBooks directly, rather than using the regular search system you may utilize the following addresses and just download by the etext year. https://www.gutenberg.org/etext06 (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90) EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are filed in a different way. The year of a release date is no longer part of the directory path. The path is based on the etext number (which is identical to the filename). The path to the file is made up of single digits corresponding to all but the last digit in the filename. For example an eBook of filename 10234 would be found at: https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234 or filename 24689 would be found at: https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689 An alternative method of locating eBooks: https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL